La formation continue des forces de sécurité (police, douanes et vigiles aéroportuaires) s’avère indispensable pour contrer les trafics d’armes, qui prolifèrent dans les zones de non-droit et menacent la sécurité intérieure et le développement de certains Etats.
Ce thème a été abordé au cours d’un colloque organisé, le 15 mai 2019 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques, la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (ministère des Armées) et le Groupe de recherche et d’informations sur la paix et la sécurité (Belgique). Y sont notamment intervenus : Pascal Girault, chef du service des armes au ministère de l’Intérieur ; Stéphan Hoffert, directeur du développement à ICTS France ; Stéphanie Delgado Martin, Programme des nations unies pour le développement (PNUD) ; Philip Cook, Université de Duke (Etats-Unis).
Valeurs ajoutées technologiques. Rationnel, le criminel cherchant à acquérir une arme létale minimise d’abord ses propres risques, souligne Pascal Girault. Il évite la transaction par un intermédiaire, qui pourrait être surveillée par les forces de l’ordre et ne garantit pas la qualité de l’arme. La technologie des armes pour un usage d’homicide ou de tentative d’homicide allant plus vite que la réglementation, il pourrait recourir à l’impression 3D. Mais celle-ci nécessite de la matière première, une imprimante à coût variable de 100 € à 10 M€ et un schéma numérique accessible sur internet. Mais l’arme ne fonctionne pas toujours et peut exploser. La 3D présente aussi le risque pénal de fabrication illégale. Sur le plan technique, l’impression dure de 12 à 20 heures pour une arme en plastique et coûte plusieurs centaines de milliers d’euros pour une en métal. Une arme en plastique ne tire qu’un coup, qui la déforme. En outre, son schéma numérique ne se trouve guère à l’abri de défauts volontaires de la part de son auteur. Les armes de cinéma, provenant de stocks militaires et neutralisées, peuvent être réactivées. Certaines d’origine slovaque ont été vendues en France. Ainsi, l’un des auteurs de l’attentat de Charlie Hebdo en 2015 en a utilisé une. Les Etats de l’Union européenne renforcent le contrôle technique des armes de tir à blanc, neutralisées mais facilement transformables en armes réelles. De nouvelles normes européennes vont s’appliquer en 2020 aux armes d’alarme, qui tirent des projectiles de petits calibres. Faciles à acquérir, les armes anciennes sont classées en France dans la catégorie « B » (soumises à autorisation). L’auteur de la fusillade de masse (5 morts et 11 blessés) au marché de Noël à Strasbourg (2018) en a utilisé une vieille de cent ans. Le renforcement des normes internationales contraint criminels et terroristes isolés à se rabattre sur les armes de bas de gamme. Toutefois, le rapport qualité/prix semble plus favorable aux premiers, qui disposent de moyens financiers et logistiques plus élaborés.
Détection aux aéroports. Depuis l’arrivée des armes à feu en polymères (matières plastiques diverses), aucune prise de contrôle d’aéronef par des pirates armés exclusivement de pistolets Glock 17, difficilement détectables dans les aéroports, n’a été constatée, souligne Stéphan Hoffert. Un terroriste, un peu renseigné, échappe au contrôle primaire, à savoir les portiques de détection métallique et scanneurs à bagages. Le portique détecte des munitions composites de polymères et cuivre. Pour le scanneur à bagages à main, la faille vient de l’opérateur, surtout si l’arme y est dissimulée en pièces détachées ou s’il s’agit d’une arme d’un nouveau genre. Toutefois, sur un vol dit « sensible », certains passagers peuvent subir une inspection de filtrage renforcée (contrôle secondaire sur sélection) par palpation, magnétomètre, détecteur de traces d’explosifs, scanneur de chaussures et scanneur corporel. Ce dernier visualise les objets dissimulés par les vêtements et placé au contact du corps, mais pas celles dans les cavités naturelles, à savoir rectum, sillon fessier, ou entre des bourrelets de graisse abdominale. La palpation, différente de la fouille, consiste à toucher le corps à travers les vêtements pour détecter des objets suspects. La sélection de certains passagers se fait de façon aléatoire ou par détection d’un comportement estimé anormal. Cette dernière, dénommée « profilage de sûreté », se pratique avec succès en Israël depuis 40 ans. Des bases de données nominatives d’individus dangereux tenues par les services de police et de renseignement, sont accessibles aux services de sécurité aéroportuaires. Enfin, des passagers peuvent faire l’objet d’un troisième contrôle, par la police, lorsque le doute a été levé après une alarme lors des deux contrôles précédents. De fait, l’œil du personnel de terrain reste le meilleur détecteur, conclut Stéphan Hoffert.
Aspects socio-économiques. Dans la cadre de son projet d’appui à la réforme de la sécurité à Madagascar, le PNUD a procédé à une enquête sur les armes entre juillet et octobre 2017, indique Stéphanie Delgado Martin. Dans l’île, la possession d’une arme répond à plusieurs motivations : statut social ; tradition, chasse ; autodéfense ; protection des biens, récoltes et troupeaux ; criminalité. Difficile dans les zones urbaines, leur acquisition semble plus aisée dans le Sud pour diverses raisons : fabrication artisanale d’armes ; frontières poreuses et trafics via les ports ; participation présumée de certains membres de forces de sécurité et de défense aux trafics ; disparition d’armes lors des crises politiques ; brigands disposant de plus en plus d’armes ; corruption pour contourner les procédures onéreuses d’achat légal. La société malgache en subit les conséquences : pertes de zébus à la base de plusieurs rituels en zone rurale ; migrations forcées ; trafics de drogue et d’êtres humains ; insécurité des investissements. Les structures criminelles peuvent s’y installer sans se soucier des réactions de l’Etat et mener des activités comme l’extraction illégale de ressources naturelles et des trafics divers. Les solutions incluent : gestion et contrôle des armes ; recensement des armes ; amnistie pour collecter et régulariser les armes détenues par des civils ; renforcement de l’effort d’identification et de démantèlement des réseaux criminels.
Loïc Salmon
Selon Philip Cook, les armes légères et de petit calibre ont tué 40.000 personnes aux Etats-Unis en 2017, dont 24.000 suicides et 16.000 homicides. Ce chiffre, égal à celui des accidents mortels sur les autoroutes, correspond à 12 tués pour 100.000 habitants, proportion la plus élevée parmi les pays développés et 20 fois supérieure à celle de la France. Les agressions par balle s’établissent à 1 mort pour 6 blessés et les tentatives de suicide à 6 morts pour 1 blessé grave. En 1994, les 134.000 blessures par balle ont coûté 2,3 Md$ en frais médicaux (la moitié par financement public), soit l’équivalent de 5,3 Mds$ en 2019. S’y ajoutent les traumatismes psychiques parmi les survivants ou témoins d’une tuerie, entraînant des difficultés de concentration et d’apprentissage chez les jeunes et un taux de suicides plus élevé chez les adultes. Depuis 1999, 200.000 enfants se sont trouvés ainsi exposés dans des écoles ciblées. Ceux grandissant dans des environnements violents risquent invalidités physiques et troubles mentaux.
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