L’opération « Serval » s’est caractérisée par sa fulgurance tactique face à des adversaires idéologiquement motivés et aguerris. Elle a nécessité les forces spéciales, le « trinôme de mêlée » (hélicoptères, arme blindée et infanterie), « l’appui autour de l’avant » (génie, artillerie, aviation) et la continuité de la chaîne logistique.
Tel est l’avis exprimé par le général d’armée Bertrand Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de Terre, au cours d’un colloque organisé le 4 décembre à Paris. Parmi les nombreux intervenants, figurent : l’amiral Édouard Guillaud, chef d’État-major des armées ; le général de corps d’armée Bertrand Clément-Bollée, commandant des Forces terrestres ; le général de brigade Patrick Brethous, chef du Centre de planification et de conduite des opérations.
Le cadre politico-militaire. Le théâtre du Mali, où le rôle de l’armée de Terre est déterminant, constitue une référence comme ceux d’Afghanistan, de Côte d’Ivoire et de Libye, estime l’amiral Guillaud pour qui ils « augurent, d’ici à 2025, des engagements complexes avec une variété de moyens ». A l’instabilité du Maghreb, du Moyen-Orient et de l’Afrique, s’ajoutent la menace NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), le déni d’accès aéromaritime et la cyberguerre. A court terme, seront mêlés adversaire asymétrique, insurrection, trafics et terrorisme. L’opération « Serval » dégage plusieurs caractéristiques : objectifs clairs et soutenus par une forte détermination politique ; cadre national avec fourniture de l’essentiel des troupes au sol et de la totalité des frappes ; connaissance du milieu africain par le renseignement et le prépositionnement de troupes. La capacité d’intervenir hors de France permet d’exclure les facteurs « chance » et « hasard ». La difficulté des combats et l’élongation du territoire malien ont défini des critères stratégiques : réactivité du processus de décision au plus haut niveau politico-militaire pour une action effective 5 heures plus tard à 5.000 km de Paris ; points d’appui en Côte d’Ivoire et au Tchad ; pertinence des dispositifs d’alertes terrestre « Guépard », aérienne « Rapace » et navale « Tarpon » ; capacité d’engager une force avec son état-major et son soutien ; modèle d’armée complète pour un engagement aéroterrestre et national au Mali, alors qu’il était aéronaval dans le cadre de l’OTAN en Libye ; fulgurance de l’action par la simultanéité des frappes et la prise de risques calculés. Sur le plan opérationnel, « Serval » a montré : l’adaptation du soldat français au terrain, à la population et aux forces armées locales par son engagement quotidien au Sénégal et au Gabon ; la conjugaison de la rusticité et de la technologie pour le renseignement, la protection, la sécurité, le mouvement et la précision du feu ; l’intervention interarmées pour surprendre l’adversaire et le désorganiser en profondeur ; la maîtrise de la force par le renseignement, un processus décisionnel réactif et des règles d’ouverture du feu adaptées. Toutefois, l’amiral Guillaud a mentionné des fragilités dans le transport aérien, la logistique, les communications et le renseignement. Ainsi, 5 avions de surveillance ATL2 sont insuffisants pour assurer une permanence dans la durée. La boucle du renseignement doit être raccourcie pour fournir la bonne information au bon interlocuteur au bon moment, car l’adversaire se déplace vite. Enfin, conclut l’amiral : « C’est au sol que se gagnent les guerres. Réactivité, polyvalence et mobilité sont des atouts ».
Les facteurs de succès en amont. « L ‘épopée Serval restera une référence en matière opérationnelle », déclare le général de corps d’armée Bertrand Clément-Bollée, commandant des Forces terrestres. Ce succès tactique a été rendu possible par « l’intelligence de situation », explique le général : penser l’action future en utilisant le retour d’expérience, qui actualise l’évolution tactique liée à l’innovation technologique. Les chefs doivent acquérir l’autonomie tactique et les soldats l’aguerrissement, un bon niveau au tir et la capacité de porter les premiers secours. La préparation opérationnelle des troupes, étalée sur 48 mois et adaptée aux besoins, doit mener au plus haut niveau les soldats qui seront amenés à intervenir. Conduite dans des centres spécialisés, elle porte sur l’entraînement interarmes pour les missions de protection du territoire national, des forces de souveraineté (Martinique), des forces de présence (Gabon et Sénégal), de « normalisation » (Bosnie et Côte d’Ivoire), de stabilisation (Liban) et d’intervention (Afghanistan et Mali). L’acquisition et la conservation des savoir-faire de métier s’effectuent en garnison. Toute unité étant éligible aux opérations, elle participe à l’alerte « Guépard ». « Plus que prévoir les engagements futurs, souligne le général Clément-Bollée, il faut les permettre ! Nous serons sans doute parfois surpris, mais jamais démunis ».
La maîtrise du temps opérationnel. Il faut d’abord appréhender le temps politique pour adapter le temps opérationnel, explique le général de brigade Patrick Brethous, chef du Centre de planification et de conduite des opérations de l’État-major des armées. « Il faut agir vite, taper fort et le plus rapidement possible, dit-il, il faut s’adapter en permanence au besoin opérationnel, au terrain et à la réaction de l’adversaire ». L’anticipation stratégique, à savoir planification des opérations, renseignement et relations internationales, a commencé tôt : planification opérationnelle pour le Sahel dès 2009 ; celle pour le massif de l’Adrar en 2010 ; présence sur place des forces spéciales en 2011 et 2012 pour avoir une vision des mouvements djihadistes et identifier les cibles au sol ; positionnement d’un drone Harfang à Niamey en janvier 2013, avant le déclenchement de « Serval ». Après une décision rapide d’engagement, une permanence des échanges politico-militaires s’est instaurée. Enfin, les contraintes logistiques ont dû être maîtrisées : capacités limitées des aéroports de Bamako et Niamey ; transports par air et mer ; recours à des moyens civils ; appui aérien allié.
Loïc Salmon
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L’opération « Serval » (janvier-avril 2013) au Mali a été conçue, planifiée et exécutée en interarmées. Selon le général de corps aérien Thierry Caspar-Fille-Lambie, commandant de la Défense aérienne et des Opérations aériennes, 50 bombes ont été tirées d’avions de chasse lors de la phase de coup d’arrêt des colonnes djihadistes (11-19 janvier), 80 lors de celle de reconquête du Nord-Mali (20 janvier-8 février) et 130 lors de celle de neutralisation des groupes armés djihadistes (9 février-15 avril). A partir des aéroports de Bamako (Mali) et Niamey (Niger) les transports aériens sur le théâtre ont été réalisés à 47 % par les moyens français et à 53 % par ceux des pays partenaires. L’aérolargage de 250 parachutistes et de matériel sur Tombouctou (nuit du 27-28 janvier) a été réalisé en 9 minutes par des avions venus d’Abidjan. L’entrée en premier dans le massif de l’Adrar des Ifoghas (2-3 février) a mobilisé 1 drone Harfang, des avions de surveillance ATL 2 (Marine) ainsi que 2 Rafale et 4 Mirage 2000D qui ont effectué des frappes simultanées en moins d’une minute à 01 h du matin.