Confidentialité, respect de la parole donnée et recours aux réseaux d’influence caractérisent la diplomatie de l’ombre, mise en œuvre par des personnalités indépendantes, en vue de la paix et la stabilité dans le monde.
L’homme d’affaires français Jean-Yves Ollivier (à droite sur la photo), président de la Fondation Brazzaville, en a dévoilé une partie au cours d’une séance de questions-réponses organisée, le 3 mars 2016 à Paris, par l’Association des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.
L’Afrique pour commencer. En septembre 1987 à l’aéroport de Maputo (Mozambique), Jean-Yves Ollivier (J-Y O) organise un échange de prisonniers : 133 soldats angolais loyalistes, 50 combattants du mouvement de libération de la Namibie (protectorat de l’Afrique du Sud à l’époque) et 2 activistes européens anti-apartheid contre 1 officier sud-africain blanc, le capitaine Wynand du Toit, capturé en Angola. Cette opération régionale, menée par Denis Sassou-Nguesso, président de la République populaire du Congo (Congo-Brazzaville) a nécessité la participation du Mozambique, de l’Afrique du Sud, de l’Angola, des Pays-Bas et de la France. Pendant cette période de la guerre froide, l’URSS et l’Occident s’affrontent par procuration en Afrique. La première a envoyé 50.000 mercenaires cubains aider les rebellions. Les États-Unis soutiennent les mouvements séparatistes angolais et mozambicains. Pour l’Afrique du Sud, un soldat ne doit jamais être abandonné, J-Y O engage alors un dialogue entre les parties pour faire libérer le capitaine du Toit. Son succès l’incite à aller encore plus loin. Ce sera l’accord de Brazzaville (voir encadré) qui conduira notamment à l’indépendance de la Namibie et au retrait des Cubains. Le slogan « Une balle pour un Blanc » de l’ANC (parti de la majorité noire sud-africaine) rappelle à J-Y O celui du FLN algérien : « Le départ ou le cercueil ». Selon ce « pied-noir » né à Alger en 1944, des communautés qui se comprennent mal n’ont plus d’autre espoir que de se défendre jusqu’à la mort. Estimant avoir quelques arguments à faire valoir, il contribue à la libération en 1990, après 27 années d’emprisonnement, de Nelson Mandela, futur premier président noir d’Afrique du Sud. La même année, le président François Mitterrand, en visite officielle aux Comores, ne souhaite pas avoir à serrer la main du mercenaire Bob Denard, soutenu par le régime de Pretoria. J-Y O a réussi, là où les diplomates ont hésité : il est allé demander à des Sud-Africains blancs de dissuader Bob Denard de se manifester !
Une certaine philosophie. Diplomaties parallèle et officielle vont dans la même direction, mais elles n’ont pas les mêmes contacts ni les mêmes sources d’information, indique J-Y O, qui assure n’avoir jamais agi contre les intérêts de la France. Pour lui, un pays est la « référence absolue » et la nationalité le « sentiment fantastique » d’appartenir à une communauté. Savoir parler à l’ennemi ne signifie pas abandonner sa propre éthique. Il s’agit de pratiquer une diplomatie à la Henry Kissinger (secrétaire d’État américain de 1973 à 1977) avec de nombreux aller-retour entre les parties, en vue d’obtenir des accords dans des délais rapprochés, d’abord sur un petit sujet puis sur un grand sujet. Cela passe par les réunions de familles séparées et le passage d’aides alimentaires dans une zone sinistrée. Au cours de sa carrière de négociateur en matières premières, domaine favorable au dialogue et à la communication, J-Y O a rencontré de nombreux responsables politiques chargés des opérations commerciales internationales. Le « bouche à oreille » prime dans les relations de confiance, surtout en Afrique où le contact avec l’interlocuteur permet de sentir son absence de préjugés. Il sera ainsi plus aisé d’en obtenir des informations en l’assurant qu’elles resteront secrètes, précise J-Y O. En revanche, un diplomate officiel ne révèlera que ce qu’il est autorisé à dire et rendra compte de ses entretiens… dont la teneur sera bientôt connue des médias ! Toute guerre doit déboucher sur la paix et il s’agit d’en convaincre les protagonistes, souligne J-Y O. Grâce aux références dont il peut se prévaloir, il parvient à les rencontrer et leur expliquer qu’il ne vient pas régler le contentieux, mais examiner comment bâtir un avenir ensemble. Il avoue avoir connu de « merveilleuses victoires », mais aussi des échecs. Dans le passé, ses moyens financiers lui ont garanti son indépendance d’esprit et d’action. Aujourd’hui, il doit rendre compte au conseil d’administration de la Fondation Brazzaville, son bailleur de fonds.
Des hommes d’influence. Pendant les conflits d’autrefois, les communications téléphoniques filaires étant fréquemment coupées, il était possible de se déplacer sans trop se faire remarquer, rappelle J-Y O. Aujourd’hui, il ne peut agir de la même façon dans un monde plus ouvert. Il a donc créé une fondation, avec un site internet et une adresse électronique. Fréquemment sollicité, il examine les situations conflictuelles où il peut intervenir de façon positive, en évaluant les chances de succès de solutions possibles. La Fondation Brazzaville met en œuvre les compétences et les réseaux de ses membres, qui ne se limitent plus au seul continent africain (voir encadré). Parmi eux figure notamment l’actuel président de la République du Congo, Denis Sassou-Nguesso, également président de l’Organisation de l’unité africaine en 1988 pendant les négociations de l’accord de Brazzaville. Le prince Michael de Kent, cousin germain de la reine Élizabeth II, gère son propre cabinet conseil et accorde son patronage à une centaine d’organisations caritatives. Le prince Philipp von und zu Liechtenstein, banquier, est gouverneur du Forum financier européen qui a son siège à Londres. Président de la République démocratique du Timor Oriental de 2007 à 2012, José Ramos-Horta a reçu le prix Nobel de la paix en 1996. Sundeep Waslekar, président de l’institut de recherche indien Strategic Forsight Group, a notamment pratiqué la diplomatie parallèle entre décideurs indiens et pakistanais. Enfin, Jean-Yves Ollivier, officier de la Légion d’Honneur, est le seul étranger à avoir reçu la plus haute distinction honorifique sud-africaine à deux reprises pour ses contributions à la paix : en 1987, sous le régime de l’apartheid, et en 1995 des mains de Nelson Mandela.
Loïc Salmon
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La Fondation Brazzaville a été créée en 2014 dans le but de perpétuer et d’agir dans l’esprit de « l’accord de Brazzaville », signé le 13 décembre 1988. Ce dernier est le résultat d’années de négociations menées en coulisses pour obtenir la libération de Nelson Mandela, mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud et faciliter l’avènement de la « Nation arc-en-ciel ». La Fondation Brazzaville met à profit l’expérience des négociations internationales de ses membres pour agir au plus haut niveau, dans la plus grande confidentialité et en engageant un dialogue direct entre les parties, pour favoriser la résolution pacifique des conflits en Afrique et dans le reste du monde. Elle intervient à la demande d’États en conflit ou à la suite des sollicitations d’organisations régionales ou multinationales. Sans vouloir se substituer aux diplomaties ou organisations officielles, elle agit avec pragmatisme en privilégiant l’efficacité.