Défense : le « Métavers », nouveau champ de bataille

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Le réseau social « Métavers », évolutif dans le monde virtuel et interactif en temps réel, offre des possibilités en matière de formation, de renseignement, d’influence et de recrutement pour les armées, mais présente aussi des risques.

Cela ressort d’un colloque organisé, le 1er décembre 2022 à Paris, par le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de Terre (CDEC). Y sont notamment intervenus : Mathieu Flaig, société de conseil en systèmes et logiciels informatiques SQORUS ; le colonel Samir Yaker, CDEC ; l’ingénieur civil Hervé Cicchelero, Direction générale du numérique et des systèmes d’information et de communication ; le colonel Jean-Gabriel Herbinet, État-major de l’armée de Terre ; le lieutenant-colonel Raphaël Briant, Direction générale des relations internationales et de la stratégie ; le lieutenant-colonel Hubert de Quièvrecourt, direction des ressources humaines de l’armée de Terre ; le lieutenant-colonel Fabien Simon, État-major de l’armée de Terre/Cyber ; le général de division Pierre-joseph Givre, directeur du CDEC.

Perspectives techniques. L’internet a connu plusieurs évolutions, indique Mathieu Flaig. Le web 1.0 porte uniquement sur la lecture avec les moteurs de recherche dont Google et Yahoo. Le web. 2.0 permet en outre d’écrire et d’échanger via les réseaux sociaux, dont Facebook et Twitter. Le web 3.0 y ajoute la confiance et la vérification au moyen de diverses plateformes et des lunettes pour le virtuel. Persistant et massivement évolutif, le Métavers, réseau de mondes virtuels interconnectés, est axé sur l’interaction en temps réel où les gens peuvent travailler, réagir socialement, effectuer des transactions, jouer et même créer des environnements. La fusion entre le réel et le virtuel s’effectue déjà par l’intermédiaire de l’ordinateur ou du smartphone. La société américaine Meta, fondée en 2004, a rejoint les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazone et Microsoft). Environ 25 % des gens passeront une heure par jour à naviguer sur internet en 2026. Le marché du Métavers est estimé à 13 Mds$ en 2030. Toutefois, 60 % des gens ne semblent guère enclins à faire leur marché de façon virtuelle.

Espace de confrontation. La stratégie consiste à imposer sa volonté face à celle de l’ennemi, rappelle le colonel Yaker. Dans le triptyque « compétition, confrontation et affrontement », la formule « gagner la guerre avant la guerre » s’inscrit dans la phase de compétition. La victoire stratégique résulte de la modification du comportement de l’adversaire au moyen de la guerre informationnelle, qui influe sur sa prise de décision. Il s’agit de prendre l’ascendant sur lui en décidant plus vite que lui. Après une intervention foudroyante qui sidère l’adversaire, il convient d’évaluer l’opération militaire en termes de pertes et de gains potentiels avec les conséquences sur la liberté d’action du chef. La stratégie de communication fixe un code des opérations pour que la population, présente sur le théâtre, en comprenne le sens. Celle-ci de répartit en trois catégories : la première, hostile, qu’il faut discréditer ; la deuxième qui doute et qu’il faut convaincre ; la troisième, favorable, dont il faut renforcer les convictions. Ainsi, la guerre en Ukraine met en en œuvre l’affrontement physique avec les forces russes, la résilience de la nation et ses forces morales (valeurs et patriotisme). A terme, le Métavers prendra aussi en compte les forces morales. Par ailleurs, la conflictualité devient multi-champs, à savoir terre, mer, air et cyber, avec les défis de l’interopérabilité et de la connectivité. Le renseignement tactique est recoupé et coté à 100 % ou 80 % selon les sources. L’armée de Terre se prépare à des opérations hybrides par la simulation et l’entraînement sur le terrain. La numérisation du champ de bataille apporte l’information juste au bon niveau de commandement, pour éviter une surcharge cognitive. Le Métavers va rendre encore plus complexe le travail de l’état-major. Le futur contrôle technologique devra conserver l’humain au centre de tout.

Potentialités militaires. Avant de se trouver dans la réalité du combat, le militaire va s’y préparer via le métavers, indique le lieutenant-colonel Briant. Les bases aériennes d’Orange et de Mont-de-Marsan disposent d’équipements créant un environnement représentatif de vol (photo). Le Métavers constitue un espace expérimental d’interopérabilité peu sécurisé, mais toutes les armées du monde vont se l’approprier. L’adversaire pourrait alors biaiser la reprogrammation, en vue de détruire la cohésion homme/machine. Il faudra pouvoir le déceler à temps pour ne pas se faire déposséder de la conduite de la guerre. Le couplage entre le réel et le virtuel permettra de simuler un champ de bataille à l’étranger pour une mise en situation opérationnelle. Aujourd’hui, souligne Hervé Cicchelero, la réalité allant très vite, l’ingénierie reste indispensable en progressant pas à pas et en acceptant de se tromper dans un monde physique, de plus en plus numérisé et virtualisé. En outre, gagner la guerre, en vue ensuite de négocier, nécessite une approche sociologique des gouvernants et une prise en compte des normes au niveau européen. En opération, les soldats n’emportent pas de téléphone personnel, qui localiserait leurs émotions à une date et un endroit précis, rappelle le lieutenant-colonel Simon. Il existe en effet des applications qui facilitent la fuite de données, dont les traces persistent après effacement. Des robots pourraient y être installés pour simuler une présence dans un endroit virtuel, afin de tromper l’adversaire. Le casque de Métavers enregistre des données personnelles, notamment la sudation, le pouls et l’expression du visage, signes de réaction au stress. Les données comportementales sont exclues de l’échange d’informations dans le cadre d’une coopération internationale. Toutefois, ces données permettent de cibler les personnels à recruter pour des métiers correspondant à leurs points forts. L’armée de Terre recherche chaque année des jeunes de 18-25 ans et devra donc prospecter le Métavers qu’ils connaissent bien, indique le lieutenant-colonel de Quièvrecourt. Déjà peu après leur arrivée, les recrues, coiffées d’un casque de vision virtuelle à 360°, se trouvent plongées dans une ambiance d’un combat violent ainsi que dans la mise en œuvre d’un canon ou la conduite d’un char. Bientôt, le recrutement pourra se faire en ligne. Selon le colonel Herbinet, des règles strictes relatives aux smartphones assurent la protection des données en opération. Pourtant, rien n’empêche des espions russes, chinois ou israéliens d’aller capter les données personnelles des futurs cadres de l’armée française… aux abords de l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan !

Préparer demain. La discussion libre entre civils et militaires améliore la visibilité dans le « brouillard de la guerre », constate le général Givre. L’armée de Terre doit recruter des compétences et capter des talents. Dans ses champs d’action, elle doit utiliser le défensif en appui de l’offensif. Cela passe par l’exploitation des données, dont 80 % viennent de sources ouvertes. Le renseignement, destiné aux forces engagées en opération, doit provenir de toutes les sources possibles. Des robots pourront capter des informations sur le Métavers et lancer des leurres en temps réel. Le champ de bataille connaît une hybridation systématique. L’Ukraine, qui a militarisé sa société civile depuis l’invasion russe en 2022, dispose d’informaticiens capables de créer des applications en 48 heures pour la protection de ses systèmes et la saturation de ceux des forces russes. Pendant la guerre du Haut-Karabagh en 2020, les Azéris ont réagi très vite face aux Arméniens. Les décisions rapides reposent sur l’exploitation des données. La France, souligne le général, ne peut se permettre d’être en retard dans le Métavers. Seule, elle n’y parviendra pas et doit aller à la vitesse des autres en mobilisant toutes les intelligences. Les GAFAM ont déjà réalisé un réseau de très haut niveau technique… mis au service des Etats-Unis !

Loïc Salmon

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