Armements : maintien des exportateurs traditionnels et émergence de nouveaux

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Parmi les pays exportateurs d’armement, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne arrivent loin derrière les États-Unis et la Russie. La Chine et le Brésil se positionnent.

L’IRSEM et le SIPRI ont organisé, le 17 mars 2014 à Paris, une table ronde sur le marché mondial des armements. Y sont notamment intervenus : Aude-Emmanuelle Fleurant de l’IRSEM ; Louis-Marie Clouet de l’ISIT (École d’interprétariat) ; Emmanuel Puig du Centre Asia ; Yannick Quéau du GRIP (Groupe de recherche et d’infirmation sur la paix et la sécurité).

Prédominance des États-Unis. Les ventes d’armes sont mises au service de la politique étrangère des États-Unis… difficile à distinguer de leurs politiques économique et commerciale, explique Aude-Emmanuelle Fleurant. Après la crise économique de 2008, le gouvernement américain a révisé sa politique de défense : restrictions budgétaires ; nouvelle approche stratégique par un rééquilibrage vers l’Asie ; maintien de son avance technologique par des armements de nouvelle génération. Les entreprises américaines d’armement veulent conquérir 30 % du marché mondial et visent les pays du Moyen-Orient et de l’Asie/Océanie, en forte croissance. Entre 2007 et 2012, les achats des Émirats arabes unis ont représenté 26,7 % des exportations américaines d’armement au Moyen-Orient, celles de l’Irak 14,3 % et celles d’Israël 13 %. Pendant la même période, les acquisitions de la Corée du Sud ont atteint 27,3 % des ventes américaines en Asie/Océanie, celles de l’Australie 25 % et celles de Singapour 11,3 %. En outre, les États-Unis recherchent des partenaires privilégiés par des accords bilatéraux de recherche et développement. Le Canada est le premier partenaire depuis 25 ans, devant la Grande-Bretagne, dont les achats représentent 22,5 % du total des ventes américaines en Europe. Grâce au traité américano-australien de coopération commerciale de défense, les entreprises des deux pays peuvent échanger des données techniques sans licences et les compagnies australiennes ont davantage de facilités pour obtenir des contrats aux États-Unis. Afin de « contrôler moins pour contrôler mieux », les États-Unis accélèrent les processus d’exportation vers les pays dont les méthodes sont les plus semblables aux leurs. Enfin, ils vont doter leurs alliées les plus proches d’équipements les plus performants : missiles mer-sol balistiques Trident de nouvelle génération pour la Grande-Bretagne et drones pour l’Australie.

Stabilité de la Russie. La Russie conserve sa 2ème place mondiale grâce à son industrie aéronautique (avions, hélicoptères et moteurs), qui a représenté 51 % de ses exportations d’armement entre 2004 et 2013. Pour faciliter les exportations, indique Louis-Marie Clouet, le consortium OAK a regroupé en 2006 les constructeurs civils et militaires Sukhoï, Mig, Tupolev Illiouchine, Yakovlev, Beriev et Irkut. OAK développe certains projets civils avec des participations de pays occidentaux. Pendant la période 2004-2013, les principaux clients de la Russie ont été, avec des hauts et des bas, l’Inde, la Chine, le Viêt Nam, le Venezuela et l’Algérie. La Russie vend aussi des matériels sophistiqués à des pays africains qui n’ont pas la possibilité d’en acquérir en Occident, comme l’avion de chasse Sukhoï-30 à l’Ouganda. Avec près de 80 % de ses achats militaires dont un porte-avions et un sous-marin nucléaire d’attaque, l’Inde est le premier client de la Russie, dont elle finance une partie des projets de recherche et développement. Leur partenariat se maintient, car tous deux ont la même vision géostratégique et développent une nouvelle version de l’avion civil Sukhoï-A1. La Russie a beaucoup investi pour moderniser son industrie aéronautique et poursuivre ses ventes à la Chine, lesquelles ont chuté à partir de 2005. La Chine a en effet développé une copie du chasseur russe Sukhoï-27… qu’elle exporte ! Quoique concurrente de la Russie en Afrique, Amérique latine et Asie, elle continue de lui acheter des composants d’avion et des moteurs. Au Moyen-Orient, la Russie vend à la Syrie, mais ne parvient pas à percer dans les pays du Golfe. Enfin, au Brésil, le Sukhoï-30 n’a pu s’imposer devant le Gripen suédois, qui a remporté le marché.

La Chine en progression. Les exportations chinoises d’armement ont crû de 212 % entre 2004 et 2013, selon le SIPRI, et près de 75 % d’entre elles sont allées vers le Pakistan, le Bengladesh et la Birmanie. Elles correspondent d’abord à une logique diplomatique pour pérenniser des clients (Pakistan et pays africains) et les utiliser comme « démonstrateurs » des équipements chinois. La dimension politique entre en jeu pour l’approvisionnement en matières premières, notamment énergétiques, souligne Emmanuel Puig. Depuis la chute de Kadhafi, le gouvernement chinois craint que les systèmes antiaériens livrés à la Libye tombent entre les mains de séparatistes Ouïgours (musulmans). Les négociations commerciales incluent des compensations, comme la construction d’infrastructures publiques dans le pays client. Les matériels militaires n’entrant que pour 5-6 % dans leur chiffre d’affaires, les grandes entreprises d’État chinoises peuvent les exporter à perte, comme pour les systèmes anti-aériens à la Turquie (membre de l’OTAN). Elles rétablissent l’équilibre par des négociations bilatérales dans un autre domaine, comme l’exploitation d’une mine en Birmanie ou pour éviter une procédure d’appel d’offres. Une majorité des matériels est à finalité sécuritaire afin, notamment, de pénétrer le marché d’Asie centrale, monopole de la Russie, et celui de l’Amérique du Sud pour nouer des partenariats.

Le Brésil et l’Amérique du Sud. Entre 2004 et 2013, le Brésil a exporté des armements, surtout des avions Embraer et du matériel de surveillance du territoire, vers l’Angola, la Malaisie, l’Indonésie, le Chili, le Mexique et l’Équateur. Selon Yannick Quéau, les importations d’armes du continent sud-américain entre 2009 et 2013 sont venues surtout de l’Union européenne, puis de Russie, des États-Unis, d’Israël et de Chine. Les acquisitions sont destinées à développer les industries locales d’armement, qui coopèrent dans le cadre du Marché commun du Sud (Mercosur). A part une présence sur des « niches » porteuses à l’export, les industries d’armement demeurent orientées vers les besoins nationaux.

Loïc Salmon

L’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) travaille notamment sur les politiques de défense, les industries d’armement et l’économie de défense. L’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) analyse les flux d’armements de et vers des pays ou régions, l’importance relative des pays exportateurs ou importateurs et celle des catégories de systèmes d’armes transférés. Selon le SIPRI, les dépenses militaires mondiales ont progressé de 34,7 % à 1.756 Md$ entre 2003 et 2012. Celles de l’Afrique ont augmenté de 85 %, celles de l’Asie et de l’Océanie de 62,9 %, celles du Moyen-Orient de 56,5 %, celles du continent américain de 34,4 % et celles du continent européen de 10,3 %.

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