Afrique : fraude et corruption des agents publics, des fléaux difficiles à éradiquer

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Fraude et corruption nuisent au développement de la plupart des pays africains, favorisent le crime organisé et participent au financement du terrorisme. Une lutte efficace implique l’action de l’Etat, accompagnée de dispositifs de prévention et de contrôle des bailleurs de fonds internationaux.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat, organisée le 11 mai 2017 à Paris, par l’Association des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont intervenus : Marianne Sivignon-Lecourt, directrice du département de contrôle permanent et de la conformité à l’Agence française de développement (AFD) ; Laurent Guillaume, ancien officier de police expert en lutte contre le crime organisé.

Situation endémique. La corruption consiste à s’enrichir personnellement par l’abus d’une charge publique, rappelle Laurent Guillaume. Très dissimulée en Europe, elle est devenue quasi légale en Afrique, notamment parmi les pays de la bande sahélo-saharienne qui connaissent la guerre, l’instabilité politique et la pauvreté. L’Etat ne représente rien pour la plupart des ethnies, qui ne comprennent pas la finalité de l’impôt, sans compter la dîme que s’octroient les percepteurs. L’Etat ne parvenant pas à investir suffisamment dans les services de sécurité, les réseaux mafieux se multiplient. En Afrique de l’Ouest, la corruption sévit surtout parmi les policiers, gendarmes, douaniers et…magistrats. Tout le monde s’en plaint, mais veut sa part du gâteau. Le douanier ou le policier doit entretenir toute sa parentèle pour ne pas déchoir au sein de la société. Des officiers de police judiciaire versent un bakchich à leur hiérarchie pour effectuer des missions dans la circulation routière, afin de pouvoir prélever une manne sur les chauffeurs de taxis ou de camions. Certains endroits restent interdits de contrôle pour que l’argent, récupéré dans la rue, remonte au sommet d’un système pyramidal. Formés à la lutte contre le trafic de stupéfiants dans le cadre de la coopération internationale technique, des policiers profitent de ce qui leur a été enseigné sur les méthodes des « dealers » pour s’y livrer à leur tour. Certains procèdent à des substitutions de passagers à bord d’un avion de ligne, avec le risque d’y introduire un djihadiste. Un avion, qui transportait 11 t de cocaïne et des narcotrafiquants colombiens, a été saisi au Mali. Mais des magistrats ont bloqué l’enquête, qui remontait jusqu’à des membres du cabinet du président de la République de l’époque, des députés et même un colonel de la Garde nationale … responsable de la sécurité de l’avion ! Dans les années 2000, le directeur général de la Douane au Mali, condamné pour trafic de drogue, avait retrouvé son poste à sa sortie de prison. Les entreprises étrangères paient les pots-de-vin pour s’assurer le passage en douane portuaire des marchandises (ciment et conteneurs), avec un tarif plus élevé pour les pays enclavés. Pratiquée directement à très haut niveau, la corruption (10-18 % de la valeur de la  marchandise) revient moins cher aux grandes entreprises, qui provisionnent en conséquence. Par ailleurs, les opérations militaires « Serval » et « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne ont entraîné un afflux d’instructeurs étrangers auprès des forces armées africaines. Payés 100-150 $/jour, ces derniers doivent en rétrocéder une partie au pays d’accueil !

Prise de conscience. Faire connaître la corruption nuit profondément à l’image des pays concernés et s’avère dissuasif. Selon Laurent Guillaume, les autorités politiques de plusieurs pays africains, dont le Mali, tentent d’y mettre un frein. A court terme, l’expert recommande : l’enseignement de la morale publique ; l’amélioration des traitements des fonctionnaires ; la stabilité politique ; le développement de médias indépendants ; la protection des lanceurs d’alerte. Cela implique un travail sur plusieurs décennies…qui commence à l’école !

Vérification et suivi. Tout euro qui ne correspond pas à une prestation réelle s’assimile à de la corruption, souligne Marianne Sivignon-Lecourt. L’AFD dispose de moyens  juridiques et matériels pour vérifier la bonne affectation des fonds et réduire la fraude le plus possible. Avec ses équipes à Paris, Marseille et dans 72 agences et représentations dans les pays en développement et les Outre-mer français, elle offre à ses partenaires des financements, des instruments d’analyse et de couverture du risque et une ingénierie de formation et de renforcement des capacités. Elle donne un avis de conformité sur tous les projets et procède à des enquêtes d’honorabilité, pour éviter tout blanchiment de l’argent du terrorisme. Les enquêtes portent sur toute la chaîne, du financement en amont jusqu’au bénéficiaire physique effectif, en passant par les entreprises, dirigeants et administrations. Au besoin, des cabinets d’intelligence économique iront poser les bonnes questions aux bons interlocuteurs. Les informations sur la fraude sont vérifiées par la communauté des bailleurs de fond. Les projets sont suivis, du niveau des Etats à celui des entreprises soumissionnaires de marchés publics, qui ont l’obligation de faire une déclaration d’intégrité. Lors de la passation des marchés, l’avis de non objection de la part de l’AFD lui permet de capter des informations. S’y ajoutent : les audits sur le bon usage des fonds ; les études des ONG ; les rapports de suivi technique ; les retours en interne, sous couvert d’anonymat, par des employés des entreprises qui ne respectent pas la qualité des matériaux prescrite (épaisseur du goudron ou armature métallique du béton par exemple). Les enquêteurs analysent ces informations pour confirmer ou infirmer la réalité des faits et déterminer des éléments de preuves, en vue de poursuites judiciaires. Ainsi en 2016, Proparco, filiale de l’AFD chargée des investissements privés, a détecté 12 cas de fraude ou de corruption avérée sur 53 cas remontés au département de contrôle permanent et de la conformité. Celui-ci émet alors des propositions de traitement de l’irrégularité et d’encadrement du risque, transmet une note à la direction générale de l’AFD ou même une déclaration de soupçon à Tracfin, organisme du ministère de l’Economie et des Finances chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent. Enfin, l’AFD, agent public, doit informer le procureur de la République de tout crime ou délit dont elle a connaissance.

Loïc Salmon

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Les engagements financiers étrangers de l’Agence française du développement (AFD) sont ainsi répartis : 50 % au continent africain, (4 Mds€ en 2016 et + 25 % en un an) ; 20 % en Asie et dans le Pacifique ; 20 % en Amérique Latine et aux Caraïbes ; 10 % aux Proche et Moyen-Orient. L’AFD finance des projets de croissance durable contribuant aux transitions majeures : démographique et sociale ; territoriale et écologique ; énergétique ; numérique et technologique ; politique et citoyenne. Pour 2011-2016, elle a lancé des projets aux impacts mesurables chaque année : soutien à 730.000 exploitations agricoles familiales ; installation de 665 MW d’énergies renouvelables ; accès à l’eau et à l’assainissement amélioré pour 1,2 million de personnes ; appui à 54.000 petites et moyennes entreprises ; scolarisation de 832.000 enfants.

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