Le traumatisme psychique, qui résulte d’une confrontation à la mort dans la surprise et l’effroi, peut toucher les militaires en opérations, avec des conséquences potentiellement graves pour leurs proches et la population civile de leur lieu de résidence.
Le Service de santé des armées (SSA) a organisé un colloque sur ce sujet le 4 décembre 2013 à Paris, à l’Hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce avec la participation de plusieurs psychiatres et psychologues militaires.
« Serval » et le soutien psychique. Au cours de l’opération « Serval » au Mali en 2013, un dispositif « psy » est mis en place, indiquent le médecin en chef psychiatre Lionel Caillet et la capitaine psychologue Maryse Devaux. Des cellules psychologiques de deux personnels (un psychiatre et un psychologue) sont projetées sur le théâtre lors de la phase « exploitation en profondeur » dans le Nord. Parties de Bamako, elles se rendent à Tessalit (17-20 mars et 22-30 mars), Gao (18-21 mars et 16-22 avril), Tombouctou (3-17 avril) et Ouagadougou au Burkina Faso (5-14 mai). Cette phase de « Serval » est particulièrement meurtrière. Les forces françaises perdent 5 hommes, en raison des combats rapprochés, des zones piégées et de la détermination suicidaire des groupes armés djihadistes. Le personnel en poste fixe à Bamako assure permanence et précocité d’un recours aux soins spécialisés, évalue et prend en charge tous les rapatriés sanitaires. Le personnel mobile suit les groupes les plus exposés. En veille constante, il actualise le renseignement et l’information sur les situations d’expositions potentiellement traumatiques. Il établit un ordre de priorité sur les actions à mener et intervient en fonction de la disponibilité opérationnelle des unités et des moyens de transport. En tout, l’équipe médicopsychologique a procédé à 27 rapatriements sanitaires à la suite de 509 entretiens auprès de 350 militaires : 199 « débriefings » après un stress potentiellement traumatique ; 209 consultations auprès de 70 militaires pris en charge ; 101 « entretiens de liaisons » avec 81 militaires hospitalisés. Lors d’un combat violent ou du déclenchement d’un engin explosif improvisé, tout se passe de façon détaillée et comme au ralenti pour le militaire exposé qui vit un moment d’éternité, malgré la brièveté du choc traumatique. La perception d’une menace externe temporaire se transforme après en perception interne, douloureuse psychiquement, d’une menace permanente. Il s’agit alors de restaurer un sentiment de sécurité interne chez le blessé psychique.
Soins psychiques pendant « Pamir ». Lors de l’opération « Pamir » en Afghanistan, un dispositif de soins des « états de stress post-traumatique » (ESPT) a été mis en place auprès d’une unité parachutiste particulièrement éprouvée, relatent les médecins en chef Jean Houel et Gilles Tourinel. Sur 531 parachutistes projetés dans la vallée de la Kapisa de mai à novembre 2011, 11,3 % ont été en ESPT et 10,5 % ont présenté d’autres troubles psychologiques. L ‘équipe médicopsychologique de proximité a surtout interrogé les blessés, car les parachutistes consultent difficilement pour de tels troubles. Afin de consolider leur réinsertion, le Service de santé des armées a notamment recommandé une reprise du travail précoce, une adaptation des emplois, la reconnaissance de la blessure psychique et surtout d’éviter les congés de longue durée pour maladie… qui aggravent la « désocialisation » !
Plans d’action. Selon le SSA, en 2009, l’armée de Terre a mis en place à Chypre un « sas de décompression » pour les militaires en opération en Afghanistan et qui a fonctionné pendant les premiers mois de l’opération « Serval » au Mali. En 2011, a été établi un dispositif interarmées externalisé pour les familles et proches de militaires projetés en Afghanistan : numéro d’appel « vert » (voir encadré) et séances d’informations pour les familles avant le départ et le retour des unités en opérations extérieures. Le plan d’action 2013-2015 du SSA vise à : mieux sensibiliser les militaires sur la gestion du stress opérationnel et en prévenir les effets potentiellement délétères ; sensibiliser l’entourage du blessé psychique et coordonner les actions de soutien à ses proches ; coordonner les soins du service public de santé ; garantir une juste réparation des ESPT ; développer le soutien psychologique des forces spéciales, compte tenu de la confidentialité et des spécificités de leurs missions ; profiter de l’expérience des pays alliés et partenaires. Tous les personnels en opérations se trouvent soumis à un stress opérationnel résultant de facteurs complexes, nécessitant des adaptations permanentes et dont l’intensité varie selon les théâtres, le type de mission conduite, la durée et les risques associés. La tension nerveuse continuelle, le manque de sommeil, la fatigue et la rupture avec les repères sociaux et familiaux habituels peuvent affecter rapidement le potentiel opérationnel des militaires. En outre, à la suite d’un traumatisme psychique, des réactions psychopathologiques, observables après quelques heures ou quelques jours, durent souvent de 2 jours à 4 semaines. Ces symptômes peuvent persister et évoluer vers l’ESPT, véritable souffrance chronique. Les manifestations cliniques peuvent se révéler des mois ou même des années après l’événement traumatisant. La qualité du pronostic dépend d’une prise en charge thérapeutique précoce et de la qualité du soutien psychosocial, explique le psychiatre Patrick Devillières, chef du Service médico-psychologique des armées. Or, certains facteurs limitent l’accès aux soins des blessés psychiques : méconnaissance des symptômes, honte, culpabilité, crainte de la stigmatisation et peur de perdre son aptitude. Briser ces tabous nécessite d’écouter, d’informer et d’orienter les blessés psychiques vers les réseaux de soins. Le médecin présent dans les forces détectera les symptômes : cauchemars, irritabilité, insomnies, repli sur soi, changement de comportement, angoisse et sentiment d’oppression. Le parcours de soins du blessé psychique se termine par sa réinsertion dans la société. Enfin, les blessés psychiques sont désormais éligibles pour la médaille des Blessés (physiques).
Loïc Salmon
Blessés psychiques : agir vite, au plus près et de façon continue
Le plan d’action 2013-2015 du Service de santé des armées vise à garantir un soutien médical et psychosocial à tout militaire ou ancien militaire, victime de blessures psychiques du fait du service, ainsi qu’à son entourage. Entre le 20 janvier et le 3 décembre 2013, le numéro vert (appel gratuit et anonyme) 08 08 800 321 a reçu 308 appels dont 72 % correspondaient à une souffrance psychologique et 54 % à un état de stress post-traumatique (ESPT). Parmi les gens appelant pour un ESPT, 58 % étaient des militaires et 5% des appels concernaient des opérations datant de plus de 20 ans. Les 42 % des appels restants venaient de proches de militaires en ESPT, dont la moitié de conjoints et un quart de parents. Une absence de suivi médical au moment de l’appel a été constatée parmi 77 % des sujets en souffrance psychologique et 75 % de ceux en ESPT.