Pendant la guerre froide, tous les grands pays ont renforcé leurs services de renseignement (SR). Pourtant, les dirigeants politiques ont souvent sous-utilisé leur production, pour des raisons diplomatiques ou ne débouchant pas sur une décision politique concrète.
Les « mémoires » de responsables de SR apportent un éclairage nouveau sur certains événements de 1945 à 1989. Ainsi, le célèbre agent double Kim Philby (1912-1988), travaillant pour le MI6 britannique et le KGB soviétique, était soupçonné par ce dernier d’appartenir à la CIA américaine. Le général du KGB Oleg Kalouguine (1934, réfugié aux Etats-Unis), chef du contre-espionnage, précise que tout « traître » soviétique était arrêté, jugé et fusillé. Il révèle qu’un nombre important d’agents communistes français ne furent jamais démasqués et prirent leur retraite lors de l’effondrement de l’URSS en 1991. Selon son ancien sous-directeur Peter Wright, le service de contre-espionnage britannique MI5 a organisé des cambriolages ou installé des micros un peu partout à Londres, y compris dans l’ambassade de France. Pourtant, cela n’a guère empêché le blocage, par le général de Gaulle, de l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun. Le « maître-espion » est-allemand Markus Wolf, qui avait réussi à infiltrer une « taupe » dans l’entourage immédiat du chancelier ouest-allemand Willy Brandt (1913-1992), a été surpris de sa démission soudaine. Selon lui, Brandt, partisan d’une politique d’ouverture à l’Est, aurait été victime de dissensions à l’intérieur du SPD (Parti social-démocrate) et d’une crise de confiance dans son gouvernement. L’excentrique Miles Copeland, l’un des fondateurs de la CIA et qui y a effectué plusieurs allers-retours, lui attribue le coup d’Etat qui a renversé le roi Farouk d’Egypte et porté le colonel Nasser (1918-1970) au pouvoir. Il explique les ratés de la stratégie américaine au Proche-Orient à cette époque par le fait que les agents de la CIA sur le terrain ignoraient que personne à Washington ne lisait leurs rapports. L’ingénieur Hussein Sumaida, qui a évolué au sein de l’appareil sécuritaire du SR irakien Mukhabarat, en explique la corruption, les exactions et les opérations secrètes, notamment contre des pays arabes. L’Irak et la Syrie se détestaient mutuellement et méprisaient l’Egypte, signataire des accords de Camp David avec Israël (1978). Tous enviaient et méprisaient les riches Arabie Saoudite et Koweït. Toute alliance avec la Libye du colonel Kadhafi (1942-2011) s’avérait hasardeuse. Pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988), les Etat-Unis apportaient un soutien limité à l’Irak, mais autorisaient des livraisons illégales d’armes à l’Iran dans l’espoir que les deux pays s’anéantiraient mutuellement. La France, l’Union soviétique, la Chine et Israël en vendaient également aux deux belligérants. Après leur défaite au Viêt Nam (1975), les Etats-Unis ont voulu prendre leur revanche en Afghanistan en armant la guérilla locale contre l’armée soviétique, qui avait soutenu les Nord-vietnamiens. La CIA achetait armes, munitions et équipements, que le SR pakistanais ISI redistribuait aux Moudjahidin. L’un de ses dirigeants, le général d’infanterie Mohammed Youssaf, a géré cette opération de 1983 à 1987. A chaque dollar dépensé par les Etats-Unis s’ajoutait un dollar de l’Arabie Saoudite. La plus grande quantité d’armes provenait de Chine, d’Egypte et même d’Israël, qui en avait récupéré lors de l’invasion du Liban.
Loïc Salmon
« Histoire secrète du XXème siècle, mémoires d’espions », Yvonnick Denoël. nouveau monde éditions, 430 pages, 10,90 €.