Armée de Terre : l’IA dans la préparation de la mission

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En raison de la numérisation du champ de bataille, le chef militaire va déléguer certaines tâches à des système intégrant l’intelligence artificielle (IA). Les modules IA, intégrés dans la chaîne de commandement, doivent permettre un contrôle humain et la permanence de la responsabilité de la hiérarchie militaire.

L’impact de l’IA sur le commandement militaire a fait l’objet d’une journée d’études organisée, le 28 septembre 2023 à Paris, par la chaire IA du Centre de recherche Saint-Cyr Coëtquidan (CReC) et le groupe Nexter (architecte et systémier intégrateur pour les forces terrestres) avec la participation de Naval Group (construction navale de défense). Y sont notamment intervenus : Nicolas Belloir, chercheur au CReC ; Ariane Bitoun, directrice de la recherche et de l’innovation au MASA Group (IA et robotique de défense) ; le capitaine Romain Berhault, chef du Centre géographique d’appui aux opérations, 28ème Groupe géographique.

Selon le concept de « l’Intelligence artificielle » du bureau Plans de l’État-major de l’armée de Terre de février 2020, l’IA est, pour l’armée de Terre, un module imbriqué dans une synergie homme/système qui facilitera les prises de décision des chefs et démultipliera leur action dans le but d’améliorer les performances opérationnelles et fonctionnelles. La lutte informationnelle accompagne désormais l’action militaire.

Détecter la désinformation. Une « fake news », information erronée mais vérifiable, se compose de faits faux basés sur des faits réels, explique Nicolas Belloir. Elle dispose d’une capacité de nuisance importante, qui entre dans le cadre d’une campagne de désinformation, Elle vise à influencer une personne ou un groupe de personnes pour les amener à changer d’avis sur un sujet donné par une distorsion entre des faits réels et des faits erronés. Pour accroître la visibilité de son message, elle va utiliser une autorité, réelle ou non, à savoir un expert reconnu qui donne un avis sur un domaine qui n’est pas le sien ou même un pseudo-expert. Il s’agit de lancer une « bombe émotionnelle », qui va susciter colère, tristesse, honte ou joie de manière à arriver à une conclusion implicite. La capacité de nuisance d’une fake news se révèle très élevée pour un coût très bas. Par exemple, il suffit d’écrire un petit texte sur un réseau social ou d’y diffuser une photo prise dans un contexte un peu particulier pour créer un mécanisme de désinformation. Lors de la pandémie du Covid-19 en 2020, une douzaine de comptes ont produit 65 % de la désinformation sur les vaccins. Cela représente une attaque informationnelle avec une vision stratégique de type multi-vecteurs. Face à la diffusion rapide de fake news incontrôlables, un démenti doit être crédible pour en démontrer la fausseté, malgré la difficulté à convaincre le public. Dans une civilisation basée sur l’idée, les outils de l’IA permettent d’expliquer cette démonstration d’un point de vue scientifique, en modélisant un concept qui sera ensuite enrichi grâce à des algorithmes. Cela nécessite une approche pluridisciplinaire impliquant des sociologues, des juristes et d’autres spécialistes. Les outils de l’IA vont rechercher les informations sur les lieux, dates et personnes avec un traitement du langage naturel pour récupérer les faits et les sentiments afin d’identifier la « bombe émotionnelle » cachée.

Comprendre la situation tactique. Le MASA Group développe des solutions logicielles à partir de simulations et d’IA, en vue de modéliser des comportements humains intelligents et autonomes, indique Ariane Bitoun. Ces solutions servent à la planification d’une opération, la compréhension de situations tactiques complexes, la stimulation d’outils d’analyse de données tactiques, l’estimation des futurs possibles et la rationalisation des plans conçus par des outils d’IA. La simulation intelligente Sword/Soult de MASA Group, utilisée pour la formation, l’entraînement et l’analyse opérationnelle, contient une base de données ouverte d’équipements, d’objets, d’unités et de leurs effets. Elle dispose aussi d’une base de données ouvertes sur les missions opérationnelles et d’une connaissance partielle de leur environnement par les unités. Le « wargaming » (jeu de guerre) analyse les modes d’action pour évaluer la capacité d’une unité donnée à remplir sa mission, face aux unités adverses identifiées, et en corriger les faiblesses éventuelles Il permet au commandant de la force de synchroniser les actions, de visualiser le déroulement de l’opération et d’identifier les conséquences de telle ou telle action de l’adversaire et de les contrer. Certains modèles de simulations sont basés sur l’attrition, les probabilités de toucher/détruire et celles de pannes. Ils permettent de jouer sur des paramètres comme la météo, l’illumination et l’environnement jour ou nuit. Les capacités de détection d’une unité dépendent de ses contextes tactique et géographique, à savoir le terrain, les senseurs, sa vitesse de déplacement et la direction principale observée. Chaque mission ayant un effet principal attendu, il est possible de disposer d’une vue tactique basée sur les effets appliqués sur le terrain et/ou l’adversaire, grâce au soutien et au renseignement. La simulation calcule, pour chaque unité, une estimation de son rapport de force local en fonction de sa connaissance de l’adversaire. Ainsi, un rapport de force défavorable présente un risque élevé pour la mission, tandis qu’un rapport de force favorable implique une forte probabilité de succès. Quand l’adversaire est détecté, il devient possible de visualiser l’évolution locale de la manœuvre et les principales zones de combat. Sont aussi à l’étude : l’intégration automatisée de données tactiques réelles dans la simulation ; l’autonomisation des manœuvres adverses ; l’amélioration des algorithmes existants d’estimation des positons adverses futures ; la reconnaissance de modèles d’ordres de bataille adverses ; la reconnaissance de comportements adverses, en vue des prévisions de rapport de forces locaux.

Algorithme et expérience du terrain. La carte géographique est devenue une base de données utilisables aux niveaux stratégique, opératif et tactique, explique le capitaine Berhault. Le géographe s’en sert pour élaborer de produits thématiques en vue d’aider les chefs dans leur appréciation de situation et dans leurs prises de décisions opérationnelles. Les algorithmes permettent de gagner du temps et d’augmenter les délais en apportant des réponses aux interrogations de l’état-major pour la planification et la conduite des opérations. Certains produisent de dossiers généralistes de pays et de régions. Ainsi chat GPT rédige des scripts en « Python », langage de programmation pour automatiser des tâches répétées fréquemment à la main. Toutefois, il se base sur l’occurrence fréquente d’une information pour la qualifier de pertinente. Mais grâce à la « Machine Learning » (forme d’IA pour créer des systèmes qui apprennent), il est possible de déterminer un type de bâtiment (maison ou immeuble) en fonction d’une surface au sol et d’un nombre d’étages et de classer des routes. Mais aujourd’hui, l’algorithme ne s’adapte pas encore aux spécificités du terrain, de la manœuvre ou du niveau d’emploi d’une unité. Le terrain est un mur rempli de briques logiques, explique le capitaine Berhault, mais la maîtrise de ces briques relève souvent de l’expérience empirique. Dans un futur proche, un algorithme pourra peut-être englober toutes ses spécificités en y ajoutant des composantes complémentaires comportementales et humaines, la doctrine d’emploi des forces et l’engagement sur le terrain. Mais actuellement, seul le regard du géographe peut apprécier la qualité du produit rendu par l’algorithme. Sa capacité à conceptualiser le terrain et s’y projeter, en y appliquant les contraintes induites, pourra faire parler la carte, devenue un objet de communication compréhensible par tous et aussi un outil de travail permettant aux spécialistes de raisonner dans leurs disciplines respectives.

Loïc Salmon

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