Protection de leurs concitoyens et défense de leurs intérêts, y compris par les armes, demeurent la première responsabilité des chefs d’Etat. Succès et échecs dépendent, notamment, de leurs relations, souvent tumultueuses, avec leurs grands chefs militaires.
Napoléon III, qui a suivi une formation d’officier dans l’armée suisse, sera toujours affecté par les pertes considérables de l’armée française à Sébastopol (Crimée, 1854-1855), Solferino (Italie, 1859) et Sedan (1870). Dans le choix de ses généraux, il privilégie la loyauté au détriment de la compétence et la bravoure aux dépens de l’intelligence de situation. Abraham Lincoln, élu capitaine d’une compagnie de volontaires, n’a jamais rencontré l’ennemi pendant un conflit contre les Indiens (1832). Pendant la Guerre de Sécession (1860-1865), déçu par ses généraux, il prend le commandement des opérations jusqu’à ce qu’il trouve Grant, le chef militaire de la victoire d’une guerre, civile, totale. Président du Conseil en 1906, Georges Clemenceau, nomme, à la direction de l‘Ecole de Guerre, le général de brigade Foch, connu par ses ouvrages « Principes de la guerre » (1903) et « Conduite de la guerre » (1904). A nouveau président du Conseil en 1917, Clemenceau obtient pour Foch le commandement unique interalliés, mais l’écarte dans les négociations de paix. Winston Churchill, officier à l’origine, connaît l’expérience du combat au Soudan en 1898 et à la tête d’un bataillon d’infanterie dans les tranchées à Ypres en 1915. Après ses premiers choix hasardeux de généraux, il a su trouver le meilleur chef d’état-major impérial du moment, le général Brooke. Commissaire politique pendant la guerre civile (1919-1922), Joseph Staline va utiliser une police spécialisée pendant la « Grande Terreur » (1936-1939) pour éliminer 90 % de généraux et 80 % des colonels. Un rescapé, Joukov, promu chef d’état-major de l’Armée rouge en 1941, organise le coup d’arrêt des troupes allemandes devant Moscou et Stalingrad puis la prise de Berlin en 1945, avant d’être discrédité. Caporal décoré pendant la première guerre mondiale, Adolf Hitler domine ses généraux, notamment par son aptitude à synthétiser des situations complexes et son expertise des armements. Ses succès militaires résultent de son audace et de son intuition stratégique. Ses échecs commencent en décembre 1941, quand il prend les fonctions de chef militaire au détriment de celles de chef de l’Etat, dont la mise sur pied d’une économie de guerre et la direction de la politique extérieure. Intellectuel autodidacte, David Ben Gourion fonde l’Etat d’Israël par les armes en 1948, selon la méthode marxiste clandestine basée sur l’audace, le calcul et le secret, mais opte pour le camp occidental en pleine guerre froide. Ses généraux dénoncent son ingérence dans les opérations de la guerre d’indépendance. Parlementaire dès 1937 et enseigne de vaisseau en 1942, Lyndon Johnson connaît bien les questions de défense. Pourtant, au début de la guerre du Viêt Nam en 1964, il refuse tout dialogue politico-militaire sur les conséquences opérationnelles des décisions prises. Il ignore les rapports de la CIA sur la stratégie du Nord-Viêt Nam et sur l’aide fournie par l’URSS et la Chine. Enfin, l’auteur, le général Bentégeat qui a exercé les plus hautes fonctions militaires, livre ses expériences personnelles auprès de deux présidents français décorés au feu, François Mitterrand (1981-1995), sergent en 1940, et Jacques Chirac (1995-2007), lieutenant en Algérie.
Loïc Salmon
« Chefs d’Etat en guerre » par le général d’armée Henri Bentégeat. Editions Perrin, 496 pages, 25 €.
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