Armée de l’Air et de l’Espace : encourager l’innovation pour vaincre et convaincre

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Dans le domaine aérien, l’innovation donne un temps d’avance sur l’adversaire, pour conserver la supériorité opérationnelle dans un contexte international marqué par une instabilité et des tensions croissantes avec des ruptures technologiques exigeant rapidité d’adaptation et agilité.

L’innovation a fait l’objet d’un colloque organisé, le 18 janvier 2024 à Paris, par le Centre d’études stratégiques aérospatiales. Y sont notamment intervenus : le général de brigade aérienne Arnaud Gary, directeur du Centre d’expertise aérienne militaire ; le général de brigade aérienne Jean-Patrice Le Saint, chef d’état-major du commandement des Forces aériennes stratégiques ; le général de brigade aérienne Jean-Luc Daroux, commandant la Brigade des forces spéciales Air ; l’astronaute Claudie Haigneré, ancienne ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles Technologies.

Un état d’esprit. Pour faciliter l’innovation et consolider la position de la France, estime le général Gary, il convient de briser les barrières pour encourager les échanges, détecter les opportunités du monde extérieur aux armées et en favoriser l’adoption rapide. L’innovation, qui stimule la créativité, consiste en la capacité à résoudre des problèmes concrets, améliorer les procédures existantes et envisager de nouvelles approches et utilisations. Via une plateforme, le Centre d’expertise aérienne militaire s’est doté d’un système de remontée des projets innovants, qui lui permet de connaître les idées du terrain, de les répartir dans des axes prioritaires d’innovation ouverte, puis d’en financer les plus utiles. Ainsi, deux dispositifs financiers ont été mis en place pour soutenir l’industrialisation des projets. Les « labels », espaces d’innovation, visent à structurer les idées pour donner vie aux concepts. Il s’agit, d’intégrer l’innovation, dont le domaine numérique, sous ses formes organisationnelle, opérationnelle, stratégique, institutionnelle, sociétale et même environnementale. Les changements et la transformation imposés par les nouvelles technologies du numérique, dont l’intelligence artificielle et le « cloud » (centre de données connecté à internet), amplifient considérablement les opportunités de progrès à tous les niveaux. En 2016, rappelle le général Gary, le ministère américain de la Défense a constaté un retard des forces armées par rapport aux grandes entreprises du numérique. Outre l’encouragement à l’innovation de terrain et la recherche de la primauté des forces armées dans ce domaine, il recommande de lutter contre l’immobilisme de son organisation qui résiste au changement. Le ministère a donc créé le « Defence Innovation Board » constitué d’une douzaine de dirigeants des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et de scientifiques de haut niveau, qui observent, donnent des recommandations et accompagnent les forces armées dans la durée pour modifier les structures et les règlements, identifier les nouveaux métiers et disposer de financements. L’innovation, souligne le général Gary, ne doit pas rester l’apanage de quelques dirigeants visionnaires et du personnel créatif sur le terrain, car l’ampleur des changements en cours et les conséquences des nouvelles technologies, remettant en question les processus et structures, nécessitent d’élever le niveau de connaissance de tous les acteurs. Il s’agit donc de former des personnels à la prise de risques et au traitement de la donnée par l’intelligence artificielle.

Les Forces aériennes stratégiques. Selon le général Le Saint, la dissuasion nucléaire aéroportée présente une double singularité par sa finalité de la défense de l’Europe et son cadre flou, car elle est entourée de mystère. Entre le test réussi de la bombe atomique française en 1960 et la mise à l’eau du sous-marin nucléaire lanceur d’engins Le-Foudroyant en 1974, de nombreuses innovations scientifiques, techniques, industrielles et opérationnelles ont été déployées. La dissuasion nucléaire, rappelle le général, consiste d’abord en une dialectique politique, technique et opérationnelle, afin de garantir une montée en puissance dans la cuirasse adverse et produire l’effet militaire souhaité sur l’objectif désigné. Cela repose sur un système militarisé : le missile à tête nucléaire qui allonge la portée du chasseur bombardier qui le transporte ; des infrastructures et des moyens de transmission spécifiques. L’innovation présente trois caractéristiques. La première porte sur la rupture dans la conception d’un nouveau système nucléaire à l’horizon d’une vingtaine d’années, comme le montre l’évolution entre l’avion Mirage IV, le missile de croisière, le réacteur du missile ASMP, le Mirage 2000N rénové en Rafale et le futur système de 5ème génération prévu en 2035. La deuxième caractéristique, dite innovation « systémique » (ensemble complexe d’interactions), concerne un système livré au meilleur état de l’art et de la performance et qui sera modernisé au cours de sa vie opérationnelle par les industriels et les armées dans une organisation très structurée. La troisième caractéristique porte sur le financement, la tenue des délais et les spécifications de performances. Il s’agit d’enjeux de crédibilité et de sûreté. Des réflexions sont en cours sur la 5ème génération, les futurs standards du Rafale, l’évolution du concept de mise en œuvre et la maintenance.

Les forces spéciales. Selon le général Daroux, l’état d’esprit des forces spéciales (FS) trouve son origine dans l’application sur le terrain des opportunités de laboratoire. Il consiste à penser et agir autrement. Les FS doivent trouver des solutions alternatives pour sortir des « angles morts ». La compétition leur impose d’innover pour survivre, là où les forces conventionnelles ne vont pas. Pour réussir leur évolution, elles doivent impérativement être en avance sur le mode opératoire et le plan technologique. Selon le principe de subsidiarité, la capacité à innover au quotidien est déléguée jusqu’au niveau le plus bas, à savoir le jeune caporal-chef commando. S’y ajoute la transversalité en interarmées entre aviateurs, marins, terriens et personnels du Service de santé des armées. Les solutions innovantes permettent de répondre en temps réel aux demandes du chef d’État-major des armées. Depuis leur création après la guerre du Golfe (1991), les FS ont capitalisé sur un vivier, en interne et dans les armées, d’opérateurs sélectionnés et en compétition qui favorise l’émulation et l’innovation. Ainsi, le Service de santé des armées a constitué une banque de données, qui se transmet de génération en génération. L’exposition aux risques, caractéristique majeure des opérations spéciales notamment pour la libération d’otages, implique un entraînement collectif où tous se connaissent. Le partage d’expériences garantit la réussite de la mission en petites unités et dans des temps très contraints. L’identité des opérateurs et leurs méthodes doivent rester secrètes.

Le spatial civil. L’astronaute Claudie Haigneré définit l’innovation comme un mélange de curiosité à découvrir l’inconnu avec une ouverture d’esprit au changement et un appétit d’apprendre en continu dans un monde en évolution constante et rapide. L’innovation implique une écoute ouverte et critique des concepts alternatifs ou de perceptions culturelles ouvertes. Sur un plan collectif comme l’aventure spatiale, l’innovation consiste à se fixer ensemble l’objectif de réussir la mission ou de résoudre un problème en s’appuyant sur cette intelligence collective et diversifiée. Dans le milieu spatial, l’innovation devient foisonnante, car immense. Les pouvoirs publics en ont encouragé les multiples interactions créatrices. Il convient d’identifier davantage les nouveaux partenaires du spatial privé. En outre, la réduction des coûts a favorisé la miniaturisation des plateformes et la réutilisation des vecteurs. Sur un plan plus général, la créativité peut aussi permettre de sortir des incertitudes. Enfin, conclut Claudie Haigneré, le progrès n’est que l’accomplissement des utopies.

Loïc Salmon

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