Dans la lutte contre le terrorisme sur le territoire national, les règles d’ouverture du feu des forces de sécurité sont régies par la nécessité et la proportionnalité. Dans les opérations extérieures, les forces militaires appliquent le droit des conflits armés.
Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 2 mars 2016 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Y sont notamment intervenus : Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale ; la professeure Alya Aglan, Université de Paris I ; le professeur Douglas Porch, Université de Californie (États-Unis) ; le docteur Élie Tenenbaum, Institut français des relations internationales.
La France occupée (1940-1944). L’armistice du 22 juin 1940 entre la France et l’Allemagne ne vaut pas la paix et la seconde guerre mondiale est également une guerre de subversion, explique Alya Aglan. L’Allemagne limite les effectifs de l’armée française à 100.000 hommes, fixe la ligne de démarcation entre les zones Nord et Sud et déclare « zone interdite » la façade maritime atlantique. Le haut commandement militaire allemand détient l’autorité en matière de défense et de sécurité. Le régime de Vichy veut la paix pour continuer à exister dans le Reich, censé durer 1.000 ans. Il collabore avec lui par sa police et son administration et instaure le Service du travail obligatoire en Allemagne. Sont déclarés ennemis intérieurs : les juifs ; les francs-maçons ; les « dissidents » de la France Libre, après la déchéance de nationalité du général De Gaulle pour désertion ; les communistes, après l’invasion de l’URSS en 1941. Une justice préventive sous juridiction militaire allemande et une répression par des polices spécialisées sont mises en œuvre. Les miliciens français président les cours martiales et gèrent les prisons. Les Waffen SS assurent le maintien de l’ordre dans toute l’Europe, avec opérations aériennes et infiltrations des maquis pour réduire les mouvements de résistance. La politique allemande vise à créer des liens de sang entre puissance occupante et pays occupés. Il s’ensuit une confusion entre les domaines civil et militaire ainsi que sur le plan idéologique : ceux qui sont considérés comme ennemis ne sont plus protégés par le droit des conflits armés. En conséquence, la notion de défense va fusionner les objectifs politiques et militaires. Enfin, les intérêts de toutes les parties convergent sur l’empire colonial français : Vichy entend y conserver sa souveraineté ; l’Allemagne veut le mettre au service des forces de l’Axe ; le gouvernement de la France Libre s’y constitue une assise territoriale avec la création du Conseil de défense de l’Empire en octobre 1940.
Les guerres irrégulières (1945-1975). La police maintient l’autorité publique et la paix civile dans la cité, conformément au droit, et l’armée a pour mission de détruire l’ennemi, rappelle Élie Tenenbaum. Pendant les guerres de libération nationale, les forces de police se sont trouvées en première ligne, face aux mouvements clandestins. En France, la loi martiale et l’état de siège prévoient le transfert des pouvoirs de police aux armées en cas de guerre étrangère ou d’insurrection armée. Toutefois, en 1948, la Grande-Bretagne a préféré décréter l’état d’urgence lors de l’insurrection communiste en Malaisie : l’armée est intervenue en appui et non à la place de la police et sous autorité civile. Une branche particulière de la police était chargée d’infiltrer les réseaux clandestins et de surveiller les sociétés secrètes. La CIA américaine a fait de même parmi les mouvements paramilitaires vietnamiens. L’administration coloniale française en Afrique du Nord ne disposant que de 7.000 policiers, le gouvernement y a envoyé 80.000 soldats de l’armée de Terre, au début de l’insurrection en Algérie en 1954. La contre-guérilla, qui nécessite reconnaissance et mobilité, est confiée à la Légion Étrangère, aux troupes de Marine et aux parachutistes. Elle s’accompagne d’une action psychologique et d’une politique sociale envers la population. En 1956, la Chambre des députés vote le transfert des pouvoirs de police à l’armée et subordonne la police à la hiérarchie militaire. Leur suspension l’année suivante n’empêchera pas le « pseudo coup d’État » de 1958 et le putsch des généraux de 1961. Par crainte des rebellions communistes, les coups d’État se sont succédé au Viêt Nam et en Amérique latine jusqu’aux années 1970.
Idéologie et technologie. Les doctrines de contre-insurrection, mises en œuvre depuis le XIXème siècle par la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont échoué, estime Douglas Porch. Ces trois puissances ont proposé un modèle universel à des sociétés qu’elles voulaient moderniser. Le lien entre mondialisation et démocratie a remplacé le concept de pacification. Les méthodes étatiques contre les mouvements de libération sont longtemps restés les mêmes : bouclage et ratissage de zones ; bienveillance de l’Occident pour gagner l’adhésion des populations locales. Les soldats de la guerre conventionnelle ont dû affronter des combattants organisés selon une doctrine politique. Or la contre-insurrection, forme particulière de la guerre, nécessite des forces spécialement formées et entraînées. La conduite de la guerre du Viêt Nam par les civils a été ressentie, par les chefs militaires américains, comme un coup de poignard dans le dos. Ils ont obtenu la suppression de la conscription, au motif que les appelés se battaient mal et écrivaient à leurs députés. Depuis 1984, les États-Unis n’interviennent militairement que si les conditions de succès semblent remplies par la haute technologie, qui doit permettre de vaincre avant que le conflit ne s’enlise et prenne une ampleur politique. L’administration Bush a cru que les conflits en Afghanistan et en Irak se régleraient rapidement. A la suite de ces échecs, l’administration Obama a misé sur les drones et les opérations spéciales. Le président désigne lui-même les cibles de la semaine, comme Lyndon Johnson au temps de la guerre du Viêt Nam. Selon Douglas Porch, cela encourage l’anarchie et le déplacement du conflit sur d’autres théâtres. En outre, il s’ensuit des tensions entre le personnel politique et les militaires et une manipulation de l’opinion publique.
Loïc Salmon
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Selon Louis Gautier, l’extension des flux et la dislocation des frontières physiques ont facilité les migrations, dont certains pays européens se prémunissent en les rétablissant à l’intérieur même de l’espace Schengen. La mondialisation a distendu le lien entre activité économique et nationalité. Daech, fort de son ancrage territorial en Syrie et en Irak, développe sa capacité à radicaliser de jeunes occidentaux, les former et les renvoyer dans leurs pays d’origine perpétrer des attentats. En France, les divers services de renseignement sont mobilisés pour la prévention, la protection et la lutte contre le terrorisme. Cette dernière a nécessité le redéploiement de l’armée de Terre sur le territoire national pour en assurer la cohésion et la sécurité, en cohérence avec l’armée de l’Air (espace aérien) et la Marine (approches maritimes). Cela implique une harmonisation des équipements et des règles d’ouverture du feu entre les forces armées et celles de sécurité (police, gendarmerie et douane).