Chine : Covid-19, propagande active et une image dégradée

image_print

En Chine, la pandémie du Covid-19 agit comme le révélateur d’une tendance préexistante, à savoir la mise en avant d’un nouveau nationalisme, notamment sur Hong Kong et la minorité ouïghoure du Xinjiang. Elle l’a même accélérée vis-à-vis des pays occidentaux.

Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, l’explique dans un « podcast » (contenu audio numérique), diffusé le 29 juillet 2020 à Paris.

L’effet Covid-19. Dès le début de la pandémie en mars 2020, la diplomatie « sanitaire » chinoise se manifeste par les dons de masques en Europe et d’équipements de protection et de ventilateurs en Afrique, au Pakistan et en Asie du Sud-Est. Cette diplomatie, qui remonte aux années 1960 en Afrique, avait pris de l’ampleur lors de l’irruption du virus Ebola (2014-2015) dans les pays riverains du golfe de Guinée. Cette épidémie avait mobilisé également les Etats-Unis et des pays européens, dont la France. La Chine y avait envoyé des médecins militaires et civils et construit un hôpital en Sierra Leone. Ensuite, en partenariat avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle avait fait bénéficier de nombreux pays de sa coopération en matière sanitaire, dans le cadre du vaste projet des « Routes de la Soie ». Des entreprises chinoises ont fait des dons aux hôpitaux de Milan. Le site chinois de vente en ligne Alibaba propose des solutions, comme le « Cloud » (services informatiques) et la reconnaissance d’imagerie médicale (scanners thoraciques). Cette diplomatie sanitaire s’est adaptée à la pandémie du Covid-19 avec l’émergence d’une « diplomatie publique » de communication internationale, souligne Antoine Bondaz. Ainsi, consulats, ambassades et consultants associés au ministère chinois des Affaires étrangères ont ouvert 200 comptes sur les réseaux sociaux, dont 60 au second semestre 2019 et 70 au premier semestre 2020. Les événements de Hong Kong à l’été 2019 ont entraîné une présence accrue des autorités chinoises sur Twitter. Cela fait suite à un discours de 2013 du président chinois Xi Jinping, qui avait appelé à mieux raconter l’histoire de la Chine et à mieux faire entendre sa voix. Il s’agit de présenter des éléments de langage à l’étranger, en vue de discréditer toute critique du Parti communiste chinois et de sa politique et aussi de s’insérer dans le débat public international. Les médias chinois comme le quotidien Global Times et l’agence de presse Xin Hua se sont massivement investis dans le réseau social You Tube.

La « diplomatie guerrière ». Un film, sorti en Chine en 2017, a remporté un gros succès. Il met en scène un ancien agent des forces spéciales, devenu mercenaire en Afrique, qui sauve des personnels humanitaires des mains de trafiquants et de mercenaires divers. Selon Antoine Bondaz, il véhicule l’idée que les militaires chinois vont à l’étranger défendre la cause de leur pays. Ce concept de la diplomatie des guerriers a été présenté par les médias de Hong Kong puis repris à l’étranger. Il vise à convaincre le grand public chinois que les représentants de leur pays, notamment les diplomates et les médias, défendent l’honneur de la Chine, au-delà de simples intérêts. Cette rhétorique agressive semble en grande partie appréciée. Les diplomates chinois se différencient ainsi de leurs collègues étrangers. Par ailleurs, indique Antoine Bondaz, la Chine use de la désinformation pour essayer d’imposer ses éléments de langage à l’étranger. Ainsi, la communication de l’ambassade de Chine en France se démarque de celle des autres ambassades par un ton particulièrement agressif dans ses communiqués, des généralisations grossières et des propos parfois insultants envers certains chercheurs et la presse française à propos du Covid-19. Celle-ci est accusée de mensonges, de racisme antichinois et d’alignement sur la politique américaine qui lui ôte toute indépendance. Selon le quotidien Le Monde, dans une tribune mise en ligne le 12 avril 2020, l’ambassade de Chine en France reproche aux pays occidentaux d’avoir dénigré la Chine dans sa gestion de la crise du Covid-19 et accuse violemment le personnel soignant des maisons de retraite françaises d’abandon de poste. Deux jours plus tard, l’ambassadeur Lu Shaye a été convoqué par le ministre des Affaires étrangères et de l’Europe, Jean-Yves Le Drian, qui lui a fait part de sa « désapprobation de certains propos récents ». Déjà, indique Antoine Bondaz, cet ambassadeur, auparavant en poste à Ottawa, s’était fait remarquer par ses propos virulents et insultants envers les médias canadiens pour leur couverture de l’affaire de l’entreprise chinoise de télécommunications Huawei et de l’arrestation de sa vice-présidente Meng Wanzhou sur demande des Etats-Unis.

Conséquences en Europe. La détérioration de l’image de la Chine à l’étranger a commencé en 2018, comme le montrent des sondages récents du centre européen de recherche ECFR, indique Antoine Bondaz. En France, elle est tombée à 33 % d’opinions favorables en 2019, avant même la pandémie. Au niveau européen, un consensus s’est dégagé sur les grands dossiers, dont Hong Kong et la répression contre les Ouïghours du Xinjiang. Lors des négociations entre l’Union européenne (UE) et la Chine, Charles Michel, président du Conseil européen (depuis 2019), et Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne (depuis 2019) ont tenu des propos très durs sur la Chine, qui ont surpris leurs nouveaux interlocuteurs chinois. La question de la réciprocité devient centrale dans les négociations bilatérales aux niveaux de l’UE ou des Etats membres, en raison des promesses non respectées par la Chine depuis des années. Toutefois, cela n’implique guère de sanctions économiques dans l’immédiat, estime Antoine Bondaz. Sans remettre en cause la mondialisation, la diversification des sources d’approvisionnement et la relocalisation d’une partie des industries stratégiques réduisent l’exposition aux risques.

Hong Kong, le Xinjiang et la 5 G. Les décideurs européens s’intéressent, depuis 2016, à Hong Kong et, depuis 2017, au Xinjang, dont un peu moins de 50 % de la population appartient à la communauté ouïghoure, turcophone et musulmane. Ils demandent d’y accéder, pour se rendre compte de la situation, et des explications sur la révélation de camps d’internement, la stérilisation forcée et la disparition d’une partie du patrimoine religieux. Le Parlement européen a décerné le prix Sakharov (droits de l’Homme) 2019 à l’universitaire ouïghour Ilham Tohti. Les Etats-Unis vont sanctionner les entreprises chinoises ou étrangères qui utilisent de la main-d’œuvre forcée des camps d’internement pour leurs produits destinés à l’exportation. Quant à la téléphonie mobile 5 G, développée par la Chine, elle prend une dimension politique. Les Etats-Unis la retardent et la Grande-Bretagne l’a interdite pour des raisons de sécurité. Le gouvernement français tente de faire prendre conscience aux entreprises de télécommunications des risques. Toutefois, rappelle Antoine Bondaz, la Chine reste incontournable sur les nouvelles technologies, les normes internationales, la réforme de l’ONU et de l’OMS ou le réchauffement climatique. Elle produit notamment 30 % des émissions de gaz à effet de serre.

Loïc Salmon

Chine : diplomatie « sanitaire » via les « Routes de la Soie »

Chine : une stratégie d’influence pour la puissance économique

Etats-Unis : stratégie d’influence et politique étrangère

image_print
Article précédentExposition « De Gaulle, une carrière militaire » à Vincennes
Article suivantLiban : l’opération « Amitié », réactivité et efficacité