L’importation de minerais dits « critiques », indispensables aux industries civiles et de défense, crée une dépendance considérée par les États-Unis comme une menace pesant sur la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie. Pour la Chine, qui en possède, en raffine et investit dans leur production à l’étranger, ils sont devenus des éléments de richesse et de puissance.
Ce thème a fait l’objet d’une visioconférence organisée, le 21 septembre 2022 à Paris, par l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). Y sont notamment intervenus : David Amselem, cartographe chez Cassini Conseil ; Emmanuel Hache, directeur de recherche à l’IRIS. Guillaume Pitron, auteur du livre « La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique », fournit des informations complémentaires dans l’interview qu’il a accordé à l’IRIS le 26 juillet 2018.
Le contrôle des industries du futur. Les éoliennes, panneaux photovoltaïques, moteurs électriques et outils électroniques utilisent une trentaine de métaux rares, comme le tungstène et le cobalt, mais aussi d’autres moins connus comme le samarium, le gadolinium ou le dysprosium, indique Guillaume Pitron. Leur extraction coûte très cher et dégrade l’environnement. C’est pourquoi les États-Unis et l’Australie, qui disposent d’importantes réserves, n’ont pas toujours souhaité en poursuivre la production. En revanche, la Chine à investi à perte pour soutenir la pérennité de leur exploitation. Comme l’Indonésie et l’Afrique du Sud, elle n’a pas exporté les minerais vers les pays clients et a développé localement une filière intégrée. En raison de la disponibilité des ressources en Chine, les industriels occidentaux ont accéléré pendant plusieurs décennies les délocalisations de leurs outils de production, accompagnées de transferts de technologies et de brevets. La Chine est ainsi parvenue à dominer l’ensemble de certaines filières utilisatrices de métaux rares dans les nouvelles technologies de l’énergie et du numérique. Jusque dans les années 1980, la France avait développé l’extraction du tungstène, du manganèse et du zinc et était devenue alors l’un des principaux pays producteurs d’antimoine et de germanium. Outre la richesse de son sous-sol en Bretagne et dans le Massif central et les Pyrénées, elle dispose de réserves exploitables dans certaines zones économiques maritimes exclusives (Polynésie française et Wallis-et-Futuna).
L’inquiétude américaine. La chute de l’URSS et la fin de la guerre froide ont incité les administrations américaines à privilégier les approvisionnements de métaux sur les marchés mondiaux moins onéreux, explique Emmanuel Hache. En conséquence, le nombre de mines métallifères actives est passé de 640 en 1991 à 278 en 2020. Entre 1991 et 2021, les productions nationales ont diminué dans diverses proportions : – 40 % pour le cuivre raffiné à partir de minerais ; – 39 % pour les minerais d’or ; – 18 % pour les minerais de fer ; – 13 % pour le zinc raffiné ; – 79 % pour l’aluminium primaire. En 2021, la production de métaux et de minerais métallifères aux États-Unis se répartit ainsi : minerais de cuivre, 35 % ; minerais d’or, 31 % ; minerais de fer, 13 % ; minerais de zinc, 7 % ; autres minerais, 14 %. Huit entreprises américaines figurent dans la liste des 50 premières compagnies minières du monde, classées par capitalisation boursière : Freeport-McMoran pour le cuivre (5ème rang mondial) ; Newmont pour l’or (7ème) ; Southern Copper pour le cuivre, le molybdène, l’argent et le zinc (9ème) ; Albemarle pour le lithium ; Cleveland-Cliffs pour le fer ; Alcoa pour la bauxite et l’alumine et plus grand producteur d’alumine après la Chine ; MP Materials pour les terres rares ; Hecla Mining pour l’or et l’argent et plus grand producteur d’argent des États-Unis. En 2021, le taux de dépendance extérieure des États-Unis dans la chaîne de production de l’aluminium s’établit à 75 % pour la bauxite importée surtout de la Jamaïque, 55 % pour l’alumine importé surtout du Brésil et 45 % pour l’aluminium importé surtout du Canada. La même année, le taux de dépendance des États-Unis aux importations de minerai et métaux varie de 25 % pour le lithium à 48 % pour le nickel, 75 % pour le cobalt et 100 % pour le graphite naturel, le manganèse, le rubidium, le strontium et le vanadium. La Chine satisfait plus de 50 % de la demande américaine pour plusieurs minerais et métaux (voir encadré). En septembre 2020, le président Donald Trump avait souligné la menace constituée par cette dépendance d’adversaires potentiels pour les besoins en métaux critiques. En février 2022, son successeur Joe Biden a durci la stratégie des États-Unis et défini des priorités : accroissement de la production nationale de minerais et de métaux primaires ; développement du potentiel de recyclage et de la récupération des métaux ; diversification des sources d’approvisionnement extérieurs auprès des pays alliés et partenaires des États-Unis. Pour compenser la dépendance de la Chine, la « diplomatie minière » se concentre sur le Canada, l’Union européenne, l’Australie et le Japon.
Le poids de la Chine. Selon Emmanuel Hache, les ressources dites « incontournables » de la Chine portent sur l’aluminium, le chrome, le cuivre, le fer et le nickel. Les ressources « avantageuses » incluent l’antimoine, l’étain, le tungstène et les terres rares. Sont considérés comme « stratégiques » pour les industries émergentes l’aluminium, l’antimoine, le cobalt, le lithium, le molybdène, les terres rares, le tungstène et le zirconium. Très dépendante des approvisionnements extérieurs, la Chine investit aussi directement à l’étranger dans les secteurs des minerais et métaux (voir encadré). Entre 2005 et 2013, elle a réparti le financement de projets surtout dans 9 pays : Australie, 33 % ; République démocratique du Congo (RDC), 6 % ; Russie, 5 % ; Pérou, 4 % ; Brésil 4 %, ; Iran, 4 % et Indonésie 3 %. Puis elle a modifié sa stratégie sur 9 pays entre 2014 et 2021 : Indonésie, 15 % ; Pérou, 12 % ; RDC, 8 % ; Canada, 6 % ; Guinée, 5 % ; Chili ; 5 % ; Australie, 4 %. La part du reste du monde a augmenté, passant de 41% à 45 %.
Loïc Salmon
Deux cartes de David Amsellem présentent la géopolitique des métaux. La première montre les principaux pays exportateurs de minerais vers les États-Unis pour plus de 50 % de la demande américaine : Chine pour l’antimoine, l’arsenic, le bismuth, le gallium, le germanium, le magnésium et les terres rares ; Canada, potasse et tellure (métalloïde argenté) ; Brésil, alumine et niobium ; Chili, rhénium ; Argentine, lithium ; Jamaïque, bauxite ; Mexique, strontium. La seconde carte indique les pays où la Chine investit dans des projets relatifs aux minerais et métaux : Indonésie pour l’acier, l’aluminium et autres minerais ; Malaisie, acier, aluminium et autres ; Singapour, acier ; Thaïlande, acier ; Viêt Nam, acier ; Laos, autres minerais ; Birmanie, acier ; Philippines, acier ; Australie, acier, cuivre, aluminium et autres ; Papouasie-Nouvelle-Guinée, acier et autres ; Bangladesh, acier ; Inde, acier et autres ; Iran, acier et autres ; Azerbaïdjan, acier ; Tadjikistan, aluminium ; Kazakhstan, cuivre, acier et autres ; Kirghizstan, autres ; Mongolie, acier ; Russie, acier, aluminium et autres ; Ukraine, acier ; Serbie, cuivre, acier et autres ; Bosnie, cuivre ; Grèce, aluminium ; France, aluminium ; Suisse, acier ; Allemagne, acier et aluminium ; Pays-Bas, autres ; Grande-Bretagne, acier et autres ; Algérie, acier ; Libéria, acier ; Sierra Leone, acier ; Guinée, aluminium et acier ; Mali, autres ; Ghana, autres ; Cameroun, acier ; Congo, cuivre et autres ; République démocratique du Congo, cuivre et autres ; Ouganda, cuivre et acier ; Tanzanie, autres ; Mozambique, autres ; Zimbabwe, acier et autres ; Namibie, autres ; Afrique du Sud, cuivre et autres ; Argentine, autres ; Bolivie, acier ; Guyana, aluminium et autres ; Venezuela, aluminium ; Pérou, cuivre et acier ; Équateur, cuivre ; Jamaïque, autres ; Mexique, autres ; Canada, cuivre, acier et autres ; États-Unis, cuivre.
Stratégie : maîtrise des fonds marins, ambition et opérations
Etats-Unis : stratégie d’influence et politique étrangère
Chine : une stratégie d’influence pour la puissance économique