DGA : valoriser l’audace et l’innovation de terrain

image_print

La « Mission innovation participative » (MIP) de la Direction générale de l’armement (DGA) étudie les projets issus de l’expérience vécue pour en tirer éventuellement des prototypes, en vue de séries, utilisées par les forces armées ou même commercialisées. Elle constitue ainsi un réseau d’innovateurs, qui s’enrichissent mutuellement.

Ses objectifs et son fonctionnement au sein du ministère de la Défense ont fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 31 mars 2016 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont notamment intervenus : l’ingénieur général de l’armement Pierre Schanne, chef de la MIP ; le capitaine (Terre) Jean-Baptiste Colas, conseiller militaire et innovation auprès de la DGA et concepteur du système de communication « Auxylium ».

Innovation « interne ». La MIP est un dispositif d’écoute et de remontée des idées d’innovation, explique l’ingénieur général Schanne. Selon une étude réalisée par IBM en 2006, ces idées viennent d’abord des employés d’une entreprise, puis de ses partenaires et clients, bien loin devant son service interne de recherche et développement (R&D). Au sein du ministère de la Défense, les personnels, directement confrontés aux problèmes, sont aussi les utilisateurs finaux des innovations. La MIP souhaite des solutions à court terme, alors que le service R&D explore les ruptures technologiques, dont les résultats aboutissent après plusieurs années de recherche. Ce dernier assure aussi une veille technologique et répond à des besoins, sans nécessairement proposer des idées. Les innovations génèrent ensuite des pistes de recherche. La MIP s’appuie sur l’inventivité du personnel pour trouver des solutions efficaces et peu coûteuses, souvent inattendues, simples et rapides à mettre en œuvre. Elle met ainsi en valeur le potentiel de créativité, favorise l’initiative et développe l’esprit de corps. Différente de l’invention, l’innovation, qui n’est pas obligatoirement technologique, peut consister à adapter une solution civile. Tout projet innovateur doit notamment apporter un gain économique en termes d’investissement, de fonctionnement, de ressources humaines et de consommation d’énergie. Sur le plan opérationnel, il doit contribuer à améliorer les capacités des équipements existants pour l’entraînement, la logistique ou l’instruction. En matière d’organisation, il doit prendre en compte l’hygiène et la sécurité des conditions de travail, la pénibilité, l’ergonomie, le gain de temps, la simplification administrative et la qualité. Enfin, il s’attache à préserver l’environnement, dont la biodiversité. La MIP procède de façon simple et directe : 2 mois entre l’accueil de l’idée et la décision de la soutenir, après accord de l’état-major de l’armée dont dépend l’innovateur ; 1 à 2 ans de suivi de sa réalisation ; un rapport final et une présentation vidéo du prototype et de son expérimentation. Elle reçoit une centaine de projets par an, en sélectionne environ la moitié et attribue à chacun un montant moyen de 30.000 €. En outre, elle apporte divers soutiens : technologique, par des conseils, contacts et partenaires ; administratif, par des liens avec le service achat (accès aux marchés publics) et le service exécutant (contrats) ; juridique, par la protection de la propriété intellectuelle et des droits ; moral, par l’écoute et les encouragements.

« Prix de l’audace ». Tous les deux ans, la MIP organise un « prix de l’audace », décerné par la fondation Maréchal Leclerc de Hautecloque, après une présélection par l’état-major de chaque armée. Ce prix récompense l’esprit d’initiative, le caractère original du projet, l’investissement personnel et la ténacité de l’innovateur, la portée de l’innovation, la pertinence et/ou l’intérêt opérationnel et, enfin, les économies réalisables. Sept innovations ont été distinguées en 2014. Le plasma lyophilisé « Plyo » permet de reconstituer du sang avec de l’eau. Une tente pour alpinistes en difficulté, largable d’hélicoptère, s’ouvre vite et inclut un kit de survie avec de la nourriture, de l’eau et des médicaments pour 24 heures. Une « règle atmosphère » évalue la viabilité de l’air respiré dans un sous-marin. Grâce au gilet communicant pour appui aérien « Titaan », les forces spéciales restent en contact permanent avec la chaîne de commandement. Des platines de protection permettent de fixer des bombes BLU-111 sous les ailes du Rafale Marine. Le dispositif « Waterbelt », sorte de tente remplie d’eau et de mousse, diminue les effets de la détonation d’un colis suspect et protège des éclats. L’application « Auxylium », téléchargeable sur smartphone, gère les actions de combat. Son concepteur, le capitaine Colas, en a présenté les fonctionnalités. Ce système permet au fantassin, débarqué de son véhicule blindé, de rester connecté à son réseau d’informations tactiques dans une zone à haute densité de population. Sur un fusil d’assaut, il enregistre le nombre de coups tirés, afin de savoir quand changer une pièce usée, et signale automatiquement la consommation de munitions. En 2015, la MIP a retenu 56 nouveaux projets : 15 de l’armée de l’Air ; 10 de l’armée de Terre ; 8 de la DGA ; 6 du Commandement des opérations spéciales ; 5 de la Marine nationale ; 5 du Service de santé ; 3 de la Gendarmerie nationale ; 2 de l’État-major des armées ; 2 du Service des essences des armées.

Facteurs de succès. La MIP refuse la routine et ignore la censure. Elle relie l’idée à l’innovation, trouve la meilleure voie pour faire avancer le projet et diffuse l’idée. Par exemple, la lutte contre les minidrones malveillants a suscité un nombre considérable de projets thématiques, destinés aux centres de commandement et de contrôle : prévention et protection passive (105 projets) ; brouillage de zones (230) ; détection et identification (124) ; neutralisation sans destruction (118) et avec destruction (246). Toutefois, selon l’ingénieur général Schanne, la normalisation des matériels, leur qualification et la réglementation freinent l’innovation. S’y ajoutent, pour l’innovateur, la crainte du supérieur, l’angoisse de sortir du rang et la peur de l’échec. Le romancier français Jules Clarétie (1840-1913) avait déjà anticipé sa situation : « Tout homme qui fait quelque chose a contre lui ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui font précisément le contraire et, surtout, la grande armée des gens d’autant plus sévères qu’ils ne font rien du tout » ! Le chef doit donc créer l’environnement favorable à l’émergence des idées, conclut l’ingénieur général.

Loïc Salmon

« DGA Innovation » : rendre les projets possibles et rentables sur le long terme

Drones civils : réponses opérationnelles et juridiques aux usages malveillants

Cyber : le combat numérique, nouvelle dimension militaire

Installée à Paris et composée de cinq personnes, la « Mission innovation participative » (MIP) de la Direction générale de l’armement (DGA) investit 1,5 M€ par an dans les projets présentés par les personnels, civils et militaires de tout grade, du ministère de la Défense. Depuis sa création en 1988, la MIP a reçu 1.600 projets et en a retenu 620, concrétisés sous forme de prototypes. Ceux-ci sont réalisés par l’innovateur lui-même ou une petite ou moyenne entreprise (PME) qu’il choisit. La DGA les finance dans le cadre du dispositif RAPID (Régime d’Appui PME pour l’Innovation Duale).

image_print
Article précédentMédiateurs militaires : rétablir la confiance au-delà de la résolution d’un différend
Article suivantArmée de Terre : l’autorité, concilier commandement et management