Europe : vers une nouvelle stratégie énergétique

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Le soutien apporté à l’Ukraine par les États de l’Union Européenne (UE) s’est manifesté par leur renoncement progressif au pétrole et au gaz russes. Or la Russie pèse lourd sur les secteurs du marché mondial de l’énergie.

C’est la perspective présentée par Nicolas Mazzucchi, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des questions énergétiques, au cours d’une conférence organisée, le 30 mars 2022 à Paris, par l’Ecole de guerre économique et les associations Jeunes IHEDN et Evolen Jeunes.

Position de force de la Russie. L’UE importe 26 % de son pétrole brut et 38 % de son gaz naturel de Russie. Cette moyenne masque de fortes variations selon les pays en fonction de la proximité géographique et de l’historique des relations bilatérales. Cela rend difficile une réponse unanime de l’UE. Alors que les Etats membres du Sud sont tournés vers la Libye et l’Algérie, ceux du Centre et de l’Est dépendent beaucoup de la Russie et parfois totalement, comme la République tchèque pour le gaz. Cette part, difficilement remplaçable dans l’immédiat, était justifiée par les logiques économiques d’un prix attractif et l’assurance d’un approvisionnement durable au vu des réserves. A partir des années 1990, les puits de la mer Caspienne et de la Sibérie ont pris le relais des plateformes de la mer du Nord, qui avaient dépassé leur pic de production. Le poids des ventes de matières premières dans le commerce de la Russie semblait garantir aux États clients une relation équilibrée d’interdépendance. Mais ces échanges restaient, comme le rappelle Nicolas Mazzuchi, à l’avantage du fournisseur car les besoins de ces derniers n’ont cessé de croître pour accompagner leur sortie du charbon. L’Allemagne, moteur de la croissance économique de l’UE, est, en 2019, le 3ème pays importateur mondial de gaz provenant à 60 % de Russie. Toute perturbation de ces flux pose un risque vital pour ces économies. Or, jusqu’à récemment, c’est à travers l’Ukraine qu’était acheminé la majorité du volume des hydrocarbures vendu à l’Ouest. De plus en plus opposée à l’ingérence du Kremlin, sa population a élu un gouvernement pro-européen après de la révolution « orange » de 2005. Celui-ci disposait donc d’un outil de pression sur son voisin par la menace d’une rupture du transit des hydrocarbures. Les guerres du gaz, qui ont suivies, ont justifié la construction d’un nouveau réseau de pipelines, via la mer Noire (Turkstream) ou la mer Baltique (Nordstram). Par ce contournement de l’Ukraine, Moscou a ainsi minimisé les conséquences d’une fermeture du robinet par Kiev, en cas de nouvelle crise politique.

Changer de fournisseur. Pour l’UE, la question se pose de remplacer 155 milliards de m3 de gaz russe avant le prochain hiver, dans un marché mondial déjà contraint. Elle préoccupe les clients européens de Gazprom depuis le 24 février 2022, date du déclenchement de « l’opération militaire spéciale » de la Russie en Ukraine. L’UE a annoncé sa volonté de réduire aux deux tiers ses achats d’ici un an. Pour réaliser cet objectif, la première solution consiste à se tourner vers un autre producteur, principalement en Asie centrale où se trouvent les 4ème, 13ème et 19ème réserves mondiales de gaz. Mais il s’agit aussi d’une zone enclavée et très liée à la Russie. Respectivement, le Turkménistan peut poser un gazoduc à travers la mer Caspienne, avec le risque certain d’un veto de la Russie, qui a un droit de regard en tant que riverain de cette mer intérieure. Les gazoducs du Kazakhstan en direction de l’Ouest transitent exclusivement par la Russie. L’Azerbaïdjan a la capacité d’augmenter la taille de ses tuyaux mais pas sa production, qui est en baisse depuis 2010. L’Iran pourrait, selon Nicolas Mazzuchi, tirer profit de la pénurie en Europe en obtenant contre son gaz une levée partielle de l’embargo, qui nécessite un accord préalable des Etats-Unis. Il reste l’option du gaz naturel liquéfié, fourni par les États-Unis ou le Qatar dont les prix sont 2,5 à 3,5 fois plus élevés. Leurs envois seraient cependant insuffisants en raison de la concurrence asiatique, qui représente 70 % de la demande mondiale. S’ajoute à cela le manque de terminaux de départ pour satisfaire cette brusque augmentation des commandes. Ces deux facteurs exigent des investissements, qui vont se répercuter sur un prix déjà élevé, alors même qu’il s’agit d’un sujet sensible pour les opinions publiques occidentales. Solution jusque-là évitée, le gaz de schiste présente l’avantage d’être exploitable en Europe mais au prix de dégâts environnementaux inacceptables, sauf à se retirer de l’accord sur le climat. La recherche en urgence de nouvelles sources d’approvisionnement aura donc un coût économique, politique ou environnemental.

Métaux et terres rares. Outre les énergies fossiles, la Russie est aussi un pays producteur de différents minerais et métaux rares. En réalité, c’est bien là que se situe la dépendance, toujours selon Nicolas Mazzuchi, car aucune sanction n’a été appliquée sur eux. Les États-Unis ont pu rompre rapidement leurs contrats de gaz avec la Russie, qui ne représentaient que 8 % de leurs besoins. Ils n’ont pas agi de même pour le titane utilisé dans l’industrie aéronautique, sauf à risquer la mise à l’arrêt de pans entiers de l’industrie civile et militaire. Sur le long terme, cette demande devrait se renforcer en raison des plans de transition énergétique consentis à la signature des accords de Paris en 2015. Les technologies de pointe qui permettront l’électrification de 50 % des besoins européens nécessitent des matériaux et des compétences, que la Russie est un des rares pays à posséder. La relance d’une filière nucléaire impliquera la construction d’un nouveau parc, alors que les seuls réacteurs de nouvelle génération au point sont les VVER 1200 de la société Rusatom. Les réacteurs EPR de Framatom et Siemens n’ont pas encore atteint le même stade de développement. Quant aux énergies renouvelables, les éoliennes et les panneaux solaires les exploitant demandent de nombreuses terres rares pour fabriquer leurs composants ou stocker l’électricité. Dans le détail, les 2.700 tonnes produites chaque année par la Russie paraissent minimes comparées aux 168.000 tonnes de la Chine. Mais la demande internationale est suffisamment forte pour permettre à la Russie de jouer un rôle de régulateur et donc de répondre aux sanctions qui lui ont été imposées par l’Occident.

Louis Lamiot

Les quatre premières puissances économiques de l’UE importent la quasi-totalité de leurs besoins en gaz et en pétrole. En 2019, selon l’Agence Internationale de l’Énergie, la France, l’Italie et l’Espagne n’effectuaient que 30 % de leurs achats de gaz en Russie et moins de 13 % pour le pétrole. L’Allemagne souffrirait beaucoup plus d’une rupture des contrats. La Russie couvre dans le même ordre 50 % et 36 % de ses besoins, sans compter un possible blocage des envois depuis le Kazakhstan. Fin avril 2022, elle a annoncé la suspension de ses livraisons de gaz à la Pologne, la Finlande et la Bulgarie. Depuis, elle a fortement réduit le débit vers l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie. La France n’en reçoit plus depuis le 15 juin. A cette date, les réserves européennes de gaz se montent à 52 % des besoins.

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