Exposition « Le voyage de l’obélisque » au musée de la Marine

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Cette exposition retrace le transport  de l’obélisque du temple de Louxor (Égypte) à la place de la Concorde à Paris. Cette aventure, où il a fallu tout inventer, a duré 7 ans (1829-1836), mobilisé 121 hommes pendant l’expédition et coûté 1,3 million de francs-or de l’époque.

Contexte historique. Lors de la campagne d’Égypte (1798-1801), le commandant en chef, le jeune général Napoléon Bonaparte (29 ans !), emmène avec lui 167 savants et artistes, cautions culturelles des opérations militaires. L’ensemble de leurs travaux est publié sous le nom de « Description de l’Égypte » en 9 volumes et 11 atlas de planches entre 1809 et 1819. Trois ans plus tard, Jean-François Champollion déchiffre les hiéroglyphes, dont le sens s’était perdu depuis la fin de l’Empire romain. En 1829, le vice-roi d’Égypte, Méhémet Ali, qui emploie des officiers et ingénieurs français et britanniques pour moderniser le pays, propose de donner les deux obélisques d’Alexandrie à la France. De son côté, le consul britannique tente de les obtenir pour son pays. Champollion se rend à Louxor, dont les 2 obélisques, dédiés au dieu Amon et au pharaon Ramsès II, sont mieux conservés, mais situés au bord du Nil à 750 km en amont d’Alexandrie. Il fait à Méhémet Ali la proposition suivante : les 2 obélisques de Louxor et 1 obélisque d’Alexandrie pour la France et, pour la Grande-Bretagne, 1 obélisque d’Alexandrie et 1 obélisque du temple de Karnak. Ce dernier est plus grand que ceux de Louxor… mais plus lourd et donc plus difficile à transporter ! Néanmoins, le consul britannique accepte. Survient la Révolution de 1830 (29 juillet-9 août), qui chasse Charles X, dernier roi de France, et met sur le trône Louis-Philippe, le « roi des Français ». En 1836, les difficultés du transport du premier obélisque de Louxor ont été telles qu’il n’est plus question d’aller chercher le second ni celui d’Alexandrie. Louis-Philippe choisit de l’installer place de la Concorde à Paris pour faire oublier les souvenirs sanglants de la Révolution. En effet, cet endroit, autrefois « Place Louis XV », avait été renommé « Place de la Révolution ». C’est là qu’avait été guillotiné le roi Louis XVI, dont la condamnation à mort avait été votée notamment… par Louis-Philippe d’Orléans, dit Philippe-Égalité, son propre cousin et père de Louis-Philippe ! Le don des obélisques, cadeau diplomatique de gouvernement à gouvernement, a été officialisé par les signatures des deux parties en 1830. L’obélisque de la Concorde a été déclaré monument historique en 1937 et coiffé d’un « pyramidion » en bronze doré en 1998, à l’imitation de celui en électrum (alliage naturel d’or et d’argent) du temps de sa vie antique. Le second obélisque de Louxor, qu’aucun gouvernement français n’a envisagé sérieusement de récupérer, a été officiellement « restitué » à l’Égypte en septembre 1981.

Défis techniques. En février 1830, le ministère de la Marine, chargé du transfert des obélisques, fait voter un premier financement des opérations de 300.000 francs par le Parlement. Du 25 mai au 5 juillet, a lieu l’expédition d’Alger, début de la conquête de ce qui deviendra l’Algérie. La Marine profite de l’occasion pour faire construire, à l’arsenal de Toulon, un navire spécifique pour le transport du premier obélisque et dénommé Luxor.  Mis à l’eau le 26 juillet, ce trois-mâts, long de 42 m, est à fond plat et équipé de 5 quilles. Il doit pouvoir naviguer en haute mer jusqu’à Cherbourg, ne pas dépasser 2 m de tirant d’eau pour évoluer sur le Nil, ni 9 m de large pour passer entre les arches des ponts sur la Seine. A l’issue de la difficile traversée de la Méditerranée jusqu’à Alexandrie, le commandant du Luxor fait part au ministre de la Marine de la nécessité d’un navire à vapeur pour le remorquer lors du voyage du retour. Grâce à la crue du Nil, le Luxor atteint Louxor le 14 août 1831. Entre-temps, 400 ouvriers locaux ont commencé à creuser une chaussée de 400 m de long entre l’obélisque et la rive du Nil. Il s’agit ensuite de dégager du sable ce monolithe de 23 m de haut et pesant 230 t, de le recouvrir d’un coffrage de bois et de l’abattre (voir photo de la maquette). Plus de 200 hommes vont manœuvrer les appareils de halage et de retenue. Finalement, le 19 décembre 1831, l’obélisque est chargé à bord du Luxor, démâté et dont l’avant a été scié et enlevé. Le piédestal de l’obélisque, trop abîmé, ne sera pas emporté, à l’exception d’une partie représentant un groupe de  « babouins adorant le soleil », jugé trop impudique pour figurer place de la Concorde et qui terminera son voyage… dans la galerie des antiquités égyptiennes au Louvre. Après diverses péripéties sur le Nil, le Luxor arrive à Alexandrie le 2 janvier 1833. Il est pris en remorque par le Sphinx, première corvette à voiles et à vapeur de la Marine française construite à l’arsenal de Rochefort (1829). Parti le 1er avril d’Alexandrie le convoi arrive à Cherbourg le 12 août, après des escales à Rhodes, Corfou, Toulon, Gibraltar, Cap Saint Vincent et La Corogne. Un mois plus tard, il atteint le Havre, où le Luxor est pris en remorque par le navire à vapeur civil Héva jusqu’à Rouen. Là, le Luxor est démâté pour passer sous les ponts de la Seine et halé par 14 puis 28 chevaux jusqu’à Paris, où il arrive le 23 décembre 1833. Le voyage de 12.000 km du Luxor aura duré 2 ans et 9 mois. L’érection de l’obélisque, par 350 soldats, a lieu le 25 octobre 1836, place de la Concorde, devant le roi et 200.000 Parisiens.

Les autres obélisques. La récupération par la Grande-Bretagne de l’obélisque couché d’Alexandrie, dénommé « aiguille de Cléopâtre », n’a lieu qu’en 1876… et grâce à une initiative privée ! Le monolithe est mis dans un caisson étanche, transformé en embarcation avec un mât et remorqué par un bateau à vapeur. Au cours d’une tempête, la remorque se casse et le caisson dérive plusieurs jours avant d’être retrouvé. Il est érigé le 12 septembre 1878 sur le quai Victoria à Londres, à l’aide d’une machine à vapeur. La France ayant renoncé à son obélisque d’Alexandrie, celui-ci est proposé aux États-Unis en 1869. Lui aussi doit son transfert à un financement privé. Abattu le 5 décembre 1879 à l’aide d’une machine hydromécanique, il effectue un voyage difficile de 112 jours jusqu’à New York, où il est érigé à Central Park le 22 janvier 1881. Aujourd’hui, à part ces 3 obélisques, il est possible d’en voir encore 4 à Rome, 1 à Istanbul et… seulement 4 en Égypte : 1 à Héliopolis, 1 à Louxor et 2 à Karnak, dont celui que les Britanniques ont finalement renoncé à transporter.

Loïc Salmon

L’exposition « Le voyage de l’obélisque » (12 février-6 juillet 2014) se tient au musée de la Marine à Paris. Elle rassemble sur 350 m2 une centaine de tableaux, plans originaux, dessins, maquettes, dioramas des différentes opérations, objets archéologiques et documents qui illustrent les moments forts du transport de l’obélisque égyptien du temple de Louxor à Paris. Outre un album de l’exposition, sont programmés : des conférences (27 mars, 10 avril et en mai) ; un film de 52 minutes (France 5, 16 mars) ; une rencontre avec l’auteur-réalisateur (5 juin). Renseignements : www.musee-marine.fr

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