Zone de transit des hydrocarbures du Moyen-Orient vers l’Europe et l’Extrême-Orient et du commerce entre ces deux entités, l’océan Indien est aussi traversé par les câbles sous-marins d’internet, indispensable à l’économie mondiale et aux opérations militaires.
Il a fait l’objet d’un colloque organisé, le 7 février 2019 à Paris, par le Centre d’études stratégiques de la marine et la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Y sont notamment intervenus : le contre-amiral Didier Piaton, commandant des forces françaises en océan Indien (Alindien) en 2016-2018 ; Vivien Fortat, économiste au « think tank » Asie 21 ; Gilles Boquerat, chercheur à la FRS ; Cédric Marteau, directeur de l’environnement des Terres australes et antarctiques françaises.
Une zone d’intérêts français. L’océan Indien couvre 22 Mkm2, soit sept fois la superficie de la Méditerranée, souligne l’amiral Piaton. La guerre au Yémen rappelle l’importance stratégique du détroit de Bab el-Mandeb pour les échanges maritimes mondiaux, mais aussi de ceux d’Ormuz, de Malacca, de la Sonde et de Lombok, des canaux de Suez et du Mozambique et du cap de Bonne-Espérance. La France déploie en permanence au moins un bâtiment de combat en océan Indien. Sa Marine est présente à : l’île de La Réunion avec 2 frégates de surveillance, 1 navire de ravitaillement polaire et 1 bâtiment multi-missions ; Djibouti, 2 chalands de transport de matériel et des forces spéciales ; Abou Dabi, siège de l’état-major d’Alindien, avec autorité sur 1 escadron de chasse aérienne, 1 régiment et 1 base navale pour les sous-marins. Une quinzaine de pays assurent une coopération opérationnelle pour sécuriser les voies maritimes stratégiques, dissuader toute attaque d’un Etat, en l’occurrence l’Iran, et pouvoir évacuer des ressortissants vers Djibouti. De son côté, l’Iran déploie en permanence un bâtiment en mer Rouge. La lutte contre la piraterie depuis 2008, consécutive à la faillite des Etats somalien et yéménite, a entraîné une présence navale de la Chine, de la Russie, des Etats-Unis, de l’Allemagne, du Japon, de l’Espagne, de l’Italie et de l’Union européenne. Le quartier général de l’opération européenne « Atalante », mise en œuvre à partir de Djibouti pour lutter contre la piraterie en océan Indien, sera transféré de Grande-Bretagne en Espagne. La lutte contre le trafic de drogue, notamment le cannabis et l’héroïne venant d’Afghanistan et destinés à l’Amérique du Nord, implique une coopération avec les Etats-Unis. Ceux-ci dirigent la force maritime multinationale combinée à partir de Bahreïn. Ils participent à la surveillance de l’océan Indien via deux commandements : l’un de l’Europe au Pakistan, l’autre de l’Inde à l’océan Pacifique. Mines, explosifs télécommandés et missiles antinavires artisanaux font l’objet de trafics entre Oman, Somalie, Inde, Pakistan, Iran et Afghanistan. L’Australie déploie un navire de combat en océan Indien, en raison de ses intérêts en Afghanistan et en Irak. L’Inde coopère avec la France pour le renseignement naval. Selon l’amiral Piaton, la Chine lance une frégate/mois et un sous-marin/an et a construit un tonnage équivalent à celui de la Marine française en…4 ans ! Sa base navale à Djibouti va accueillir 4.000 militaires et des sous-marins.
Les routes maritimes de la soie. En 2013, la Chine annonce son projet de « Nouvelles Routes de la Soie » vers l’Europe, pour diversifier ses liquidités financières en dépendant moins des bons du Trésor américain et utiliser ses surplus industriels, explique Vivien Fortat. Ce projet répond aussi à des objectifs stratégiques : sécuriser ses voies d’approvisionnement en énergie et matières premières ; réagir à la politique des Etats-Unis d’endiguement de son influence à l’étranger ; volonté de retrouver son rang de grande puissance sur les plans économique, diplomatique et militaire. La stratégie chinoise du « collier de perles » passe par la construction d’infrastructures portuaires en Birmanie, au Pakistan, aux Maldives, au Sri Lanka, au Bangladesh, à Djibouti, au Mozambique et au Kenya. Elle inclut des accords de financement, de construction et d’exploitation dans les télécommunications, l’énergie et les transports. Dans les zones économiques spéciales chinoises, les entreprises désireuses de s’implanter dans certains pays du Golfe et en Afrique bénéficient d’exemptions fiscales. Le projet des « Nouvelles Routes de la Soie » présente des spécificités chinoises : le commerce plutôt que la force ; aucune concertation avec les pays concernés avant l’annonce ; aucun objectif ni itinéraire précis pour pouvoir s’adapter en cours de route ; financements souples, à défaut d’être performants ; porosité public/privé ; infrastructures maritimes duales, civiles et militaires. Cette influence permet à la Chine de bloquer certaines dispositions des organisations internationales à son encontre. Mais les dépendances financières et techniques ainsi créées induisent des risques en matière de sécurité, d’islamisme radical et de rejets par les opinions publiques.
L’Inde et son océan. Outre 7.517 km de côtes et une zone économique exclusive de plus de 2 Mkm2, l’Inde dispose d’une diaspora de 6-7 millions de ressortissants en Asie du Sud-Est, Australie et Nouvelle-Zélande, indique Gilles Boquerat. Entre 1964 et 1985, elle a construit 2 bases navales et 3 bases aéronavales sur les îles Andaman et Nicobar dans le golfe du Bengale. Selon la doctrine maritime de 2015, sa Marine doit : assurer la défense côtière face au risque terroriste ; affirmer une présence du canal de Mozambique au détroit de Malacca par le déploiement de bâtiments et l’installation de stations d’écoute dans les Etats insulaires, pour lutter contre la piraterie et les trafics d’armes et de drogue ; sécuriser les voies maritimes stratégiques ; développer des partenariats régionaux. Son plan d’armement naval de 2017-2027 prévoit de passer de 138 bâtiments de surface et sous-marins à 212 et de 235 aéronefs à 458. Les chantiers navals, en cours de modernisation, construisent : 2 porte-avions pour compléter celui en service ; un 3ème sous-marin nucléaire lanceur d’engins ; 6 sous-marins d’attaque à propulsion diesel-électrique Scorpène, sous licence française ; des corvettes, frégates furtives et destroyers.
Loïc Salmon
Selon Cédric Marteau, les terres australes et antarctiques françaises (TAAF) s’étendent sur 670.000 km2 au sein d’une zone économique exclusive de 2,3 Mkm2. Administrées par un préfet à Saint-Pierre de La Réunion, elles se répartissent entre les Iles Eparses (5 îlots coralliens), les Iles Australes (Crozet, Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam) et le district de la Terre Adélie. La pêche (légine australe autour de Crozet et Kerguelen et langouste au large de Saint-Paul et Amsterdam) est autorisée pour seulement 8 navires qui embarquent des contrôleurs du Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Cette activité génère 400 emplois directs et environ 1.000 indirects. La surveillance des TAAF est assurée par les Douanes et la Marine. Celle-ci met en œuvre des « albatros patrouilleurs », capables de parcourir 8.000 km/jour. Equipés d’une antenne de réception GPS et d’un radar sans système automatique d’identification, 140 albatros couvrent une zone de 25 Mkm2 autour des Iles Australes, de manière aléatoire, et y détectent tous les navires militaires.
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