Les organisations terroristes, dont l’Etat islamique (EI) et Al Qaïda (AQ), disposent de structures de renseignement dédiées à la sécurité, la contre-ingérence, l’espionnage et la préparation d’actions spécifiques.
Ce thème a fait l’objet d’une étude réalisée en novembre 2018 par le colonel Olivier Passot, chercheur associé à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire. Le « califat » de l’EI, instauré sur une partie des territoires syrien et irakien, a été vaincu par une coalition internationale en mars 2019.
Les références. Les services de renseignement de l’EI et d’AQ doivent rechercher les informations permettant de garantir leur sécurité et d’assurer la protection des musulmans de la communauté. Ces deux missions justifient leur existence même, car les dirigeants djihadistes condamnent l’idée que des musulmans espionnent d’autres musulmans pour obtenir une information. La Confrérie des frères musulmans, créée en Egypte en 1928, a inspiré certains groupes djihadistes modernes pour la dimension secrète, la structure élitiste et les services rendus à la population pour gagner son soutien. Après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, AQ théorise les questions de renseignement et d’espionnage et préconise l’infiltration des différentes entités de l’adversaire : police, armée, partis politiques, compagnies pétrolières et sociétés privées de sécurité. Les agents doivent dissimuler leurs convictions religieuses et maintenir un contact régulier et discret avec leurs « officiers traitants ». S’ils sont démasqués, ils doivent lutter jusqu’à la mort pour éviter la capture. En cas d’infiltration par des espions, ceux-ci risquent une punition dissuasive s’ils sont découverts. Les auteurs djihadistes s’inspirent également des guerres révolutionnaires entreprises en Chine (1945-1949), Indochine (1946-1954) et Algérie (1954-1962) quant au soutien de la population, qui fournit communication, nourriture, recrues et renseignement. Ce dernier vise à la contrôler, démoraliser l’adversaire et intoxiquer les neutres. Le mouvement de libération cherche à installer le désordre, gripper la machine administrative, désorganiser l’économie et miner l’autorité de l’Etat. L’appel à la guerre révolutionnaire dans le monde arabo-musulman s’inscrit dans un environnement politico-militaire particulier, où le passage de sa civilisation de la grandeur au déclin en à peine un siècle a suscité ressentiment et angoisse. L’échec des Etats-nations, souvent autoritaires, issus de la décolonisation a renforcé l’engouement du projet islamiste mondial, propagé par la surenchère révolutionnaire. Ainsi, l’EI se veut plus islamique que l’Arabie saoudite et AQ. Pourtant, malgré les interventions militaires occidentales massives en Afghanistan (2001-2014) et en Irak (2003), AQ n’est pas parvenu à rallier les masses musulmanes.
Les ressources humaines. L’EI, l’AQ et les groupes djihadistes leur ayant prêté allégeance désignent leurs services de renseignement par l’appellation « Amni », qui correspond à « protection » et « sécurité » (voir plus haut). Les candidats à l’Amni recherchent la reconnaissance sociale, le goût de l’action, la perspective du pouvoir ou la possibilité de vivre intensément leur foi musulmane. Les considérations financières apparaissent comme secondaires. Aux Moyen-Orient, Sahel et Nigeria et dans la Corne de l’Afrique, le recrutement dépend de l’appartenance à des clans religieux ou à des ethnies spécifiques. Les Arabes détiennent les postes les plus importants. L’accès aux responsabilités repose sur des critères intellectuels et sociaux. Ainsi, les deux tiers des terroristes impliqués dans les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis avaient fréquenté l’université, dont deux étaient titulaires d’un doctorat. Les hautes fonctions sont confiées aux érudits ayant une connaissance approfondie du Coran. Les fonctions opérationnelles sont attribuées à des hommes ayant une expérience militaire ou sécuritaire ou disposant déjà de relais au sein de l’organisation djihadiste. Le commandement de l’EI sélectionne, pour servir de façon permanente dans l’Amni, des hommes ayant fait leurs preuves lors d’opérations militaires ou terroristes. Ces derniers, étant nommés par le chef et relevant directement de lui, en retirent un sentiment de supériorité sur les autres, à l’origine de tensions et de dysfonctionnements. Les gros bataillons de l’Amni n’assurent que des vacations et n’appartiennent pas aux diverses organisations djihadistes. Une première catégorie regroupe des fonctionnaires, vigiles et prestataires de services de sécurité ayant accès à des informations sensibles. La seconde rassemble des jeunes chômeurs, sans qualification et prêts à fournir une aide ponctuelle contre une modeste rétribution. Le vivier des vacataires s’étend aux femmes et aux enfants, moins contrôlés par les services de sécurité étatiques. Le passage du statut de vacataire à celui de permanent reste très rare.
Les moyens d’acquisition. Les organisations djihadistes acquièrent équipements et logiciels de traitement du renseignement sur le marché noir ou par l’intermédiaire de groupes criminels. L’EI avait mis en place un réseau logistique d’approvisionnement aux Philippines, en Somalie et en Turquie. Toutefois, l’entretien d’équipements de haute technologie s’avère compliqué, en raison de la furtivité et de l’isolement des organisations djihadistes et des conditions climatiques du Moyen-Orient et du Sahel (chaleur, sècheresse et vents de sable). Certaines ont acheté des équipements d’écoute de communications téléphoniques disponibles dans le commerce. Le Hezbollah (Liban), le Hamas (Gaza) et les talibans (Afghanistan) emploient des drones depuis 2010. L’EI en a utilisé à décollage vertical et capables d’évoluer dans des ruelles et à l’intérieur de bâtiments, pendant la bataille de Mossoul (2016-2017). Sur internet, les groupes djihadistes récupèrent des informations sur leurs cibles potentielles et pour réaliser techniquement leurs propres équipements et perfectionner leur organisation. Ils profitent des antagonismes Afghanistan-Pakistan, Irak-Turquie et Israël-Syrie pour bénéficier du soutien extérieur de pays limitrophes. Ainsi, les talibans sont informés par les services de renseignements iraniens et pakistanais.
Loïc Salmon
Aux agences américaines de renseignement qui suscitent fascination et rejet, les organisations djihadistes préfèrent les modèles du Moyen-Orient, surtout d’Irak et de Syrie, dont les sociétés, sont marquées par l’influence des services de sécurité. Celles-ci ont dû subir leur surveillance, coopérer avec eux ou en faire partie. L’Etat islamique et d’Al Qaïda préconisent en effet des mesures similaires : contrôle permanent de la société ; techniques de torture ; recours aux punitions collectives. Dès 2010, des officiers des services officiels ont rallié les organisations djihadistes. Ceux des forces spéciales leur ont apporté des techniques, des tactiques et une connaissance intime de l’ennemi. Cette transposition s’observe aussi en Libye et au Sahel. Toutefois, les transfuges militaires et policiers de rang subalterne n’ont acquis qu’une expertise limitée du renseignement.
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