Économie : renseignement et intelligence économique

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Instrument nécessaire pour gagner dans la compétition mondiale, l’intelligence économique recherche de l’information stratégique utile à des fins d’action, où prime le rapport de force. Outre ses méthodes proches de celles des services de renseignement, elle s’écarte parfois de la légalité, notion variable selon les pays.

C’est ce qui ressort d’une visioconférence organisée, le 10 octobre 2023 à Paris, par l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Île-de-France. L’intervenant, le consultant Christophe Stalla-Bourdillon, a effectué une carrière dans de grandes entreprises pendant 25 ans, puis a enseigné 15 ans dans des Grandes Écoles françaises et des universités étrangères et a pratiqué les métiers du renseignement.

Gagner à tout prix. Avant la chute du mur de Berlin en 1989, la concurrence existait mais en évitant certaines pratiques. Puis la Chine a été admise dans l’Organisation mondiale du commerce. En outre, les outils numériques ont fait leur apparition. La concurrence, devenue de plus en plus dure, s’est internationalisée. L’intelligence économique, processus légal, continu et dynamique, permet aux entreprises de rester compétitives et de s’adapter à un environnement en constante évolution. Elle consiste à collecter des informations stratégiques sur le plan économique, les analyser, les traiter, les diffuser sélectivement et les protéger. La direction générale de l’entreprise définit les besoins selon des critères juridiques, financiers, technologiques et commerciaux. Tous les professionnels français de l’intelligence économique réfutent son assimilation à l’espionnage. Or, le système juridique français ne correspond guère à celui de la Corée du Sud, du Japon, de la Chine, de l’Iran, du Brésil, du Mexique et même, parfois, des États-Unis. L’intelligence économique à la française se traduit par « renseignement économique de compétition » dans les pays anglo-saxons. L’espionnage étant relégué dans le « noir », elle se trouve dans le « blanc » et un peu dans le « gris clair », alors que le champ de la compétitivité anglo-saxonne se trouve dans le « gris foncé », c’est-à-dire entre le « légal » et…le « non illégal » ! Dans une compétition mondiale, souligne Christophe Stalla-Bourdillon, les règles de la concurrence sont faussées au niveau de l’acquisition de l’information. Il l’a constaté parmi les grands groupes et entreprises, dont le sud-coréen Samsung et les américaines Intel, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Pour gagner au niveau mondial, la veille numérique, accessible à tout le monde, ne suffit pas. L’information gagnante, qui donne le vrai différentiel, vient souvent de l’humain et se récolte sur le terrain. Il s’agit d’obtenir les informations pertinentes que détiennent certaines personnes…sans qu’elles s’en rendent compte ! Les Anglo-Saxons et les Asiatiques y parviennent par le « renseignement conversationnel », sans poser de questions. En revanche, les Français en posent, pour avoir des réponses explicites, et dévoilent leurs intentions avec le risque de réponses biaisées ou même mensongères.

Rester les meilleurs. Pour les entreprises, gagner permet d’engranger des commandes et de donner du travail à leur personnel. Leurs impôts contribuent à la souveraineté du pays et à l’innovation, comme la machine à laver qui a transformé la vie quotidienne des ménages dans les années 1960. En créant de la richesse, elles financent des emplois non subventionnés par l’État, qui règlemente et peut aussi aider les entreprises et les organisations professionnelles, mais de façons différentes selon les pays. Christophe Stalla-Bourdillon cite le cas du chancelier allemand qui avait organisé deux réunions bilatérales avec la France, l’une sur l’économie et l’autre sur le sport. Les deux fois, la partie française était représentée par le ministre concerné et ses conseillers, tandis que la partie allemande était composée de présidents de grandes entreprises pour la première réunion, puis de sportifs et de dirigeants de clubs sportifs pour la seconde. L’intelligence économique concerne la macro-économie mais aussi la micro-économie. Ainsi de petites entreprises la pratiquent en passant par leurs organisations professionnelles pour exercer de l’influence sur la Commission européenne à Bruxelles, comme les artisans taxi, les patrons-pêcheurs ou les fleuristes. Ainsi ceux d’Angers ont subi l’espionnage de leurs concurrents chinois, venus couper quelques fleurs chez eux afin de copier leurs innovations. Tirant les enseignements de son expérience professionnelle, Christophe Stalla-Bourdillon estime que la réussite des entreprises repose sur quatre leviers. Le premier consiste en un système éducatif performant avec des professeurs de haut niveau, afin de rendre les meilleurs étudiants capables de s’épanouir dans leurs talents naturels. En fait, il s’agit de créer une sorte d’élitisme à l’allemande. Le deuxième concerne les chercheurs performants, dont certains Français ont été récompensés par un Prix Nobel. Mais certains chercheurs performants ont quitté la France. Le troisième levier, c’est l’argent et le quatrième les entrepreneurs. Le professeur Stalla-Bourdillon a constaté, auprès de ses confrères chinois, que la Chine admire les États-Unis pour leur puissance technologique et leur capacité à développer et financer, par les pouvoirs publics ou des entrepreneurs privés, des projets qui « révolutionnent » la planète, comme internet ou la conquête spatiale. Outre l’innovation, l’intelligence économique permet de développer des opportunités géographiques et de la valeur boursière mais aussi de réduire les risques. Il convient de se renseigner au préalable auprès des organismes existants, comme les chambres de commerce et d’industrie et les conseillers du commerce extérieur. En outre, l’établissement public Business France aide les moyennes et petites entreprises et celles de taille intermédiaire à mieux se projeter à l’international et à attirer davantage d’investisseurs étrangers en France. La Coface (Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur), présente dans une centaine de pays, assure les risques d’insolvabilité des clients et propose les crédits nécessaires pour renforcer les capacités des entreprises à vendre sur leurs marchés nationaux et d’exportation. Les entreprises multinationales peuvent se renseigner auprès de diverses ambassades étrangères sur les risques pays et commerciaux.

Repousser les limites. La France et certains pays se fixent des limites dans l’intelligence économique que d’autres vont repousser, estimant que ce n’est pas illégal. La limite est devenue une autoroute à huit voies, très fréquentée, où ceux qui ne l’empruntent pas perdent. Malgré de sérieux risques encourus, le professeur Stalla-Bourdillon a pu obtenir, temporairement, un rapport secret sur un produit à usage civil et militaire réalisé dans une usine bien gardée en Chine, grâce à un stratagème incluant une consœur, un ministre, le directeur de l’usine…et une rémunération ! En Afrique, informé par un ambassadeur, il a pu déverrouiller un blocage administratif par un don à une fondation, car à un certain niveau, « tout fonctionne les yeux fermés ». Au cours de ses voyages, il a constaté qu’en Chine il ne faut surtout pas utiliser les modes de raisonnement occidental. Ainsi, Google y est interdit, mais les étudiants peuvent y aller, grâce à leurs « VPN » qui camouflent leur identité en ligne. Dans les affaires, certaines limites peuvent être franchies à condition de bénéficier des bons réseaux d’influence. Certains pays tentent de manipuler l’Union européenne pour faire voter des lois en faveur de leurs entreprises en s’appuyant sur des rapports pseudo-scientifiques d’observatoires inconnus. Par ailleurs, l’État, gardien de l’intérêt général en France, arbitre entre plusieurs forces en Grande-Bretagne et aux États-Unis, où les « lobbies », légaux et même encouragés, sont considérés comme porteurs de messages de groupes. Chez eux, un marché de l’information sensible, coté en bourse, se développe comme le cuivre, le pétrole ou le gaz. Enfin, les services de renseignement étrangers et français suivent les affaires économiques.

Loïc Salmon

Intelligence économique et renseignement

Renseignement et intelligence économique : complémentarité et divergences culturelles

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