La diffusion rapide de nombreuses technologies multiplie les risques, individualise la menace et profite à la criminalité organisée. La garantie de la souveraineté et de la capacité de défense des Etats dépend du renforcement des capacités actuelles et de la prise en compte des ruptures technologiques.
Une étude prospective à l’horizon 2030 a été rendue publique, le 20 avril 2017 à Paris, par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Voici les principaux thèmes traités.
Défense antimissile balistique (DAMB). Ce système militaire, qui vise à protéger forces armées, populations et territoires, remplit deux types de missions : la défense de théâtre contre les missiles de portée de quelques centaines de km à 1.500 km ; la défense de territoire contre les missiles de portée intermédiaire (jusqu’à 5.500 km) et intercontinentaux (au-delà), plus difficiles à intercepter. Le système repose sur quatre piliers : alerte avancée (satellites et radars) pour caractériser la menace ; système de commandement et de contrôle pour gérer toutes les informations ; senseurs pour déterminer avec précision les trajectoires de missiles et faire la différence entre les ogives armées et les leurres ; missiles intercepteurs par impact direct ou détonation à proximité. Une DAMB exige trois conditions : possibilité de proposer aux autorités politiques les paramètres de décision dans des délais très brefs ; disposition des technologies de détection, de suivi et d’interception ; capacité d’analyse des informations et de mise en œuvre d’une chaîne opérationnelle efficace. En 2030, les Etats-Unis conserveront la maîtrise de l’ensemble du spectre de la DAMB. L’OTAN poursuivra le développement de la sienne pour protéger son flanc Nord-Est, le flanc Sud étant déjà couvert en 2017. La Russie aura modernisé sa DAMB et la Chine aura rendu la sienne opérationnelle. La relative facilité de détection des missiles à courte et moyenne portées devrait inciter l’Inde et le Pakistan à se lancer dans une course à l’armement, pour préserver la crédibilité de leur dissuasion nucléaire. La France pourrait se spécialiser dans les capacités de basse couche atmosphérique, dans le cadre de coopérations européennes.
Dissuasion nucléaire. En 2017, neuf pays conduisent des programmes nucléaires à des fins militaires : Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne, France, Chine, Inde, Pakistan, Israël et Corée du Nord. En 2030, la DAMB ne représentera pas encore une alternative crédible à la dissuasion. Toutefois, l’apparition des vecteurs hypervéloces sera déstabilisante (voir plus loin) : leur emploi en version conventionnelle (Etats-Unis) ou nucléaire (Chine) va créer un risque de méprise. A cette date, l’Iran, qui sera libéré de l’accord international sur son programme nucléaire militaire de 2015, disposera de missiles capables d’atteindre l’Europe. De nouveaux types de sous-marins nucléaires lanceurs d‘engins arriveront dans les Marines américaine (12 submersibles en service), britannique (4) et française (4).
Terrorisme et menaces NRBC. Le terrorisme djihadiste devrait persister en Europe en 2030, en raison notamment de l’insécurité en Afrique de l’Ouest et du Nord. Les groupes terroristes tentent, déjà, d’acquérir tout type de substances nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC). Dans le cyberespace, ils vont essayer de voler ou de détruire des données, d’attaquer des sites gouvernementaux ou privés, et de dérégler les logiciels de fonctionnement d’infrastructures vitales (métros, aéroports, hôpitaux, bourses, etc.).
Vecteurs hypervéloces. Il s’agit d’engins dépassant la vitesse de Mach 5 (6.120 km/h) : planeurs accélérés par un missile balistique puis volant selon une trajectoire non balistique ; missile de croisière se déplaçant à 30-40 km d’altitude. Leurs missions portent sur la dissuasion nucléaire, les frappes stratégiques conventionnelles, le déni d’accès et l’interdiction de zone. France, Russie et Chine privilégient la dissuasion nucléaire, les Etats-Unis préférant des frappes conventionnelles sous faible préavis. En outre, Chine, Russie et Inde semblent s’orienter vers l’interdiction de vastes zones maritimes pour en contrôler les lignes de communications.
Militarisation de l’espace. Multiplicateur de force pour les capacités militaires conventionnelles, l’espace présente des enjeux stratégiques : télécommunications ; géolocalisation ; accès à l’information ; météorologie ; océanographie ; cartographie ; évolution climatique ; organisation de secours en cas de catastrophe naturelle. Etats-Unis, Chine et Russie devraient entretenir un rapport de force dans l’espace avec des volets offensif et dissuasif. Les Etats-Unis pourraient y déployer des systèmes d’armes aux fins de légitime défense, représailles et frappes préventives. Russie et Chine auront développé leurs capacités de surveillance. L’Inde pourrait privilégier le partage de données avec les Etats-Unis et coopérer avec le Japon et l’Union européenne.
Neurosciences. Il s’agit de l’ensemble des disciplines scientifiques et médicales relatives à l’étude de l’organisation et du fonctionnement du système nerveux. De nouveaux outils et méthodes d’intervention seront développés, grâce aux nano-biotechnologies, aux sciences de l’ingénieur et à l’informatique. Les neurosciences permettront la mise au point d’ordinateurs plus performants et de robots « intelligents », mais aussi l’accroissement des performances physiques ou cognitives humaines (« homme augmenté »). Etats-Unis, Chine, Russie et Israël auront probablement déployé des systèmes innovants au sein de leurs forces armées : implants pour augmenter l’acuité visuelle ou auditive ; dispositifs d’électrostimulation cérébrale pour opérer dans un environnement complexe ; interface cerveau-machine pour utiliser des « exosquelettes » ou piloter drones ou robots pour le déminage d’engins explosifs improvisés.
Champ de bataille « 3.0 ». Capables d’une très grande précision, les robots réalisent des analyses plus rapides et statistiquement plus prévisibles que celles d’un être humain, surtout s’il se trouve en état de tensions nerveuse et physique. Les armes à énergie dirigée amorceront une révolution militaire comparable à l’apparition de la poudre à canon. Les Etats-Unis et la Chine devraient en disposer ainsi que des systèmes d’autoprotection laser pour leurs avions militaires. Ces systèmes seront probablement généralisés sur les navires de combat des grandes Marines. Les nanotechnologies donneront, aux forces terrestres, des facilités de déplacement et des améliorations de la protection et du soutien médical.
Loïc Salmon
Espace : sécurisation en question et dissuasion nucléaire
Drones et armes hypersoniques : futurs enjeux de puissance
Exosquelette « Hercule » : du prototype militaire à la série civile
Facteurs politiques, démographiques et économiques entraînent des risques importants de déstabilisation et de crises, même dans les pays développés. La technologie devient enjeu, arbitre et perturbateur des équilibres stratégiques. Intitulée « Chocs futurs », l’étude du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, réalisée avec la Fondation pour la recherche stratégique, propose des pistes de réflexion aux administrations et « think tanks ». L’horizon 2030 est considéré comme raisonnable pour les politiques publiques.