Outil militaire et instrument de politique étrangère, la maîtrise de l’espace confère à un Etat une autonomie d’appréciation et donc de décision. Elle atteste aussi des niveaux scientifique, technique, industriel et financier atteints pour protéger le territoire national.
Le lieutenant-colonel Thierry Cattaneo, commandant le Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (Cosmos) de Lyon en a présenté, en partie, les enjeux à la presse, le 9 novembre 2017 à Paris.
Intervention et protection. Cosmos doit évaluer la situation spatiale, en vue d’apporter un appui aux opérations en cours (« Barkhane » au Sahel et « Chammal » au Levant), de préserver les satellites français de défense contre les risques de collision et de sécuriser les biens et les personnes contre les rentrées de débris dans l’atmosphère, explique le lieutenant-colonel Cattaneo. Le recueil et l’analyse d’informations spatiales consistent à transformer en éléments opérationnels les données scientifiques obtenues par les radars Graves (Grand réseau adapté à la veille spatiale) et Satam (Système d’acquisition et de trajectographie des avions et munitions). Sont aussi sollicités : la Direction du Renseignement militaire ; l’Observatoire de Paris ; l’Institut physique du globe de Paris ; le Centre national d’études spatiales (CNES) ; les partenariats internationaux ; les sources ouvertes. Graves se compose d’une station d’émission, d’une station de réception et d’un centre de calcul. Unique en Europe, il détecte tous les objets évoluant de 400 à 1.000 km au-dessus de la terre. L’appui à une opération militaire extérieure commence par une préparation et une planification en amont, grâce à des renseignements d’origine image et électromagnétique avec une précision GPS. De leur décollage à leur retour, les avions de chasse sont suivis par GPS et liaisons haute fréquence, parallèlement au survol des objectifs par un satellite espion, de 2 heures avant les frappes jusqu’à 4 heures après. L’évaluation des dommages, de 30 minutes à 1 heure après les frappes, est complétée par des drones de renseignements d’origines image et électromagnétique. Par ailleurs, Graves suit les modifications électromagnétiques des hautes couches de l’atmosphère produites par les éruptions solaires. Celles-ci peuvent affecter la trajectoire des objets en orbite basse (missiles) et perturber les moyens de communications sur terre. Lorsqu’un objet spatial potentiellement dangereux ou même qu’un objet spatial lancé par la France (15 en 2016 et 14 en 2017) menace le territoire national, Cosmos en informe la Direction générale de l’armement (fournisseur de données) et le CNES (analyste). Il prévient également le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises ou le ministère des Affaires étrangères pour une mise en alerte de la sécurité civile du pays concerné. Le 27 février 2014, le CNES avait décidé de modifier l’orbite d’un satellite de la constellation Elisa pour éviter une collision avec un satellite non-manœuvrable qui aurait provoqué sa destruction et la perte de ses données. Elisa compte quatre satellites de 40 kg chacun pour l’écoute d’émissions électromagnétiques et qui évoluent à plus de 600 km d’altitude depuis décembre 2011. La France dispose d’environ 15 satellites en orbite et les Etats-Unis près de 200, dont 40 pour le GPS et 20 non officiels.
« Arsenalisation » de l’espace. Les Etats-Unis, la Russie et la Chine peuvent détruire physiquement un satellite, mais les débris ainsi créés risquent de perturber, à terme, les orbites opérationnelles de leurs propres satellites. D’autres moyens menacent les satellites, précise le lieutenant-colonel Cattaneo : aveuglement par laser ; prise en mains de l’orbite par des cyberattaques ; armes à énergie dirigée. Par ailleurs, selon la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017, de plus en plus d’acteurs étatiques et privés ont accès à l’espace avec le risque de banalisation de ses usages et une concurrence industrielle accrue. L’espace devient un domaine de confrontation, où certains Etats peuvent être tentés d’en dénier l’accès par la force ou de menacer l’intégrité de satellites en orbite. En effet, les progrès des techniques de rendez-vous dans l’espace et les capacités de robotique et de propulsion électrique permettent de réparer, ravitailler en carburant et même « désorbiter » des engins spatiaux. Sous couvert d’objectifs civils, des Etats peuvent financer des technologies potentiellement antisatellites. Celles-ci permettraient la mise en service d’outils, dont les actions seraient beaucoup plus difficiles à détecter, suivre, attribuer et contrer que des missiles, lasers ou brouilleurs. Depuis 1958, le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (Norad) surveille l’espace aérien des Etats-Unis et du Canada, élément déterminant de la défense antimissile. Son réseau de radars et des systèmes optiques se répartit sur les cinq continents. Depuis 2015, le centre de commandement du Norad est enfoui dans le Mont Cheyenne (Colorado), en raison de la menace potentielle d’une destruction de ses moyens de communications par une brève et très forte émission d’ondes électromagnétiques, provoquée par une explosion nucléaire à haute altitude. La Chine développe son propre programme de satellite d’alerte précoce et de capacité antisatellite. L’Inde développe un programme de défense antimissile et a conclu un partenariat stratégique avec les Etats-Unis. A la suite des tirs de missiles nord-coréens passant au-dessus de son territoire, le Japon coopère avec les Etats-Unis dans ce domaine depuis 1998, mais développe sa propre capacité d’alerte. La Corée du Sud a conclu un accord avec les Etats-Unis sur le déploiement, sur son sol, d’un système américain de missiles antibalistiques, opérationnel depuis avril 2017.
Loïc Salmon
Espace : dissuasion nucléaire et souveraineté européenne
Espace : nécessité d’une capacité commune de surveillance
Défense antimissiles : surtout protection des forces, moins celle des populations
Depuis 2005, le système radar français Graves (surveillance de tous les satellites d’observation et d’écoute) a détecté des satellites inconnus et des essais de lancement iraniens et nord-coréens. En janvier 2007, le satellite chinois Fengyun 1C a été détruit à 800 km d’altitude par impact cinétique d’un missile chinois. En février 2008, le satellite de reconnaissance américain USA 193 a été détruit à 100 km d’altitude par un missile SM-3 block 1 tiré du croiseur américain Lake-Erie, équipé du système antimissile balistique Aegis. En février 2009, le satellite commercial de téléphonie Iridium 33 est entré en collision avec le satellite russe de télécommunications militaires Kosmos-2251. En mai-août 2014, le satellite chinois d’alerte avancée Shijian 15 a réalisé un rendez-vous en orbite. En 2016, le Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (Cosmos) a établi un bilan : 15 rentrées atmosphériques de débris, dont 7 à risque ; 14 rapprochements à risques dont 1, critique, a nécessité le déplacement d’un satellite français ; 17.729 objets catalogués par le ministère américain de la Défense. Pour chaque évènement spatial détecté, Graves procède à une analyse de son origine, naturelle, accidentelle ou volontaire. Il a constitué un catalogue d’objets spatiaux, dont 8 % sont actifs et connus. Cosmos suit 40 % de ces objets connus. Le catalogue de Graves inclut 20 % d’objets d’intérêt militaire et 2 % d’objets classés « sous-marins spatiaux ».