Dans un environnement international plus difficile, l’Union européenne (UE) peine à se focaliser sur sa défense, alors que les États-Unis se tournent vers l’Asie pour faire face à la Chine. Pourtant, des avancées sont possibles, à condition qu’elle s’en donne les moyens.
François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique, a présenté la situation au cours d’une conférence-débat organisée, le 23 janvier 2014 à Paris, par les associations « Forum du futur » et « Minerve EMST ».
Contexte international. L’Europe de la défense a été relancée lors du sommet franco-britannique de Saint-Malo en 1998, puis a connu deux coups d’arrêt : l’intervention de la Grande-Bretagne en Irak avec les États-Unis (2003) et le rejet du projet de constitution européenne par référendum populaire aux Pays-Bas et en France (2005). Toutefois, l’UE s’est engagée avec succès dans l’opération « Artémis » (2003) pour éviter un génocide au Congo. Avec l’opération « Atalante » de lutte contre la piraterie, elle affirme sa présence en océan indien depuis décembre 2008, aux côtés des Marines de la Russie, de la Chine, de la Corée du Sud, du Japon… et des États-Unis dans le cadre de l’OTAN. Par le traité de Lisbonne (2009), l’UE s’est dotée d’un Service d’action extérieure, dirigé par un haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et également vice-président de la Commission européenne. Cet outil, qui lui permet d’avoir une lecture commune d’une situation stratégique dans un endroit donné à un moment donné, assure une production d’analyses partagées, essentielles pour la sécurité. Ainsi, au Moyen-Orient, indique François Heisbourg, les révolutions arabes ont débouché sur l’incertitude, l’instabilité et la conflictualité. « En Libye, on est parti en guerre et en Syrie, on a failli partir en guerre ». Il ajoute que la guerre civile redémarre en Irak, que la situation en Arabie saoudite est sclérosée sur les plans social et politique et que la Russie s’affirme davantage. Au Mali, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et les États-Unis coopèrent en matière de renseignement (partage et fusion des données). La Chine, dont le produit intérieur brut a cumulé ceux de l’Allemagne et du Japon en 2013, et l’UE sont les premières partenaires commerciales l’une de l’autre. Il s’ensuit un risque de conflit politique et stratégique avec les États-Unis dans la région Asie-Pacifique, que l’UE gèrerait difficilement, du fait qu’elle dépend des États-Unis pour ses capacités militaires. Seule région du monde à dégager une croissance économique nulle en 7 ans, l’UE, a diminué ses dépenses de défense de 15 % depuis 2008, soit 30 Md€ de moins en 5 ans ! Or, par suite du plafonnement du budget de la défense aux États-Unis, les entreprises américaines d’armement, qui ont un besoin vital d’exporter, vont tenter d’absorber ce qui reste de l’industrie de défense dans l’UE, en commençant par les pays les plus faibles.
Intérêts nationaux. « La Grande-Bretagne s’intéresse à la défense, mais peu à l’Europe, l’Allemagne s’intéresse à l’Europe mais peu à la défense et la France ne sait à quel saint se vouer », estime François Heisbourg. Il rappelle qu’une grande partie de l’opinion publique britannique est passée de « l’euroscepticisme » à « l’europhobie ». Si la majorité actuelle est reconduite après les élections générales de 2015, elle organisera un référendum en 2017 sur l’appartenance du pays à l’UE. En conséquence, il n’y a guère de progrès à attendre sur la défense européenne de la part de la Grande-Bretagne. En outre en 2009-2010, par souci d’économies, celle-ci a sacrifié son aviation de patrouille maritime… composante qui s’est révélée indispensable en Libye en 2011. De son côté, l’Allemagne ne se détermine plus par rapport aux positions des autres pays dans les domaines militaire et international. Pendant la guerre froide, qu’elle vivait mal, elle ne s’engageait qu’au sein de l’OTAN et contre l’URSS. Après la chute du mur de Berlin en 1989, elle a participé à des opérations extérieures en coalition et sous drapeau de l’ONU : service de santé au Cambodge et en Somalie, puis troupes combattantes au Kosovo. Mais en 2003, elle s’est émancipée de la tutelle des États-Unis en refusant de participer à leur intervention en Irak. En revanche, elle a décidé d’envoyer en Afghanistan, sous l’égide de l’OTAN, un contingent qui s’y trouve encore 7 ans plus tard. Quoique ses régiments d’infanterie de marine soient intervenus souvent en Afrique subsaharienne, la France a sous-estimé les difficultés en Centrafrique par insuffisance de renseignement, indique François Heisbourg : « Ce n’est plus l’efficacité des réseaux Foccart » (la « Françafrique ») et « la garde présidentielle n‘est plus gérée par le Service action de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) ». Aujourd’hui, il s’agit de « ne pas apparaître comme néocolonial ». Par ailleurs, tout en réduisant le format de ses armées, la France a préféré en conserver toutes les capacités plutôt que de perdre des savoir-faire : « Un Rafale détruit plus de cibles à coup sûr que 1.000 bombardiers pendant la seconde guerre mondiale ». Désormais, les recherches porteront surtout sur la technologie de l’information, dont la capacité de traitement double tous les 18 mois.
Perspectives communautaires.
Le Commandement européen du transport aérien militaire fonctionne bien et permet de réaliser des économies substantielles. Mais, pendant l’intervention au Mali, l’Agence européenne de défense a pu mobiliser 50 avions de ravitaillement en vol… dont la plupart n’étaient pas certifiés pour ravitailler tous les types d’avions de l’UE ! En raison de l’urgence opérationnelle, il a fallu effectuer les certifications très rapidement, processus désormais systématique. Les directives européennes sur l’ouverture des marchés publics de la défense ont été transposées dans les droits nationaux des États membres, mais il reste des failles en matière de transfert de technologies, estime François Heisbourg. De plus, l’UE dispose d’une pléthore de moyens d’essais, héritage historique très onéreux, mais une rationalisation nécessiterait une mise de fonds très importante. Enfin, l’interopérabilité des drones européens implique une formation commune préalable des utilisateurs.
Loïc Salmon
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L’AED : vision stratégique, recherche et technologie
La Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), partie intégrante de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), donne à l’Union européenne (UE) la possibilité d’utiliser des moyens civils et/ou militaires dans le but de prévenir des conflits et gérer les crises internationales. Composé d’ambassadeurs des États membres de l’UE, le Comité politique et de sécurité (COPS) assure le suivi de la situation internationale dans les domaines relevant de la PSDC et émet des propositions d’objectifs politiques et recommandations d’options stratégiques à l’intention du Conseil européen (chefs d’État et de gouvernement). Le Comité militaire (représentants permanents des chefs d’État-major) fournit au COPS des recommandations et avis sur toutes les questions militaires et évalue les options stratégiques de gestion des crises et de développement des capacités définies par l’État-major de l’UE, auquel il donne ses directives.