L’arme du train est engagée dans les opérations extérieures (Opex) au même titre que les forces spéciales et l’aérocombat, avec des dimensions interarmées et internationales.
Le général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de Terre l’a souligné au cours d’un colloque organisé, le 4 février 2016 à Paris, par les Écoles militaires de Bourges (train et matériel) à l’occasion du centenaire de la bataille de Verdun. Y sont aussi intervenus : le général de brigade (2S) Jean-Marc Marill, historien de la Grande Guerre ; le général de division Bernard Barrera, commandant de la brigade « Serval » au Mali (2013) ; le colonel Roberto Ramasco, adjoint pour le soutien interarmées lors de l’opération « Sangaris » en Centrafrique (2015) ; le colonel Bruno Depré, chef du bataillon logistique de l’opération « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne (2015).
La « Voie Sacrée » de Verdun. Un maillon fragile peut mettre en péril tout un dispositif, rappelle le général Bosser. Il souhaite un commandement spécifique avec un état-major et un PC, chargés d’organiser la formation, l’entraînement et la préparation opérationnelle de 7 escadrons de logistique, comme en 1914. Il a cité le général allemand Ludendorff (1918), selon lequel Verdun fut la victoire du camion français sur le wagon allemand. Cette victoire résulte de la constitution de la « Voie Sacrée » entre Bar-le-Duc et Verdun (57,2 km), rappelle le général Marill. La bataille de Verdun, (21 février-18 décembre 1916) a fait l’objet d’un « tourniquet » de relèves, pour ménager les troupes, et d’un flot logistique inconnu à cette échelle. La Commission régulière automobile, créée dès le 20 février, a pour mission d’acheminer hommes, munitions et matériels. Les vivres et le fourrage des chevaux sont transportés par voie ferrée. Le général Pétain, commandant en chef à Verdun, institue une véritable noria pour alimenter le champ de bataille et en retirer en priorité les blessés, gage du moral du combattant. Quelque 200.000 blessés sont évacués par ambulances et voie ferrée entre mars et juin. Artère vitale, la « Voie Sacrée » est empruntée par 3.500 camions (répartis en 42 groupes), 800 autobus, 2.000 véhicules légers et 500 tracteurs d’artillerie pour acheminer, au plus fort de la bataille, 90.000 hommes et 50.000 t de ravitaillement par semaine. Les chauffeurs conduisent quotidiennement 18 heures pendant 10 jours. Au total, 2,4 millions d’hommes et 2 Mt de ravitaillement sont passés par la « Voie Sacrée ». L’armée française, devenue une référence mondiale, forme les troupes américaines à la logistique et la gestion des flux dès 1917. Lors de la guerre du Golfe de 1991, l’armée américaine s’inspire du remodelage à la française du champ de bataille de Verdun.
Les contraintes de « Serval ». Faute de logistique, l’opération « Serval » se serait arrêtée au bout de deux jours, estime le général Barrera, qui s’était souvenu de la « Voie Sacrée ». La logistique, fonctionnelle au début, est devenue opérationnelle par la suite. La phase de reconnaissance offensive au Mali (11- janvier-7 février 2013) se caractérise par la rapidité de la manœuvre tactique et des élongations de zones de combat de 500 km à 1.500 km. Il s’ensuit une logistique des flux tendus, en limite de rupture, pour assurer : l’autonomie des groupements tactiques interarmes ; l’approvisionnement par voie aérienne et « poser d’assaut » ; le maintien d’un dispositif de santé évolutif. Il y a eu en effet : ruptures de tirs d’artillerie pendant 2 heures, faute d’arrivage d’obus par avions puis hélicoptères ; « cannibalisation » de vieux camions maliens et entre véhicules français pour pallier les divers ennuis mécaniques. Dans son « barda » de 40 kg, chaque combattant n’emportait que 2 jours de réserve d’eau, alors que la température atteignait 50° C. Il a fallu assurer l’acheminement de 20 t d’eau par jour. Par précaution, 70 t de pièces détachées pour hélicoptères ont été acheminées lors du départ de France. A partir du 8 février, la brigade Serval, stabilisée, a pu rattacher ses unités à des bases logistiques à Bamako, Gao et Tessalit. Le soutien a reposé sur : des approvisionnements par voie routière avec des trajets de 4 à 6 jours aller-retour ; la création et la consolidation des stocks ; un maillage santé stabilisé ; une maintenance de proximité pour les matériels. Outre le ravitaillement des troupes tchadiennes, il a fallu procéder aux évacuations sanitaires des blessés et des cas de gastro-entérite et de coups de chaleur. Le « soutien de l’homme », pour durer, n’a pas été oublié : 1 oignon (vitamines complémentaires de la boîte de ration) et 1 bière légère par personne et par semaine ; une douche tous les 3 jours ; 5 minutes de communication aux proches par semaine dans les PC. La France dispose d’une organisation logistique modulaire et interopérable, mais le système D (débrouillardise sans moyens conséquents) persiste et l’aide des alliés devient incontournable (avions gros porteurs), estime le général. Enfin, l’externalisation de certains services logistiques reste limitée, en raison des mines et de l’intensité des combats.
Conditions du succès. Les enseignements de « Serval » ont été pris en compte lors de l’opération « Sangaris » et du soutien à partir de Bangui, précise le colonel Ramasco. Le détachement logistique a dû soutenir 1.800 personnels, 750 véhicules, dont 191 blindés, et 15 aéronefs. Pays enclavé à 6.000 km de la France, la Centrafrique est desservie à partir du Cameroun par un grand axe routier et des routes secondaires. Pendant la saison des pluies (mi-juin/mi-décembre), le temps de trajet étant multiplié par 3, leur observation par satellite météorologique est indispensable. Le camp militaire de M’poko (Bangui), où atterrissaient les avions gros porteurs (Antonov et C17), ayant été attaqué, le détachement de soutien a entretenu un dialogue permanent avec le Centre de planification et de conduite des opérations à Paris. Au niveau opératif (théâtre), la logistique opérationnelle représente 25 % de la force engagée. De son côté, le colonel Depré a présenté le retour d’expérience logistique pour maintenir un tempo élevé à l’opération « Barkhane ». Le bataillon logistique déployé doit remplir plusieurs critères : entraîner son personnel et entretenir les matériels ; être capable de conduire une mise en condition avant projection et de s’engager d’emblée ; intégrer les fonctions logistiques au niveau interarmées ; rester le pion unique de la manœuvre logistique.
Loïc Salmon
« Serval » : manœuvre aéroterrestre en profondeur et durcissement de l’engagement
Centrafrique : l’opération « Sangaris » au niveau « opératif »
Depuis les guerres napoléoniennes (1800-1814), l’arme du train permet aux forces terrestres de se projeter sur les théâtres d’opération et de mener leurs missions dans la durée. Elle garantit leur autonomie en organisant et coordonnant l’ensemble des mouvements et des ravitaillements. De leurs garnisons jusqu’au théâtre, elle achemine : une partie des moyens des forces, à savoir véhicules, pièces de rechange, carburants et munitions ; les ressources nécessaires à la vie en opération, c’est-à-dire vivres de combat, eau, ameublement et couchage de campagne, effets de protection balistique et vêtements spécifiques. Sur le théâtre d’opération, l’arme du train met en place les zones logistiques et assure l’acheminement des ressources vers les zones de combat.