Malgré son importance militaire et diplomatique, l’Union européenne manque de réflexion stratégique, car la plupart de ses membres s’en remettent à l’OTAN pour leur défense.
Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 17 juin 2014 à Villepinte (banlieue parisienne), par l’Institut français des relations internationales et la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) dans le cadre du salon des armements terrestres Eurosatory. Y ont notamment participé : Yves Boyer, chercheur à la FRS ; le général d’armée Bertrand Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de Terre ; le professeur Julian Lindley-French de l’Université d’Oxford ; Christian Mölling, chercheur à l’Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité.
Une vision française. L’Union européenne (UE) verra sa population passer de 22 % du total mondial en 1950 à 7 % en 2050. En 2014, elle compte déjà 26 millions de chômeurs. Ses moyens militaires diminuent depuis 2000, mais de façon inégale selon les pays. La Russie n’est pas devenue son ennemie, les tentatives de diabolisation à son égard échouent et le dialogue avec elle devra reprendre après la crise ukrainienne, estime Yves Boyer. Selon, le général Ract-Madoux, cette crise et celle de Géorgie en 2008 signifient une résurgence possible de conflits ouverts au voisinage de l’UE et impliquant directement des États et des armées conventionnelles. S’y ajoutent des menaces qui s’affranchissent des frontières : guerres civiles ; désagrégation des États les plus fragiles ; puissance quasi militaire de certains réseaux mafieux ; terrorisme international avec empreinte djihadiste ; désordre causé par la nouvelle guerre cybernétique. En 10 ans, alors que le reste du monde réarme, l’effort de défense de l’UE a diminué de 15 %, jetant le doute sur sa puissance militaire. Pourtant, dès 1991, la première mission européenne s’est déroulée en ex-Yougoslavie. En 2003, l’opération « Artémis » en République démocratique du Congo a démontré la capacité des armées de l’UE à agir ensemble à 6.000 km de distance. Depuis 2013, la mission de formation de l’UE au Mali contribue à la résolution de la crise, en complément de l’opération « Serval ». En 2014, l’opération « EUFOR-RCA » déploie 600 soldats européens chargés de la sécurisation d’une partie de la capitale centrafricaine, soulageant ainsi les forces françaises engagées dans l’opération « Sangaris ». Par ailleurs, l’intégration de 22 États de l’UE dans l’OTAN facilite la convergence opérationnelle des armées de Terre en standardisant les procédures. S’y ajoutent des coopérations bilatérales : mutualisation des formations ; exercices conjoints ; développement de capacités communes. « Les relations franco-britanniques et franco-allemandes font un peu figure de modèle et sont de nature à jouer un rôle moteur vis-à-vis du reste de l’UE », souligne le général. Enfin, le rapprochement des armées de Terre européennes devient inéluctable dans un contexte de ressources budgétaires de plus en plus comptées, ajoute-t-il.
Une analyse britannique. « L’Europe n’est pas militairement morte, mais, à moins que quelque chose de radical soit entrepris pour arrêter son déclin militaire relatif, tous ses instruments d’influence seront gravement dégradés », déclare Julian Lindley-French. En janvier 2012, les États-Unis annoncent une réduction du format de leurs forces armées, qui devront conserver une avance technologique et renforcer leur présence en Asie-Pacifique et au Moyen-Orient. Ils déploient encore 60.700 personnels en Europe, dont 40.800 en Allemagne, 8.700 en Grande-Bretagne et 10.700 en Italie, pour un coût annuel de 4 Md$. Or, en mars 2014, la Russie a annexé la Crimée avec notamment pour conséquences : la sécurisation de sa base navale en mer Noire ; une zone grise d’incertitude sur sa frontière ; la restauration de sa puissance militaire comme facteur d’influence ; la fin des perspectives réalistes d’élargissement de l’OTAN et de l’UE vers l’Est. L’opération en Crimée a démontré les capacités des forces spéciales et aéromobiles russes. En outre, la Russie poursuit son réarmement. Elle prétend n’avoir que 700.000 personnels sous les armes, mais en recrute 60.000 par an, indique le professeur. Elle consacre 20 % de ses dépenses publiques aux forces armées et va investir 775 M$ d’ici à 2020 dans de nouveaux armements : avions de chasse Sukhoï T-50 de nouvelle génération ; bateaux de projection et de commandement type Mistral français ; corvettes et frégates ; missiles balistiques intercontinentaux Topol M, montés sur camions. En outre, les troupes professionnalisées passeront de 10 % des effectifs en 2014 à 40 % en 2020. Alors que les dépenses de défense de la Russie ont augmenté de 50 % en 5 ans, celles de l’UE ont diminué de 20 %. Ces dernières atteignent 188 Md$/an, dont 65 % pour la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne qui assurent 88 % des investissements en recherche et développement pour la branche européenne de l’OTAN.
Un point de vue allemand. Le budget de défense de l’UE a baissé de 20 % en 5 ans, mais certains pays membres ont augmenté le leur de 40 % et d’autres l’ont baissé de 40 %, indique Christian Mölling qui précise « Ceux qui paient le moins ne peuvent décider ». Depuis 2008, les capacités et effectifs des armées européennes ont diminué de 25 %, entraînant une dépendance accrue des forces non européennes. La remontée en puissance de la Russie implique un retour de la dissuasion et de la défense collective. La crise ukrainienne souligne la complexité croissante des conflits qui intègrent divers moyens. La baisse de la démographie au sein de l’UE se répercute sur les ressources humaines des forces armées, que la coopération, trop lente et limitée, ne parvient pas à compenser. Les industries européennes de défense font face à des politiques nationalistes et à un marché mondial. Selon Christian Mölling, les armées des États membres deviennent des « bonsaï » (arbres nains), dont l’avenir présente quatre scénarios possibles : la disparition en silence ; le retour au XIXème siècle ; une souveraineté mise en commun ; une armée européenne. Or même l’Allemagne exclut cette dernière éventualité, conclut-il.
Loïc Salmon
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Le salon d’armements terrestres Eurosatory 2014 a accueilli 1.504 exposants de 58 pays, 55.770 visiteurs, 172 délégations officielles de 88 pays et 3 organisations internationales. Lors de son ouverture le 16 juin, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a annoncé que l’industrie française de défense a obtenu 6,67 Mds€ de prises de commandes en 2013 (+ 42 % en un an). En matière de recherche et de technologie de défense, les efforts portent sur : robotisation d’actions au contact ; munitions guidées ; préparation des futurs standards de l’hélicoptère de combat Tigre ; renouvellement des systèmes de combat et de tir indirect. La Direction générale de l’armement a lancé une consultation au niveau européen pour le renouvellement du fusil d’assaut Famas. Enfin, le programme « Scorpion » de modernisation de l’armée de Terre sera lancé en 2014 pour les premières livraisons de véhicules de combat blindés en 2018 et d’engins blindés de reconnaissance et de combat en 2020.