La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre

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La géographie, représentation du monde, est aussi un savoir et un raisonnement pour penser les complexités de l’espace terrestre. La géopolitique porte sur les rivalités de pouvoir sur un territoire donné.

Ce credo du professeur Yves Lacoste l’a conduit à concevoir la géographie autrement, en intégrant les pouvoirs, acceptés ou combattus, des populations en raison de l’histoire qu’elles se racontent, des représentations d’un passé plus ou moins lointain et d’un passé plus ou moins proche. La guerre géographique, avec des méthodes différentes selon les contrées, peut être mise en œuvre dans tous les pays. Elle a été notamment appliquée pendant la guerre du Viêt Nam, surtout en 1972, selon un plan américain de destruction systématique des digues de protection des plaines, très peuplées, du Nord. Des frappes précises, avant un cyclone, auraient provoqué des fissures, puis des inondations…qui auraient paru naturelles ! Yves Lacoste, sur place à l’époque, l’a démontré, carte à l’appui, dans un article publié dans le quotidien Le Monde. Le retentissement international fut tel que les bombardements des digues furent interrompus. En 1976, le professeur écrit un petit livre intitulé « La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre », qui sera réédité avec des ajouts en 2012. Il y explique que cette discipline permet de mener des opérations militaires et d’organiser des territoires, en prévision de futurs combats et du contrôle des populations par l’appareil d’État. Par ailleurs, la recherche en géographie appliquée s’est développée aux États-Unis avec des moyens considérables, publics et privés, dans le prolongement des études de marché des économistes. Les grandes entreprises et les banques ont pu ainsi décider la localisation de leurs investissements sur les plans régional, national ou international. En outre, cet outil est devenu indispensable pour des interventions militaires rapides dans les lieux les plus divers, par suite de l’expansion mondiale des intérêts américains. L’URSS d’abord et la Chine ensuite ont suivi l’exemple des États-Unis. Les monographies régionales du tiers monde, réalisées par des géographes, anthropologues et sociologues, présentent un grand intérêt pour les services de renseignement, qui les mettent à jour méthodiquement. Les recherches théoriques ont rendu possible la mise au point de techniques de cartographie automatique : l’ordinateur établit instantanément des cartes de tous les mouvements détectés par des capteurs électroniques. Ainsi, la vallée de Jérusalem se trouve sous la surveillance d’un système américain aux dimensions planétaires, pour la protéger d’éventuels tirs de fusées iraniennes à longue portée. Le développement de l’infographie a permis la publication, dans la presse, de cartes détaillées avec des légendes très documentées. En 1976 également, Yves Lacoste crée la revue Hérodote, du nom de l’historien grec (484-420 avant JC) qui a analysé les guerres médiques. Cette revue, dont 151 exemplaires ont été publiés entre 1976 et 2013, rencontre un grand succès dans les milieux diplomatiques étrangers et a valu à son fondateur le prix international « Vautrin Lud », une sorte de prix Nobel de la géographie, en 2000 au Festival de Saint-Dié. Le professeur Lacoste place Hérodote en tête de tous les géographes et historiens car, selon lui, le véritable raisonnement géographique est indissociable du raisonnement historique.

Loïc Salmon

Guerre de l’information et information de guerre

Le cyberespace : enjeux géopolitiques

Prix Brienne du livre géopolitique 2014

« La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre » par Yves Lacoste. Éditions La Découverte/Poche, 250 pages, 11 €.

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