Armée de Terre : intervenir dans tous les types de conflits

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La combinaison des masse, technologie et agilité manœuvrière doit permettre à l’armée de Terre de prendre l’ascendant dans les champs de confrontation physiques, virtuels ou cognitifs.

Cela ressort du document « Concept d’emploi des forces terrestres 2020-2035 », élaboré par le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de Terre. Il a été rendu public lors de la présentation de l’armée de Terre à Satory le 7 octobre 2021.

Evolution du milieu aéroterrestre. Dans le contexte du continuum « paix, crise et guerre », les forces terrestres, engagées sur le territoire national et en opérations extérieures, s’intègrent dans la stratégie globale des armées couvrant les fonctions : connaître et anticiper ; prévenir ; dissuader ; protéger ; intervenir. Le milieu aéroterrestre dispose de liens permanents avec les littoraux et infrastructures portuaires, lieux de transit et infrastructures de contrôle aérien ou spatial et enfin infrastructures de systèmes de communication. L’urbanisation progresse avec la croissance démographique pour atteindre 43 mégapoles de plus de 20 millions d’habitants en 2030. L’effet conjugué des crises économiques et du dérèglement climatique provoque un peuplement de zones jusque-là inaccessibles. Les zones périphériques constituent des champs de confrontation physique, préalable à la conquête de l’espace urbain qui abrite les centres de décision. Le spectre hertzien, surexploité, se transforme en champ de bataille jusqu’à une absence de service ou une dégradation avec des interférences sur de nombreuses technologies, avec le risque de brouillage intentionnel des systèmes de combat « info-valorisé » (programme Scorpion) et de navigation par satellite. L’absence de processus démocratiques de régulation offre des perspectives aux stratégies hybrides dans la sphère informationnelle, grâce à l’amélioration continue des capacités techniques de traitement des audiences. Les forces armées et les populations civiles sont visées par des manipulations sociales hostiles, pour altérer les valeurs et croyances d’une société ou d’un Etat. S’y ajoute la guerre « politique » pour influencer le processus décisionnel d’un Etat, afin d’obtenir une modification de politique conforme aux intérêts de l’attaquant. Une opération militaire, même limitée géographiquement, ne bénéficie plus du silence des médias. Le champ informationnel des perceptions constitue donc une contrainte, mais aussi une opportunité pour les forces terrestres qui, si nécessaire, peuvent les placer au centre de leur manœuvre.

Mutations technologiques. L’appui des drones et robots aux forces terrestres va se développer d’ici à 2030, modifiant la conduite des opérations. Outre la connexion homme-machine à encadrer sur les plans éthique, juridique, technique ou doctrinal, les systèmes automatisés utiliseront l’intelligence artificielle. Ainsi d’ici à 2030, l’armée de Terre va disposer de « systèmes équipiers » qui conserveront l’homme dans la boucle décisionnelle. Les différents systèmes vont davantage collaborer entre eux, à savoir entre différents types de robots ou entre robots et drones, comme par exemple les robots ravitailleurs ou les essaims de drones à des fins de saturation de l’adversaire. Les forces terrestres françaises ne devraient pas employer de systèmes d’armes létales autonomes, mais pourraient s’y trouver confrontées d’ici à 2030. Ces armes seraient capables de déterminer l’ouverture du feu sur un champ de bataille sans intervention d’un opérateur. Ces mutations technologiques vont renforcer l’autonomie de décision du soldat, qui devra gérer une charge mentale accrue par les flux d’informations. Par ailleurs, par sa désorganisation sociale massive, la pandémie du Covid-19 a fait prendre conscience du risque biologique naturel. Cela implique le retour possible d’une menace nucléaire, radiologique, bactériologique ou chimique (NRBC). Au combat, l’appui NRBC est constitué de modules opérationnels avec des capacités de reconnaissance et de décontamination, aptes à suivre la manœuvre du niveau de la section jusqu’à celui de groupement tactique interarmes. En 2030, en cas de conflit de haute intensité, l’armée de Terre devrait disposer d’une masse de manœuvre formée, équipée et entraînée pour absorber le choc d’un événement NRBC dans les meilleures conditions possibles. La France excluant toute bataille nucléaire, l’arme nucléaire tactique ne saurait être la continuation des feux conventionnels. Toutefois, certains Etats, possesseurs de l’arme nucléaire ou susceptibles de l’être, pourraient quand même l’utiliser contre des postes de commandement, des unités blindées ou des points logistiques importants. Cela implique, pour l’armée de Terre française, des équipements adaptés, des installations de décontamination, des matériels spécifiques (dosimètres et véhicules étanches) et des procédures. Elle devra renforcer la discrétion de ses lieux de stationnement et mettre au point des entraînements dédiés.

Cadre interarmées. Afin de mieux connaître l’adversaire et avant qu’il ne puisse les évaluer, les forces terrestres participent à la chaîne interarmées du renseignement. En lien avec les autres services dédiés, elles mettent en œuvre une « posture permanente du renseignement et d’influence » qui contribue à la veille continue des principales zones d’intérêt. L’emploi combiné des capteurs aéroterrestres, opératifs et stratégiques, la reconnaissance de combat et les analyses du Centre de renseignement Terre participent à la levée du doute, en contribuant à créer de l’opacité chez l’adversaire. L’intelligence artificielle contribuera à l’analyse et l’exploitation du renseignement pour gérer l’environnement opérationnel, détecter les menaces et croiser les données collectées avec d’autres informations plus générales. La Direction du renseignement militaire fait aussi appel aux forces spéciales Terre (FST), également employées par le Commandement des opérations spéciales. Articulées autour des capacités de commandement, de renseignement, d’action et d’aéromobilité, les FST disposent d’une formation autonome et d’une « démarche innovation » spécifique. Leurs opérations portent sur : l’anticipation stratégique pour révéler les intentions adverses et donner un temps d’avance aux décideurs militaires ; les actions directes ou indirectes à vocation coercitive, alimentées par un cycle court du renseignement ; le modelage de l’environnement d’une crise. La capacité des FST à s’insérer dans les environnements amis, alliés partenaires ou ennemis renforce la liberté d’action d’une force conventionnelle terrestre. Elles peuvent ainsi façonner l’environnement à son profit tout en menant des actions de subversion, de partenariats ou de destruction d’objectifs-clés pour désorganiser l’adversaire. Les stratégies hybrides adverses agissent dans le cyberespace et les champs électromagnétique et informationnel. En conséquence, les forces terrestres comportent des unités spécialisées dans la lutte informatique offensive, défensive ou d’influence, conformément aux documents de doctrine interarmées spécifiques.

Loïc Salmon

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