En raison de l’importance de sa présence économique en Afrique, la Chine doit protéger ses ressortissants et ses approvisionnements en matières premières. La lutte contre la piraterie lui permet d’entraîner sa Marine en haute mer et de développer des liens avec les pays riverains dans la durée.
La sécurité en Afrique de l’Est a été abordée au cours d’un séminaire organisé, le 21 mai 2014 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM). Y ont notamment participé Jean-Pierre Cabestan, directeur du département de sciences politiques de l’Université baptiste de Hong Kong, et Raphaël Rossignol, spécialiste des relations Chine-Afrique à l’École des hautes études en sciences sociales.
Diplomatie économique. La présence, déjà ancienne, de la Chine en Afrique s’est amplifiée depuis la fin des années 1990, explique Jean-Pierre Cabestan. Après y avoir évincé Taïwan en nouant des relations diplomatiques avec 50 pays sur 54, elle souhaite accroître son influence en Afrique et, par contrecoup, dans les instances internationales en proposant une politique de non-ingérence dans les affaires intérieures des États, une coopération entre pays de l’hémisphère Sud et un modèle de développement autoritaire. Soucieuse d’affaiblir la présence économique et l’influence politique de l’Occident sur le continent, elle se positionne juste derrière l’Union européenne, mais devant les États-Unis, la Turquie, le Japon et l’Inde. Les échanges bilatéraux sont passés de 12 Mds$ en 2000 à 198,6 Mds$ en 2012 et représentent 5,1 % du commerce extérieur de la Chine et 16,1 % de celui de l’Afrique. Les importations chinoises (113,3 Mds$ en 2012) sont constituées à 80 % de matières premières, dont 65 % de produits pétroliers et 15 % de minerais. Les exportations chinoises (85,3 Mds$ en 2012) portent surtout sur les biens de consommation (20 %), d’équipements (36 %) et intermédiaires (35 %). Les principaux pays partenaires de la Chine sont l’Afrique du Sud (30,2 % du total en Afrique) et l’Angola (18,9 %), envers lesquels sa balance commerciale reste déficitaire. La Chine trouve aussi en Afrique de nouveaux marchés pour ses entreprises de construction d’infrastructures et de télécommunications, qui y concluent le tiers de leurs contrats internationaux. La Chine réalise 40 % des projets financés par la Banque mondiale et 10 % de l’ensemble de l’investissement africain en infrastructures. Plutôt que de fournir une aide au développement, la Chine a longtemps préféré construire sur place écoles et hôpitaux. Elle pratique aussi la coopération « verrouillée » qui alimente l’endettement africain à son égard, indique Jean-Pierre Cabestan. Ainsi, en Angola, des projets, financés sans appel d’offres par la Banque chinoise pour le développement ou la Banque export import chinoise, sont réalisés par une entreprise chinoise avec de la main d’œuvre chinoise et payés en pétrole. Toutefois, le Gabon et le Tchad tentent de limiter la présence chinoise en restreignant les contrats avec les entreprises chinoises. Aujourd’hui, la Chine compte plus de 2 millions de ressortissants en Afrique et quelque 2.000 entreprises dans des zones devenues dangereuses, comme l’Ogaden, le Soudan du Sud et le Nord du Cameroun. Mais la méconnaissance du terrain et la faiblesse de ses moyens pour assurer leur protection rendent nécessaire une coopération avec les États-Unis et même l’Éthiopie, principale puissance régionale de l’Afrique de l’Est.
Conflictualité régionale. Raphaël Rossignol a déterminé cinq zones de conflictualité en Afrique de l’Est : Soudan, Éthiopie, Érythrée, Somalie et Djibouti. Au Soudan, un long conflit a débouché sur la partition du pays en 2011. Les deux Soudan sont parvenus à un accord sur le partage des ressources pétrolières. Un oléoduc relie Juba (Soudan du Sud), zone d’extraction, à Port Soudan (Nord), centre d’exploitation. Puis une guerre économique, déclenchée par Khartoum et portant sur le changement de monnaie en un délai trop court, a fait perdre 700 M$ à Juba, qui n’a pas encore réglé sa redevance d’exploitation et cherche désormais à écouler son pétrole vers l’Ouganda et le Kenya. L’Érythrée, indépendante de l’Éthiopie depuis 1993, est entrée en nouveau en conflit avec elle en 1998, lequel perdure de façon larvée. L’Éthiopie, qui occupe une place importante dans la région, est crainte par les pays voisins, qui redoutent une résurgence de l’ancien empire d’Abyssinie. La Somalie, qui n’a jamais été gouvernée par une autorité unique depuis le Moyen-Age, n’a pu, après la chute du pouvoir central en 1991, réaliser l’unité territoriale qui lui aurait permis de rivaliser avec l’Éthiopie. La République de Djibouti, indépendante de la France depuis 1977, est considérée comme stratégique par les États-Unis. C’est en effet le débouché méridional de la Corne de l’Afrique, où transite le commerce maritime international qui subit le préjudice de la piraterie.
Diplomatie navale. Sa participation à la lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden a fourni à la Chine une opportunité de s’affirmer sur les plans militaire et diplomatique, comme l’explique Raphaël Rossignol dans un document publié par l’IRSEM en 2013. Depuis décembre 2008, elle y envoie deux bâtiments de combat et un pétrolier ravitailleur pour escorter des navires marchands chinois, obligés de demander leur protection directement au ministère des Télécommunications à Pékin, qui transmet à l’État-major de la Marine. Cette opération nécessite des moyens logistiques importants, faute de disposer des facilités de la base navale de Djibouti comme les unités françaises et américaines présentes sur zone. Du fait de la nécessaire coordination de la surveillance du golfe d’Aden, cela permet aussi de nouer des liens avec les Marines du Japon et de la Corée du Sud, traditionnellement hostiles au développement de l’outil militaire chinois. En outre, mise en situation de crise réelle, la Marine chinoise acquiert ainsi une solide expérience en relativement peu de temps, en vue de futures missions à longue distance. Elle démontre aussi à la Marine de l’Inde, pays rival, sa capacité à opérer jusqu’en océan Indien. Par ailleurs, la Chine estime que son accès à la mer Rouge et au canal de Suez pourrait être, éventuellement, menacé par la présence de forces américaines en Égypte, à Djibouti, en Arabie saoudite, à Bahreïn, au Koweït, à Oman et dans les Émirats arabes unis, sans oublier les moyens militaires français stationnés à Djibouti et à Abou Dhabi. Enfin, la présence de sa Marine au large des côtes de Somalie permet à la Chine de reconnaître le terrain et de tenter de nouer des relations avec les États riverains, en vue du stationnement éventuel de troupes.
Loïc Salmon
Chine : montée en puissance plus diplomatique que militaire
Evolution et continuité de la gestion des crises en Afrique
Selon l’OCDE, les échanges commerciaux de l’Afrique ont augmenté de 708 % avec la Chine, de 506 % avec l’Inde, de 126 % avec l’Union européenne et de 122 % avec les États-Unis entre 2000 et 2009 (carte). En outre, d’après l’Association (américaine) de politique étrangère, les exportations de matières premières de l’Afrique ont crû de 2.126 % vers la Chine, de 402 % vers les États-Unis et de 119 % vers l’Union européenne entre 1998 et 2006.