Exposition « Duels, l’art du combat » aux Invalides

Forme de violence ritualisée, parfois chorégraphiée et légitimée, le duel a été plus ou moins autorisé partout dans le monde depuis l’Antiquité. Ses caractéristiques ont inspiré tableaux, estampes, romans et pièces de théâtre, avant de triompher au cinéma.

Combat singulier. Le duel se pratique pour régler un litige, laver son honneur ou marquer le passage à l’âge adulte. Les armes utilisées, qui varient selon les époques et cultures, incluent glaives, épées, sabres, couteaux, poignards, massues, faucilles, longs bâtons et pistolets. Lors des rencontres, les deux adversaires, qualifiés de « champions », représentent parfois leur cité et, à eux seuls, les deux armées qui s’affrontent. Les codes des combats singuliers antiques influencent les pratiques guerrières médiévales, notamment la « joute » qui oppose deux chevaliers dans un champ clos. En effet, les modalités du combat à pied dans les joutes, consistent, pour l’un des adversaires à défendre un passage symbolique à l’intérieur d’un espace fermé. Arrêter un ennemi en un endroit précis constitue un modèle en vigueur dès l’Antiquité. Ainsi, l’Illiade d’Homère, qui évoque le combat entre le Grec Achille et le Troyen Hector devant les remparts de Troie, et d’autres récits mythologiques alimentent la production littéraire du Moyen-Âge, qui inspire à son tour la création artistique des XVIème et XVIIème siècles en Europe. Ces emprunts et références dessinent peu à peu le modèle des héros chevaleresques. En outre, les combats célèbres finissent par incarner l’idéal de tout un peuple.

Duels mémorables. En France à l’époque médiévale, les tribunaux recourent parfois au duel judiciaire, héritier de l’ordalie franque par l’eau ou le feu, pour établir l’innocence ou la culpabilité d’un accusé. En 1386, Marguerite de Thibouville déclare à son mari, Jean IV de Carrouges, qu’elle a été violée par Jacques Le Gris dans la nuit du 13 février. En l’absence de preuves, son seul témoignage et les alibis de l’accusé aboutissent à une ordonnance royale, qui s’en remet au jugement de Dieu pour régler l’affaire par un combat à mort Place Sainte-Catherine à Paris le 29 décembre. L’affrontement débute à cheval, puis les deux adversaires, qui ont tué leur monture, continuent le combat à pied. Quoique blessé à la cuisse, Carrouges parvient à renverser Le Gris et le tue au sol d’un coup de dague dans la mâchoire. Or, plus tard, des chroniqueurs affirment qu’un criminel aurait avoué le viol par la suite. Un innocent a donc été condamné en raison d’un témoignage erroné. Le doute sur ce mode d’expression de la justice divine conduit à l’abandon, en France, du duel judiciaire. En 1547 en France, un duel oppose Guy Chabot, baron de Jarnac, à François de Vivonne, seigneur de La Châtaigneraie, à Saint-Germain-en-Laye le 10 juillet, en présence du roi Henri II. Deux ans plus tôt, La Châtaigneraie, favori de Henri alors dauphin, lui révèle que Jarnac entretient des relations incestueuses avec sa belle-mère. Le démenti public de Jarnac fait alors passer La Châtaigneraie pour un menteur. Pour sauver sa réputation, ce dernier demande un duel judicaire au roi François Ier, qui le refuse mais que son fils Henri, devenu roi, lui accorde. Peu expérimenté, Jarnac va, au préalable, s’entraîner auprès du maître d’armes italien Caize, qui lui enseigne la « botte au jarret », coup rare et surprenant mais parfaitement régulier. Cette botte, entrée dans l’Histoire sous le nom de « coup de Jarnac », permet à ce dernier de remporter la victoire. En 1612 au Japon, un duel oppose deux grandes figures du « kendô » (art martial du sabre) le 12 avril sur une petite île du détroit de Kanmon. Pour prouver sa valeur et mettre sa technique à l’épreuve, le jeune Musashi Miyamoto parvient à convaincre Tadaoki Hosokawa, seigneur de Kokura, de l’autoriser à croiser le fer avec Kojirô Sasaki, son maître d’armes. Miyamoto arrive volontairement en retard et nargue Sasaki impatient. Ce dernier, furieux, manque sa première attaque. De son côté, Miyamoto frappe au front Sasaki, qui s’effondre. Celui-ci tente un nouvel assaut mais Miyamoto lui fracasse les côtes. A la fin du XVIIème siècle en France, deux duellistes s’affrontent dans un champ après une querelle dans une auberge. Il s’agit de Joseph d’Albert de Luynes, capitaine au Régiment Royal-Étranger, et de Julie d’Aubigny, dite « la Maupin » mais habillée en homme et qui gagne sa vie en organisant des spectacles d’escrime itinérants. Après avoir blessé Luynes, surpris d’avoir été vaincu par une femme, la Maupin le soigne jusqu’à son rétablissement. Tous deux tombent amoureux l’un de l’autre et entretiennent une liaison épisodique pendant des années. Luynes poursuit sa carrière militaire, jusqu’à ce qu’un nouveau duel le contraigne à l’exil. La Maupin devient chanteuse à l’Académie royale de musique de Paris et continue à remporter des combats singuliers. En 1834, le poète et critique d’art, Théophile Gautier, s’en inspire pour son premier roman intitulé « Mademoiselle de Maupin », qui sera porté à l’écran en 1966. En 1787, en Angleterre, deux chevaliers s’affrontent, le 9 avril à Londres, pour un « duel blanc » en présence du prince de Galles, futur George IV. Il s’agit de Joseph Bologne de Saint-George, fils d’un colon français noble et d’une esclave guadeloupéenne, et Charles d’Éon de Beaumont, souvent travesti en femme. Ce type de spectacle, très prisé à l’époque, surtout entre deux personnages connus, apparaît plutôt comme une démonstration d’escrime qu’un combat. Quoique de 17 ans plus âgé(e), D’Éon, espion français puis bretteuse professionnelle, l’emport sur Saint-Georges, célèbre compositeur et escrimeur.

Interdiction et tolérance. La perception du duel par les autorités politiques a varié au cours des siècles. Ainsi Manlius Torquatus, consul de Rome entre 347 et 340 avant J.-C., fait condamner à mort son fils qui, à l’encontre des lois militaires, va affronter un ennemi en combat singulier. Dès le Moyen-Âge en France, le pouvoir royal tente de circonscrire ces combats aux seuls duels judiciaires (voir plus haut). A la Renaissance, devant la récurrence des duels, les édits se durcissent mais sans qu’ils soient réellement appliqués. Au début du XVIIème siècle en France, malgré une législation renforcée, les duels sont rarement punis. La justice ne sévit que lorsqu’un duelliste récidive trop souvent. Ainsi François de Montmorency-Bouteville, bretteur invétéré, engage, en juillet 1627 à Paris, un duel qui entraîne sa condamnation à mort. Pourtant, le succès du duel au sein de la noblesse ne faiblit pas, car la défense de l’honneur prime sur le respect de la loi. Les épées, plus fines et plus légères que celles utilisées pour la guerre, se portent à la ceinture et nécessitent de bien viser plutôt que de frapper fort. L’abolition de tous les textes d’interdiction par la Révolution entraîne une multiplication des duels. Dans le monde militaire, le duel reste intrinsèquement lié à la guerre et aux deux grandes figures de héros, à savoir le chevalier et le mousquetaire. Tous deux incarnent le devoir moral qui incite les hommes à affirmer leur point de vue « à la pointe de l’épée ». L’honneur a toujours été le moteur de la vaillance, sentiment capable d’aider les soldats à affronter la mort. Toutefois, cet honneur les pousse à chercher querelle à leurs camarades avec, souvent, l’assentiment de leur hiérarchie. Alors que les duels sont considérés comme éradiqués du royaume de France, l’armée les tolère en son sein. Ils témoignent de l’idéal chevaleresque qui anime encore les officiers à la fin du XVIIème siècle et deviennent même une coutume d’intégration des recrues. Au XIXème siècle, malgré son importance dérisoire sur le champ de bataille, l’épée conserve son aura et l’enseignement de son maniement perdure entre les deux guerres mondiales.

Loïc Salmon

L’exposition « Duels, l’art du combat » (24 avril–18 août 2024), organisée par le musée de l’Armée, se tient aux Invalides à Paris. Elle présente des gravures, tableaux, affiches livres, armes, armures et objets. Des visites guidées, projections de films et concerts sont prévus. Renseignements : www.musee-armee.fr.

Duels, l’art du combat

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