Armée de Terre : le combat dans les conflits de haute intensité

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Du Haut-Karabagh à l’Ukraine, le retour de l’affrontement entre puissances se caractérise par des opérations où toutes les fonctions sont susceptibles d’être activées, avec une forte connotation politique.

Tel a été le thème du colloque organisé, le 2 février 2023 à Paris, par le Centre de doctrine et de l’enseignement du commandement (CDEC). Y sont intervenus : le général de corps d’armée Bertrand Toujouse, commandant des forces terrestres ; Élie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité à l’Institut français des relations internationales (IFRI) ; le colonel (er) Jean-Luc Théus, ancien attaché de défense près la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ; Pierre Razoux, spécialiste du Moyen-Orient à la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques ; Dimitri Minic, spécialiste de la Russie à l’IFRI ; Lambert Girardeau, spécialiste de la Chine au Centre du renseignement de l’armée de Terre.

Continuité et ruptures. La guerre mobilise l’ensemble des ressources d’une nation, rappelle Elie Tenenbaum. Fortes capacités militaires et politiques caractérisent les guerres napoléoniennes (1803-1815), la guerre de Sécession américaine (1860-1865) et les deux conflits mondiaux (1914-1918 et 1939-1945). Les guerres de Corée (1950-1953) et du Golfe (1991), menées sous l’égide de l’ONU et en deçà du seuil nucléaire, n’ont rien réglé politiquement. Les conflits du Haut-Karabagh (2020) et de l’Ukraine (depuis 2022) montrent une létalité accrue en termes de tués, de blessés et de matériels détruits. Seule la masse permet de l’emporter sur l’adversaire. La survivabilité des effectifs terrestres dépend du blindage des véhicules engagés, de la mobilité, de la vitesse, de la furtivité et de l’excellence du commandement et de la conduite des opérations. Les forces terrestres ont davantage besoin d’autonomie et de renseignement. Très connectées, elles deviennent de plus en plus performantes dans le cyber et la guerre informationnelle.

Le Haut-Karabagh. L’Azerbaïdjan s’est préparé à un affrontement avec l’Arménie, qui a duré 44 jours, souligne le colonel Théus. Pour récupérer le territoire perdu en 1994 contre elle, il a investi massivement pour moderniser ses forces armées et disposer d’une force de frappe dans la profondeur. Les drones, d’origines israélienne et turque, et les « munitions rôdeuses » (petits drones suicides) ont neutralisé 60 % de la défense aérienne arménienne en deux semaines et semé la terreur parmi les équipages de chars. Les lance-roquettes multiples, modèle soviétique bon marché et alimentés en munitions turques, pakistanaises et tchèques, ont détruit 700 camions. Les forces spéciales, utilisées pour les infiltrations en zones montagneuse et forestière, se sont entraînées dès 2003 en Turquie et au Pakistan. Les moyens de guerre électronique azéris ont brouillé les appareils d’origine russe des postes de commandement arméniens. Enfin, la force morale a joué, les forces armées azéries montrant à leur nation qu’elles pouvaient vaincre leurs adversaires arméniens.

Les Proche et Moyen-Orient. Pertinence et prééminence des moyens lourds, recours massif au feu par l’artillerie classique et les lance-roquettes multiples, avec l’indispensable approvisionnement en munitions, caractérisent les théâtres d’affrontement aux Proche et Moyen-Orient, constate Pierre Razoux. S’y ajoutent : les drones utilisés par la Turquie, le Hezbollah libanais (inféodé à l’Iran) et Israël ; les engins explosifs improvisés de Daech ; les fortifications ; les souterrains, utilisés pour harceler l’adversaire et capturer des otages ; l’intensification du combat de nuit, facilité par la technologie relativement bon marché ; les cyberattaques et le brouillage des communications GPS. Pour soutenir son effort de défense, Israël vend des armes en Afrique, en Asie et en Europe et se prépare à toutes les éventualités citées plus haut. Outre les raids en profondeur par les forces spéciales pour cibler les points-clés de l’adversaire, des « bulles locales » de commandement décentralisé ont été installées à proximité du front pour raccourcir la boucle de décision et réagir plus vite, notamment contre le Hezbollah. Si l’Iran parvient à disposer de l’arme nucléaire, il devrait jouer la carte de la dissuasion à l’encontre d’Israël, qui doit donc frapper le Hezbollah avant sa « sanctuarisation » par l’Iran. Toutefois, selon Pierre Razoux, l’Iran n’a pas intérêt à franchir le seuil d’un affrontement direct avec Israël et les États-Unis. En outre, une lutte interne est engagée entre les « Pasdarans » (Corps paramilitaire de la révolution islamique disposant de forces terrestres, navales et aérospatiales) et les technocrates islamiques, actuellement au pouvoir et empêtrés dans la répression des mouvements populaires. De son côté, la Syrie doit faire face au harcèlement de Daech et à des opérations de forces armées turques environ tous les dix-huit mois.

La Russie. Les récentes réformes entreprises sur le plan militaire n’ont pas préparé les forces terrestres à une véritable guerre en Ukraine, souligne Dimitri Minic. Concentrées pour un combat de choc frontal, celles-ci se sont heurtées à des unités ukrainiennes très mobiles et organisées en réseaux décentralisés. Elles ont manqué de personnels qualifiés et d’armement. L’éclairage de cibles, testé en 2016, a valorisé l’emploi des drones. Toutefois, les moyens russes de lutte anti-drones sont mal adaptés aux essaims de petits drones tactiques ukrainiens. L’usage des armes de précision a été valorisé, mais leur qualité avait déjà fait l’objet de critiques avant la guerre. Les vieux canons automoteurs sont remplacés progressivement par des neufs. Les difficultés du combat en zone urbaine nécessitent des pièces d’artillerie très diversifiées. La Russie, indique Dimitri Minic, applique une stratégie de contournement de l’Occident en Afrique avec des société militaires privées issues des forces spéciales déployées précédemment pendant la guerre civile en Syrie en 2015 et en Ukraine en 2014. Enfin, la Russie, qui redoutait l’intérêt de la Chine pour la Sibérie, a conclu que les États-Unis constituent son principal adversaire.

La Chine. L’Armée populaire de libération (APL) veut atteindre la supériorité mondiale en 2049, indique Lambert Girardeau. La modernisation à l’occidentale, entreprise depuis trente ans, a bénéficié des méthodes de maintien de la paix de l’ONU et de la synergie entre l’État et l’industrie de défense pour l’organisation en corps d’armée, la guerre électronique et les drones. Toutefois, une invasion de Taïwan ne semble guère aisée, en raison de la topographie de l’île avec des falaises à l’Est et des vases à l’Ouest. Plus propice, le Nord ne se trouve qu’à 120 km de la Chine, mais la concentration de troupes taïwanaises y est massive et l’APL ne maîtrise pas encore l’appui aérien nécessaire à un débarquement. En outre, une intervention américaine apparaît de moins en moins hypothétique.

La France. Un engagement majeur de haute intensité ne sera pas choisi par la France, qui doit s’y préparer par la force morale (volonté de s’engager) et la résilience (économie de guerre), souligne le général Toujouse. L’ennemi, désormais replacé au cœur du débat, la combattra partout. L’armée de Terre s’y prépare par des scénarios dans un contexte de flux logistiques, de missiles balistiques, de big data et de transparence du champ de bataille. Le combat dans la profondeur implique une cohérence entre l’aérocombat, les vecteurs téléopérés et les drones armés. La surveillance totale va influencer les choix technologiques avec une accélération de la boucle décisionnelle (2-3 minutes). L’hybridité, modèle des forces spéciales depuis 30 ans, inclut le cyber. La lutte d’influence vise à contourner l’Occident, à l’exemple de la milice privée russe Wagner en Afrique. Le partenariat militaire opérationnel entre égaux prime au nom des intérêts communs. En zone arrière, la logique des stocks près de l’avant remplace celle des flux tendus.

Loïc Salmon

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