Le nerf de la guerre

La paix, but de la guerre selon Aristote, coûte de plus en plus cher. Pillage et « guerre économique » ont toujours fait partie de la guerre tout court, de même que l’espionnage, clé de voûte des empires terrestres et maritimes.

Cet ouvrage relate trois millénaires de l’histoire militaire du monde sous cet angle, de l’Occident à l’Orient. Ainsi, l’expansion de l’Égypte des pharaons au Sud, à l’Est et à l’Ouest est financée, pendant presque cinq siècles, par les mines d’or de Nubie (Soudan), centre mondial de la production d’or de l’époque. Le « métal jaune », préféré à l’argent métal pour sa rareté, est principalement négocié en Méditerranée dans la cité grecque de Mycènes et… à Troie ! L’empire perse alimente en espèces sonnantes la rivalité entre les cités grecques pendant la guerre du Péloponèse. La capture de son trésor, entreposé notamment à Suse et Persépolis, permet à Alexandre le Grand de poursuivre ses conquêtes jusqu’en Inde et de stimuler ultérieurement le développement du monde hellénistique. Carthage, rivale de Rome dans le bassin méditerranéen, a confié la défense de son empire maritime à des mercenaires (sauf les officiers supérieurs), qu’elle ne parvient plus à payer. Le pillage des trésors et la vente d’esclaves de Carthage, des Gaules, d’Égypte et de Dacie financent les légions romaines, qui représentent près de 80 % du budget de l’État. En outre, leurs conquêtes intègrent à l’empire des territoires riches en minerais et en produits de l’agriculture et de l’élevage et dont certains sont traversés par les routes de la soie, de l’étain, de l’ambre et de l’alun. L’empire musulman des Omeyyades s’enrichit des butins des palais perses, des églises et monastères byzantins et de la recherche des tombes pharaoniques. L’interdiction du prêt à intérêt par le Coran fait la fortune des banquiers juifs, arméniens et, plus tard, italiens. Comme les conquérants arabes, les Vikings pratiquent la razzia des objets de culte en métaux précieux des couvents et vendent, comme esclaves, les hommes les plus robustes et les femmes les plus belles. La « Pax Mongolica », qui sécurise la route de la soie grâce aux unités de cavalerie mobile, est réalisée par la terreur qu’inspirent les hordes mongoles. Leur service d’action psychologique fait croire qu’elles sont plus nombreuses et plus efficaces que les armées des régions envahies. En outre, les Mongols proposent aux villes hostiles d’éviter le saccage par le paiement d’un tribut… qui limitera leurs propres pertes et financera leurs conquêtes futures ! La conquête du nouveau monde nécessite des galions pour transporter ses richesses en Europe et des vaisseaux pour les protéger des pirates. Les Marines militaires, l’artillerie et les fortifications coûtent très cher aux États européens, qui se lancent dans une course aux armements. Dès le XVème siècle, les pays belligérants créent des banques centrales pour financer l’effort militaire, puis la « guerre totale » jusqu’aux deux conflits mondiaux. A la même époque, débute la fabrication de fausses monnaies étrangères pour déstabiliser les pays ennemis. Au XVIIIème siècle, pour étendre son influence, la Grande-Bretagne appuie son armée et sa Marine  par sa « cavalerie d’or de Saint Georges », qui soudoie les personnalités politiques de pays tiers. Aujourd’hui, les trafics de drogues, d’or et de pierres précieuses financent les conflits asymétriques et les manipulations de devises déclenchent des guerres économiques et commerciales.

Loïc Salmon

Chine, Iran, Russie : un nouvel empire mongol ?

Le basculement océanique mondial

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

« Le nerf de la guerre » par Alessandro Giraudo. Éditions Pierre de Taillac, 448 pages. 25€




L’histoire de l’Aviation légère de l’armée de terre 1794-2014

Par son adaptabilité, l’hélicoptère de combat de l’Aviation légère de l’armée de terre (ALAT) peut s’utiliser du conflit de haute intensité à l’action humanitaire. Sa rapidité d’emploi lui confère une dimension politico-militaire dans la gestion des crises.

Il aura quand même fallu 60 ans pour y arriver, comme le présente en détail ce livre, tiré de la thèse de doctorat d’histoire contemporaine du général (2S) André Martini, soutenue en 2004 puis enrichie pendant la décennie suivante. L’ALAT justifie sa double appartenance au monde rustique de l’armée de Terre et à celui de la technique aéronautique. Son esprit pionnier, caractéristique de la saga de l’aviation tout court, se heurtera souvent aux dures réalités administratives et financières, sans oublier les rivalités entre armées de Terre et de l’Air. Aux États-Unis, les expériences de ballons d’observation aériennes et de réglage de tirs d’artillerie débutent à la guerre de Sécession (1860-1865). La Grande-Bretagne met sur pied une unité de ballons au Beschuanaland (Afrique australe) en 1884. Mais la France les a précédées lors de la bataille de Fleurus…en 1794 ! Cette innovation est ensuite décriée comme une « tricherie » dans la conduite de la guerre. Elle ne réapparaît qu’au siège de Paris en 1870. Après les essais de « l’avion » de Clément Ader (1897) et surtout la traversée de la Manche par Louis Blériot en 1909, les militaires s’y intéressent. L’aéronautique désigne alors la science de la navigation aérienne, l’aérostation « les plus légers que l’air » et l’aviation « les plus lourds que l’air ». L’hélicoptère apparaît dans les années 1920, mais il faut attendre les guerres de Corée puis d’Indochine et surtout d’Algérie pour qu’il démontre son utilité. Le 8 mars 1956, le colonel Marcel Bigeard réussit la première opération héliportée en utilisant des hélicoptères comme engins d’assaut. Par ailleurs, fin 1960, plus de 1.500 blessés ont été évacués de nuit en plus de 750 missions extrêmement risquées. Vulnérable, l’hélicoptère sera rapidement doté de mitrailleuses, lance-roquettes et enfin missiles. Le besoin de deux niveaux d’action aérienne se manifeste : appui mené par des moyens concentrés sur quelques bases opérationnelles, du ressort de l’armée de l’Air ; action aérienne immédiate et intégrée à la manœuvre terrestre qui relève de l’ALAT. La formation des pilotes d’hélicoptères se fait dans les deux armées. Dans l’armée de l’Air, elle attire les pilotes devenus inaptes au métier de chasseur ou de transporteur. En revanche, dans l’armée de Terre, les jeunes officiers se tournent vers l’hélicoptère, comme leurs anciens vers la cavalerie légère. Les progrès techniques transforment le combat dans la 3ème dimension. Le radar « Spartiate » permet de guider vers l’arrière les hélicoptères possédant l’aptitude au vol ans visibilité, garantissant du secours aux équipages par tous les temps. Viennent ensuite les jumelles intensifiant la lumière résiduelle, pour le vol de nuit, et la caméra thermique pour l’identification des cibles. Les combats de demain, intenses et de courte durée seront soumis à la surveillance constante des moyens de renseignement et à la menace permanente d’armes précises à temps de réaction très bref. Le rythme des interventions de l’ALAT sera accru en conséquence. Devant la complexité des équipements destinés à maîtriser ces risques, le facteur humain restera toujours primordial.

Loïc Salmon

ALAT : retour d’expérience opérationnelle

Armée de Terre : l’ALAT, indispensable à l’engagement terrestre

« L’histoire de l’Aviation légère de l’armée de terre » 1794-2014, par le général André Martini. Éditions Lavauzelle, 448 pages.




Grande-Bretagne : commémorations en France du « Jour J » et de la Grande Guerre

Les Britanniques entendent souligner, de juin 2014 à mars 2015, l’importance des engagements de leurs troupes en France lors des deux conflits mondiaux. La Reine Élizabeth II figure parmi les 18 chefs d’État et de gouvernement invités aux cérémonies du 70ème anniversaire du débarquement. Environ 500 anciens combattants britanniques sont inclus parmi les 7.000 invités à la cérémonie internationale de Ouistreham. En complément de la protection policière, le ministère français de la Défense a déployé 2.400 militaires pour sécuriser les sites des cérémonies des 5-6 juin pour faire face à tout type de menace, avec des dispositifs terrestre, naval et aérien (drone, avions, hélicoptères, radars et navires). Le 6 juin 1944, sur les 130.000 hommes des troupes alliées débarquées sur les côtes françaises, 3.000 sont morts ainsi que 3.000 civils normands. Fin juillet 1944, la bataille de Normandie, à laquelle ont participé 1,5 million d’hommes, a fait 600.000 victimes (tués, blessés et disparus), dont 54.000 Allemands, 24.000 Américains, 20.000 Anglo-Canadiens et 20.000 civils. Le « Jour J », 28.845 soldats britanniques, dont les 177 hommes du Commando de fusiliers marins français en uniforme anglais, débarquent sur la plage dite « Sword » et 630 seront tués, dont 10 Français. Le 7 juin, la 50ème Division britannique libère, pratiquement sans combat, Bayeux, qui deviendra pour les Britanniques la ville de la commémoration du débarquement. Elle abrite en effet le plus grand cimetière britannique de la seconde guerre mondiale en France avec 4.648 tombes, dont 3.395 britanniques. Par ailleurs, pour commémorer le sacrifice de ses soldats morts pendant la première guerre mondiale, la Grande-Bretagne organise diverses conférences entre juillet et novembre 2014, en vue d’en tirer des leçons encore valables aujourd’hui pour ses forces armées. Le programme a été présenté à l’Association française des journalistes de défense, le 15 mai 2014, au Quartier Général de l’armée de Terre britannique  à Andover. Ainsi, le 17 juillet, le « think tank » (organisation indépendante) Royal United Services Institute (RUSI) tient un colloque sur : le contexte politique et stratégique ; la vision des adversaires ;  la guerre en coalition ;  l’évolution de l’armée de Terre britannique (1914-1918) ; les caractéristiques du conflit (tactiques et technologies) ; les leçons du passé à tirer pour l’avenir. L’École d’état-major organise un séminaire du 7 au 12 septembre avec des universitaires, journalistes et officiers supérieurs français et britanniques ainsi que 60 étudiants britanniques et 50 français. Des déplacements sont prévus sur les lieux de combat où ont été engagées les troupes britanniques, notamment à Ypres, Neuve-Chapelle, Notre-Dame-de-Lorette et Beaumont-Hamel, au château de Querrieu, à Vimy et au bois de Delville. Les thèmes portent sur : la préparation d’une armée à la guerre (entraînement et réserves) ; le moral (personnels et facteurs humains) ; les équipements (technologies) ; la tactique (doctrine et entraînement) ; la stratégie (aspects politiques et militaires) ; la coalition (diverses nationalités). Ensuite, les 5 et 6 novembre, l’Académie royale militaire de Sandhurst (armée de Terre) organisera un « colloque d’exploitation »  des enseignements contemporains de ce séminaire. Enfin, le 1er mars 2015, le « Directorate Land Warfare » (Direction du combat terrestre) rendra public les minutes des interventions ainsi qu’une mise à jour des enseignements que l’armée de Terre britannique avait tirés du premier conflit mondial en 1931.

Loïc Salmon

 




Entendre la guerre

La première guerre mondiale fut le triomphe du bruit jamais entendu auparavant, en raison de la canonnade à outrance le long du front, mais aucun enregistrement original ne subsiste. Par ailleurs, les musiques ont joué un rôle important pendant ce conflit.

C’est ce qu’explique le catalogue de l’exposition « « Entendre la guerre », organisée par l’Historial de la Grande Guerre de Péronne (Somme) du 27 mars au 16 novembre 2014. Dans les années 1920, le cinéma reconstitue l’atmosphère sonore de la guerre par des « trucages ». Ainsi, le succès du film américain The Big Parade de King Vidor (1925) doit beaucoup aux « bruisseurs », cachés derrière l’écran, qui imitent les sons des canons et mitrailleuses, les sifflements des obus et les éclatements de « shrapnels ». La notoriété du roman Les croix de bois de Roland Dorgelès (1919) est accrue par ses adaptations à l’écran en 1931 et 1936. Le cinéma parlant fait alors revivre la guerre des tranchées avec le brouhaha général, le bruit des armes, l’argot et les chansons des « poilus ». Les scènes de bataille et de bombardement des films des années 1930 deviendront les « vraies fausses archives » de la guerre 1914-1918. Les bandes-son intégrées aux images d’actualités muettes sont encore « repiquées » aujourd’hui dans des documentaires pour perpétuer la mémoire du conflit. Jusqu’au XIXème siècle, la musique militaire devait transmettre les ordres, régler les mouvements de troupes et, éventuellement, semer la terreur parmi l’ennemi sur le champ de bataille, à l’instar du « meher » des janissaires ottomans ou des cornemuses des troupes britanniques pendant la guerre de Crimée (1853-1856). Par la suite, la musique militaire adopte des chansons d’origine civile pour rythmer les marches. Ainsi, La Madelon, créée en 1914 pour le café-concert « L’Eldorado », demeure la chanson emblématique de la première guerre mondiale. Cette « Marseillaise des tranchées » améliore le moral des troupes, à la grande satisfaction du commandement. De même, la chanson It’s a long way to Tipperary , écrite  pour le music-hall en 1912, connaît un rapide succès avec l’arrivée des troupes britanniques en France en 1914. La musique du film Le pont de la rivière Kwaï (1957) est inspirée d’une marche de 1914, qui avait connu un immense succès commercial à l’époque. En 1917, le jazz débarque en France avec les troupes américaines. Un régiment de soldats noirs, considéré comme inapte au combat, est confiné dans la logistique. Mais l’année suivante, il intervient au feu sous commandement français et devient, pour la postérité, celui des « Harlem Hellfighters » (Combattants de l’enfer de Harlem). Son orchestre de parade, car chaque régiment américain en dispose, suscite l’enthousiasme du public à chacun de ses concerts avec la marche militaire Stars and Stripes Forever, mais aussi le morceau de jazz syncopé Memphis Blue. Le régiment s’illustre tellement au combat qu’il reçoit la croix de Guerre à Munchausen, sur le front du Rhin le 13 décembre 1918. Par ailleurs, cette guerre provoque des traumatismes d’oreille d’une ampleur sans précédent, par suite du souffle d’explosions et de bruits trop intenses. Chaque fois que le canon se tait, s’installe « le silence de mort », synonyme de la mort elle-même et rappel de la souffrance endurée par les combattants. Le rite de la « minute de silence », en hommage aux morts, date de la Grande Guerre.

Loïc Salmon

Les généraux français de la Grande Guerre

« Entendre la guerre », ouvrage collectif sous la direction de Florence Gétreau. Éditions Gallimard/Historial de la Grande Guerre, 160 pages. 24 €




D’or et d’argent

Les décorations des derniers princes descendant du Grand Condé (1621-1686) sont exposées pour la première fois à Chantilly, à l’initiative du musée Condé et de la Société des amis du musée de la Légion d’Honneur et des ordres de chevalerie.

Le duc d’Aumale (1822-1897), fils de Louis-Philippe, en a hérité en 1829 en tant que filleul du duc de Bourbon, dernier prince de Condé et première fortune de France. Les trois précédents propriétaires de Chantilly ont servi dans « l’armée de Condé », constituée d’émigrés et de royalistes en lutte contre les troupes révolutionnaires. A la bataille de Valmy le 20 septembre 1792, les Alliés (Autriche, Prusse et Hesse) s’en méfient et la cantonnent à l’arrière. Cette armée, qui compte 20.000 hommes en 1797, perd son intérêt pour les Alliés après le coup d’État du 18 brumaire (1799), qui porte le général Bonaparte au pouvoir. Faute de crédits, elle sera dissoute en 1801 après la signature du traité de paix de Lunéville. Louis-Joseph de Bourbon (1736-1818), seul membre de la famille royale à avoir perçu l’importance de la prise de la Bastille le 14 juillet 1789, décide de quitter la France avec toute sa famille. Il prend la tête de l’armée de Condé en 1792 et rentre en France en 1814. Il loue   à l’État sa résidence du Palais-Bourbon… occupée par la Chambre des députés ! Il parvient à récupérer une partie des trésors de Chantilly, qui avaient été confisqués et réunis aux collections nationales. Son fils, Louis-Henri-Joseph (1756-1830) est le parfait représentant de ces émigrés qui n’ont « rien appris, rien oublié » en 25 ans d’exil. Pendant les Cent-Jours  (1er mars-7 juillet 1815) du retour de Napoléon à la tête de l’État, il rencontre en Angleterre Sophie Dawes qui, devenue grâce à lui baronne de Feuchères, négociera le legs de sa fortune au futur duc d’Aumale, tout en gardant une partie pour elle. Le duc de Bourbon avait en effet perdu son fils, Louis-Antoine-Henri, le célèbre duc d’Enghien (1772-1804) enlevé et exécuté dans un fossé du château de Vincennes. Le catalogue « D’or et d’argent » présente tous les ordres de chevalerie et décorations, français et étrangers, portés par les trois derniers princes de Condé et le duc d’Aumale. L’Ordre de Malte est le dernier héritier des ordres militaires, religieux et hospitaliers européens apparus à la suite des croisades. Au XIVème siècle, ces derniers prennent un caractère étatique et dynastique. L’un d’eux, l’Ordre anglais de la Jarretière fondé par Édouard III en 1348, perdure aujourd’hui. Entre le XVème et le XVIIème siècle, le port d’insignes d’ordre de chevalerie certifie publiquement la qualité de membre d’une famille royale, ce qui facilitera ultérieurement l’identification ou même la datation des personnages de certains tableaux. En France, l’Ordre de Saint Michel est institué par Louis XI en 1469. Celui du Saint-Esprit, crée par Henri III en 1578, sera le plus prestigieux jusqu’à la Révolution et pendant la Restauration (1815-1830). Louis XIV innove en 1693 par l’institution de l’Ordre de Saint-Louis, décerné uniquement au mérite aux officiers catholiques de l’armée royale. Les trois derniers Condé ont donc fait preuve de leur talent militaire et de leur vaillance pour recevoir la croix de chevalier de Saint-Louis. Son ruban rouge sera repris par le Premier Consul Napoléon Bonaparte en 1802 pour l’instauration de la Légion d’Honneur. La Restauration ne l’abolira pas, mais remplacera l’aigle impériale ou l’effigie de l’Empereur par le profil du « Bon Roi » Henri IV.

Loïc Salmon

Expositions « D’or et d’argent » et…d’autres raretés au château de Chantilly

La Légion d’honneur

« D’or et d’argent » par Nicole Garnier-Pelle, Patrick Spilliaert et Astrid Grange. Éditions Monelle-Hayot. 120 pages/25 €.




Expositions « D’or et d’argent » et…d’autres raretés au château de Chantilly

Revaloriser les collections du musée Condé autour du duc d’Aumale enrichie de nouvelles pièces, tel est l’objectif des expositions en cours au château de Chantilly. En parallèle, la restauration des lieux se poursuit.

Distinctions. Le duc d’Aumale, 5ème fils de Louis-Philippe, choisit très tôt la carrière militaire, où il connaîtra un parcours fulgurant mais court. Entré dans l’infanterie à 16 ans, il participe à la conquête de l’Algérie dès 1840. Cité à l’ordre de l’armée d’Afrique cette année-là, il est promu lieutenant-colonel et fait chevalier de la Légion d’Honneur. Le 16 mai 1843, il capture la « smalah » de l’émir Abd el Kader et devient lieutenant-général, à l’époque plus haut grade militaire après la dignité de maréchal. Ses décorations figurent en bonne place dans l’exposition « D’or de d’argent » (6 avril-29 septembre 2014). Son épée porte trois étoiles sur la garde, la croix de chevalier de la Légion d’Honneur, abîmée par les chocs répétés contre le fourreau, et la médaille coloniale, avec la barrette « Algérie », créée… en 1893 ! Elle lui a été en effet attribuée en 1895 au titre de ses états de service et de sa présence en Algérie entre 1840 et 1848, entrecoupée par un rapatriement sanitaire en France. Il a également reçu, à titre honorifique à l’occasion d’échanges diplomatiques et dynastiques, des décorations étrangères, presque toutes conservées à Chantilly. Il est récipiendaire de 5 grands-croix : celle de l’Ordre belge de Léopold (1842) son beau-frère, inspiré de la Légion d’Honneur ; celle de la Tour et de l’Épée (1845) , Ordre du mérite portugais, à l’occasion du mariage de sa sœur Clémentine avec Auguste de Saxe-Cobourg, frère du roi consort du Portugal ; celle de l’Ordre brésilien de la Croix du Sud (1843) , lors du mariage de son frère François, officier de Marine connu sous le titre de prince de Joinville, avec Francisca Carolina, fille de Pierre 1er, empereur  du Brésil ; celle de l’Ordre de Saint-Ferdinand et du Mérite (1844), à l’occasion de son propre mariage avec Marie-Caroline de Bourbon-Sicile ; celle de l’Ordre de la maison grand-ducale de Mecklembourg-Schwerin (1896) à la suite du mariage de son frère Ferdinand avec Hélène de Mecklembourg-Schwerin. Enfin, le mariage de son frère Antoine, duc de Montpensier, avec une infante d’Espagne, lui confère les insignes de l’Ordre de la Toison d’Or (1846).

Archives. La bibliothèque et les archives du château de Chantilly conservent  environ 60.000 volumes, 8.000 cartes et plans et 80.000 lettres. L’exposition « Aumale secret » (6 avril-29 juin 2014) met en valeur une trentaine de pièces inédites entrées dans les archives entre 2010 et 2013. La plus récente a été acquise en novembre 2013, lors de la vente aux enchères de la collection de l’ex-Premier ministre Dominique de Villepin. Dans cette lettre officielle, datée du 2 mars 1848 alors qu’il est gouverneur général de l’Algérie (à 26 ans !), il indique avoir appris la constitution d’un gouvernement républicain à Paris, par des journaux en provenance de Marseille et de Toulon. Il écrit aux agents de l’État qu’il dirige : «  La nation va être appelée à lui donner sa sanction. Vous avez immédiatement à prendre les mesures nécessaires pour assurer au gouvernement le concours de la population et la tranquillité publique.  Le Gouverneur Général répète qu’il n’a reçu aucune communication officielle. Les bons citoyens et l’armée, fidèles comme lui à la cause de la France, attendront avec le plus grand calme les ordres de la mère-patrie ». Il mis ainsi fin à sa carrière militaire, avant d’être banni comme toute la famille royale. Par ailleurs, la bibliothèque de Chantilly s’est enrichie en 2013 d’un fonds exceptionnel de plusieurs milliers de lettres et pièces adressées ou transmises à Raymond-François Laplagne-Barris, homme de confiance de Louis-Philippe et administrateur des biens du duc d’Aumale entre 1842 et 1867. Tout y est décrit minutieusement : acquisitions d’œuvres d’art, aménagements du château et achats de propriétés. En 1852, la famille d’Orléans perd le droit de posséder des biens en France et doit les vendre aux enchères. Concernant ceux du duc d’Aumale, des affiches indiquent la vente des immeubles et de « 175 hectares, 90 ares 16 c. terres, prés et bois » du Domaine de Chantilly, que le duc rachètera en 1871. Enfin, sa correspondance avec Gustave de Reiset, comte et diplomate, éclaire sa vie personnelle et ses convictions profondes. Après la défaite de Napoléon III à Sedan, d’Aumale écrit : « Mon cœur ne bat plus que pour la France ».

Restaurations. La Fondation pour la sauvegarde et le développement du Domaine de Chantilly (encadré) assure la maîtrise d’ouvrage des restaurations, financées en partie par la Direction des affaires culturelles Picardie. Après plus d’un an de travaux achevés en février 2014, le « cabinet d’angle », très endommagé, a retrouvé son éclat du XVIIIème siècle : panneaux de boiseries blancs rehaussés de motifs végétaux en reliefs dorés ;  parquet ; lambris ; dorure ; voussure du plafond ; bureau des princes de Condé. Un vase de bronze, exécuté pour le duc d’Aumale, est placé au centre de 4 poufs blancs restaurés. La fondation a également remis en état le « Santuario », petite pièce hexagonale réalisée lors de la reconstruction du château à partir de 1875 et destinée à la collection d’estampes du duc. Aujourd’hui, il abrite 40 enluminures du Livre d’heures d’Étienne Chevallier par Jean Fouquet ainsi que deux tableaux, authentiques, de Raphaël : « la Madone de la Maison d’Orléans » et « Les Trois Grâces ». Un éclairage particulier a été mis en place pour redonner de l’éclat aux œuvres et à leurs cadres. Les décors du Santuario ont été respectés à l’identique avec des tentures bleues sur les murs et une verrière au plafond pour conserver un éclairage naturel. La température est maintenue à 20 ° C et l’hygrométrie à 50-60 % d’humidité. Une grille, dissimulée dans un mur, diffuse de l’air qui est récupéré par une autre grille au sol. Enfin, d’autres salles sont en cours de restauration. La plupart des meubles d’origine a été dispersée pendant la Révolution.

Loïc Salmon

 

Le « Domaine de Chantilly », qui regroupe le château, le parc et les grandes écuries, a été réalisé par Henri d’Orléans (1822-1897), duc d’Aumale et fils de Louis-Philippe. Gouverneur général de l’Algérie en 1847 et exilé en Angleterre l’année suivante, il revient en France en 1871, veuf et ayant perdu ses fils de 18 et 21 ans. Élu député de l’Oise, il préside le Conseil général d’octobre 1871 à août 1886. Élu membre de l’Académie française et des Académies des Beaux-Arts et des Sciences morales et politiques il entre à l’Institut de France, à qui il lèguera Chantilly en 1884. Toutefois, il pose comme conditions que le musée Condé, qu’abrite le château, soit ouvert au public, que sa présentation soit préservée et que les collections ne puissent être prêtées. En 2005, l’Institut de France a signé une convention de coopération avec la « Fondation pour la sauvegarde et le développement du Domaine de Chantilly », créée par l’Aga Khan. Parmi les autres mécènes figurent notamment « Les Amis du musée de Condé », les « American Friends of Chantilly » et des entreprises privées. En 2013, le Domaine de Chantilly a accueilli 413.000 visiteurs (+ 14 % en un an).




Maréchaux du Reich

De 1936 à 1945, 27 officiers généraux allemands ont été élevés à la dignité de maréchal pour leur action militaire et 1 à titre honorifique. Seuls quelques uns, dont Rommel (armée de Terre), Göring (armée de l’Air) et Dönitz (Marine), sont restés dans l’Histoire.

L’historien François de Lannoy retrace en détail la carrière de ces grands chefs militaires, nés entre 1875 et 1895. Aucun d’eux n’est issu d’une classe populaire, mais la bourgeoisie cultivée a investi les hautes sphères militaires au détriment des vieilles familles prussiennes depuis le milieu du XIXème siècle. La noblesse est surtout présente dans l’armée de Terre (11 maréchaux sur 19), peu dans celle de l’Air (1 sur 6) et absente dans la Marine. Avant 1914, tous les futurs maréchaux ont alterné les postes de commandement dans la troupe et en état-major. Au moins 12 ont suivi les cours de la « Kriegsakademie » (École supérieure de guerre) de Berlin. Tous ont terminé la première guerre mondiale avec la croix de Fer et 7 ont obtenu la croix « Pour le Mérite », plus haute distinction militaire prussienne. La majorité d’entre eux ont vu leur carrière s’accélérer avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933 et ont atteint le sommet de la hiérarchie et du commandement avant 1939. Si quelques uns sont nazis, la plupart ne se mêlent pas de politique. Pourtant, tous approuvent la remilitarisation décidée par Hitler, pour des motifs de carrière et de revanche territoriale (Pologne). Sur les 24 maréchaux promus pendant la deuxième guerre mondiale, 12 l’ont été sur le front de l’Ouest (1940) et 11 sur celui de l’Est (1941-1945). Seul Rommel l’a été pour son action en Afrique du Nord. Ensuite, leur longévité varie. Rares sont ceux qui ont osé tenir tête au Führer sur les questions militaires ou stratégiques. Beaucoup ont fermé les yeux sur la réalité de la « guerre totale ». Erwin Rommel (1891-1944) se distingue pendant la première guerre mondiale, où il est blessé deux fois. Son succès triomphal à la tête de « l’Afrikakorps » en Libye en 1942, contre les Britanniques, en fait un héros national. Convaincu d’avoir été informé de la préparation de l’attentat contre Hitler en 1944, il est contraint au suicide par absorption de poison. Hermann Göring (1893-1946), pilote, termine la guerre de 1914-1918 comme commandant de la 1ère escadre de chasse, celle du « baron rouge » Manfred von Richthofen décédé. Adhérent au parti nazi dès 1922 et député en 1931, il préside le Reichstag quand Hitler est nommé chancelier. En 1935, il crée et commande la « Luftwaffe », dont la capacité est testée pendant la guerre d’Espagne (1936-1939). Mais celle-ci accumule les échecs pendant l’offensive contre l’URSS. Göring est démis de toutes ses fonctions en 1945, car partisan de négociations avec les Américains à qui il finira par se rendre. Condamné à mort par le tribunal de Nuremberg, il s’empoisonne au cyanure la veille de son exécution. Karl Dönitz (1891-1980), commandant de sous-marin en 1918, organise la flotte sous-marine du Reich en 1935 et lance les attaques « en meute » contre les convois alliés en Atlantique dès 1941. Chef de la « Kriegsmarine » en 1943 puis désigné dauphin par Hitler avant son suicide le 30 avril 1945, il tente de négocier séparément avec les Alliés. Condamné par le tribunal de Nuremberg, il est libéré en 1956. Après la guerre, les 15 maréchaux du Reich survivants tombent dans l’obscurité à l’issue de leurs peines de prison. Pourtant, l’un d’eux, Manstein, deviendra « conseiller »… lors de la mise sur pied de l’armée ouest-allemande !

Loïc Salmon

Les généraux français de 1940

JU 87 « Stuka »

« Maréchaux du Reich » par  François de Lannoy. Éditions E-T-A-I, plus de 300 images et photos d’archives, 192 pages.




Les généraux français de 1940

Cet ouvrage présente les biographies de 24 généraux ayant exercé les plus hautes responsabilités en 1939-1940. Les auteurs tentent de comprendre pourquoi l’élite de l’armée française a été dépassée par les événements, qui ont conduit à la défaite.

Le corps des généraux de l’époque est assez homogène : sur les 24 officiers étudiés, 17 sont issus de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr et 6 de l’École polytechnique pour 1 de l’École militaire d’infanterie. Grâce à leur valeur intrinsèque et la guerre de 1914-1918, 19 ont commandé un régiment et 5 ont exercé des responsabilités analogues. Très bien notés, 22 ont réussi le concours d’entrée à l’École supérieure de guerre (ESG), créée après la défaite de 1870 contre la Prusse. Les 13 meilleurs colonels ont été envoyés au Centre des hautes études militaires (CHEM). Par la suite, la double qualification « ESG plus CHEM » sera la règle au début des années 1930. Pourtant, ces généraux, très intelligents et cultivés, ont échoué dans leur mission. Les auteurs avancent plusieurs raisons : mauvaise forme physique et/ou séquelles de maladies contractées dans les colonies ; certitudes héritées de la victoire de 1918, acquise  chèrement (départements du Nord dévastés et centaines de milliers de mutilés) ; perte de repères due à la rapidité des événements. Encouragés à se montrer dociles, les membres du haut commandement sont devenus excessivement conformistes et prudents. Ils manquent d’imagination et de capacité à comprendre la réalité du terrain. Enfermés dans des schémas stratégiques d’école, ils oublient que les lois de la guerre sont aussi soumises au progrès technique. Par ailleurs, l’organisation et la doctrine militaires diluent les responsabilités, mal définies et non déléguées. Les exécutants disposent de peu de marge d’initiative dans une bataille conduite depuis les états-majors trop centralisés. Faute d’équipements en nombre suffisant, les généraux  ne croient plus vraiment à la valeur de l’armée française. Enfin, il n’y a guère de confiance réciproque entre le haut commandement et les responsables politiques, incapables d’avoir une politique, sérieuse et constante, et de donner des directives cohérentes. En 1940, le haut commandement français perd rapidement l’initiative et sa liberté d’action. Parmi les grands chefs militaires, figurent les généraux Gamelin, Giraud, Huntziger et Weygand. Membre du cabinet de Joffre à la bataille de la Marne, Gamelin devient commandant en chef des forces terrestres et des armées alliées en France en 1939. Déchu en septembre 1940 et  emprisonné dans le Tyrol, il sera libéré en 1945. Giraud s’évade d’une prison allemande en 1942, rejoint l’Afrique du Nord et y remplace l’amiral Darlan, assassiné, comme commandant en chef civil et militaire. Il réussit la libération de la Corse en 1943, mais sera évincé de la présidence du Comité français de libération nationale par De Gaulle. Huntziger, dont la famille a quitté l’Alsace après son annexion par la Prusse en 1871, se retrouve face à Hitler le 21 juin 1940, dans le wagon de Rethondes où a été signé l’armistice du 11 novembre 1918. Chef d’état-major de Foch en 1914 et présent à Rethondes en 1918, Weygand est nommé délégué général du gouvernement en Afrique du Nord en 1940. Il y reconstitue l’armée d’Afrique, qui contribuera à la victoire de la France, et négocie en secret avec les Etats-Unis. Relevé de son poste et interné en Allemagne puis en Autriche, il sera libéré en 1945.

Loïc Salmon

Enseignement militaire supérieur : former les chefs d’aujourd’hui et de demain

Les généraux français de la Grande Guerre

Maréchaux du Reich

« Les généraux de 1940 » par François de Lannoy et Max Schiavon. Éditions E-T-A-I, près de 300 photos, 192 pages. 38 €




Mousquetaires !

D’Alexandre Dumas, historien militaire, au Paris de D’Artagnan, le catalogue de l’exposition « Mousquetaires ! » raconte en détail et avec beaucoup d’illustrations ce XVIIème siècle mouvementé… qui fait encore rêver !

Peu de traces matérielles subsistent de l’époque des mousquetaires, devenus personnages mythiques. Les estampes les représentent souvent de dos, comme des officiers observant le champ de bataille et des « gentilshommes » par excellence, modèles d’élégance et de société. Ces bretteurs portent des habits luxueux, une grande cape et une épée au côté. Le duel, quoiqu’interdit, se pratique dans la clandestinité. Il exprime la tension entre les aspirations héroïques, l’idéal de la noblesse, et les exigences du service du Roi, à savoir la soumission à la discipline et à la hiérarchie militaires. Cet univers est décrit par Gatien Courtilz de Sandras, mousquetaire quelques années au cours de sa carrière militaire de 1660 à 1679 et auteur des « Mémoires de Mr. D’Artagnan », à l’authenticité douteuse. Dumas s’en est inspiré, mais a aussi puisé à d’autres sources pour intégrer ses héros à l’Histoire en train de se faire. Dans la vie, D’Artagnan a arrêté le surintendant Nicolas Fouquet (1661) et le marquis de Lauzun (1671) et les a conduits à la forteresse de Pignerol (Piémont), où fut emprisonné à la même époque l’homme au masque de fer. L’Anglaise Lucie Haye, comtesse de Carlisle, fut mêlée à des affaires d’espionnage, emprisonnée et probablement torturée pendant la révolution anglaise (1641-1649). Dumas la transforme en la sulfureuse Milady de Winter, qui sera exécutée par le bourreau de Béthune en présence des fameux mousquetaires. Les ferrets, bijoux de la Reine Anne d’Autriche et au cœur de l’intrigue du roman « Les Trois Mousquetaires », font aujourd’hui partie d’ornements militaires. Ce sont les pièces de métal qui terminent la fourragère et les aiguillettes. Les autres mousquetaires, mentionnés par Courtiltz de Sandras, sont des personnages réels. Jean-Arnaud du Peyrer, comte de Tréville, s’engage dans les « Gardes françaises » (1616) puis est nommé sous-lieutenant d’une compagnie de mousquetaires (1625). Il en deviendra le capitaine-lieutenant (1634) après s’être illustré au siège de La Rochelle (1627-1628). Son cousin Henry d’Aramitz (l’Aramis du roman) entre aux mousquetaires à 20 ans en 1640. Autre cousin éloigné, Armand de Sillègue d’Athos d’Autevielle rejoint les mousquetaires en 1640 et meurt au cours d’un duel trois ans plus tard. Isaac de Portau (Porthos), né en 1617, commence comme cadet dans une compagnie des Gardes françaises commandée par le beau-frère du comte de Tréville. Il participe au siège de Perpignan en 1642, aux côtés de D’Artagnan, et entrera par la suite dans la compagnie des mousquetaires. Tous sont des cadets de familles nobles du Sud-Ouest de la France, pour qui les armées royales constituent un débouché professionnel. La bravoure jusqu’à la témérité forge la légende des Gascons. En outre, si elle est remarquée par les autorités, elle peut leur valoir un emploi public. En dehors de leurs incursions en Flandre, Val de Loire, Bretagne et même Angleterre, les mousquetaires de Dumas résident à Paris, chez l’habitant au faubourg Saint-Germain, afin d’être près du Louvre pour assurer notamment l’escorte du Roi en temps de paix. Le catalogue de l’exposition inclut un plan de Paris de l’époque…qui permet de suivre leurs traces !

Loïc Salmon

Exposition « Mousquetaires » au musée de l’Armée

« Mousquetaires ! », ouvrage collectif de 23 auteurs sous la direction d’Olivier Renaudeau. Éditions Gallimard Musée de l’Armée 272 pages 35 €




Exposition « Mousquetaires » au musée de l’Armée

D’Artagnan est le personnage de l’Histoire de France le plus connu à l’étranger après Jeanne d’Arc et Napoléon… grâce à Alexandre Dumas !

Selon une étude de l’UNESCO, ce dernier est le 13ème auteur le plus traduit dans le monde et le 2ème auteur français après Jules Verne. Mais, quelquefois l’Histoire dépasse la fiction, comme le montre l’exposition du musée de l’Armée sur les mousquetaires.

Les « vrais » mousquetaires. En 1622, Louis XIII, en guerre contre les protestants, détache 50 hommes de la compagnie des chevau-légers de sa garde pour former une unité indépendante. Quoique cavaliers, ils sont armés d’une arme lourde utilisable seulement à pied, le « mousquet » qui donnera son nom à l’unité. Ils portent la casaque bleue ornée de croix à fleurs de lis, signe d’appartenance à la « Maison du Roi » et qui provoquera la panique chez l’ennemi. Les 2 compagnies de mousquetaires constituent en effet de véritables troupes de choc. Lors du siège d’une ville fortifiée, après des travaux de sape, un déluge d’artillerie s’abat sur les murs pour provoquer une brèche, par où elles s’engouffrent l’épée à la main. Différente de l’épée de duel dont la fine lame, faite pour l’estoc (coup par la pointe), se brise facilement, l’épée de guerre, plus lourde permet de frapper également de taille (par le tranchant de la lame). Sa longueur la rend difficile à manipuler, mais donne une allonge avantageuse. Le « capitaine » des mousquetaires est par définition le Roi, qui délègue ses fonctions à un « capitaine-lieutenant », qui « tient lieu » de capitaine. Une noble naissance et la décision du Roi conditionnent l’entrée dans ce corps. Le capitaine-lieutenant, choisi lui-même pour sa fidélité, recrute de très jeunes gens (15-16 ans !) parmi sa famille ou celles de ses amis. Faute d’une véritable école d’officiers, les compagnies leur offre une formation militaire et les initie à la discipline et aux violences du combat. Les jeunes mousquetaires apprennent à obéir et commander, pratiquent l’équitation, l’escrime et la danse et reçoivent, parfois, une formation aux lettres et aux mathématiques. S’ils survivent aux missions périlleuses de leur unité en temps de guerre, les meilleurs peuvent prétendre à un commandement dans l’armée royale. Toutefois, pour ne pas priver l’armée de ses futurs cadres, les mousquetaires sont relayés, à partir de 1676, par les grenadiers à cheval de la Maison du Roi qui, comme eux, interviennent désormais au premier rang lors des sièges. Dès 1659, par ordre de Louis XIV, les mousquetaires deviennent les premiers soldats de l’armée royale à bénéficier d’une caserne à Paris, où leur discipline accroît leur prestige dans la population. En revanche, les « Gardes françaises », logées chez l’habitant, ont très mauvaise réputation par suite de leurs exactions. Lors du siège de Mons en 1691, un détachement de mousquetaires subit de lourdes pertes à cause de sa témérité. Puis le Roi cesse de venir aux armées et n’engage les compagnies que rarement. Au XVIIIème siècle, leurs missions consistent surtout en un service de garde et de prestige auprès du souverain. En 1775, par mesure d’économie, Louis XVI supprime les compagnies de mousquetaires. Brièvement rétablies par Louis XVIII après la chute du Premier Empire, elles disparaissent définitivement en 1816. Le seul « vrai » mousquetaire d’Alexandre Dumas s’appelle Charles Ogier de Batz, originaire de Gascogne et entré en 1633 (à 21 ans) dans une compagnie sous le nom de sa mère, D’Artagnan. Licencié comme les autres en 1646, il entre au service du cardinal … Mazarin ! Fidèle au Roi et au cardinal pendant la Fronde, il sera chargé par la suite de missions délicates et recevra des attributions civiles. Capitaine-lieutenant de la première compagnie de mousquetaires en 1667, il meurt au siège de Maastricht en 1673. Louis XIV dira de lui : « J’ai perdu D’Artagnan en qui j’avais toute confiance et m’était bon à tout ». Enfin, sans le savoir, Dumas rencontrera l’un des derniers mousquetaires en 1824 : le peintre Théodore Géricault, qui s’était engagé en 1814 et avait accompagné Louis XVIII jusqu’à Béthune au début des Cent Jours.

La légende. Alexandre Dumas crée l’archétype d’un héros militaire, rétif à la discipline, méprisant le danger et fidèle à son maître… mais relate aussi le déclin de la noblesse combattante au profit de la noblesse de cour. Sa trilogie historique est d’abord publiée sous forme de feuilleton dans le journal Le Siècle et en coopération avec Auguste Maquet, historien de formation. L’ouvrage « Les trois mousquetaires » est achevé en 1844, « Vingt ans après » en 1845 et « Le vicomte de Bragelonne » en 1847. Malgré quelques tricheries avec l’Histoire, Dumas a réussi à restituer l’esprit du Grand Siècle en emmenant le lecteur dans le cabinet de travail du cardinal de Richelieu, au siège de La Rochelle,0 dans les résidences du surintendant Fouquet et la cellule du « Masque de fer », ce mystérieux prisonnier dont l’identité présumée continue de faire couler beaucoup d’encre. L’intrigue, authentique, des « ferrets » de la Reine Anne d’Autriche cache en réalité une affaire d’espionnage international. En revanche, pour le reste, Dumas laisse libre cours à son imagination et à son parti-pris. Il représente Louis XIII comme un souverain falot, manipulé par son ministre, le cardinal de Richelieu. Or ce monarque, passionné par la chose militaire dès son enfance, a réalisé une collection d’armes à feu, dont a hérité le musée de l’Armée, et a passé plus de temps dans les camps et les bivouacs que dans ses palais. Richelieu est d’abord caricaturé et diabolisé dans « Les trois mousquetaires ». Dumas reprend ainsi à son compte la légende noire, élaborée dès le XVIIème siècle par les opposants ou les victimes de la politique du cardinal et relayée par les écrivains romantiques du XIXème. Il faut attendre «  Le vicomte de Bragelonne » pour que Richelieu soit reconnu comme soucieux, avant tout, du bien de l’État. Mazarin, très maltraité dans « Vingt ans après », a pourtant dirigé le royaume avec la régente Anne d’Autriche pendant 17 ans de périodes troublées. Ceci dit, le succès des romans sera amplifié par le théâtre dès 1845 et le cinéma en 1909. S’il n’existe aucun portrait authentique de D’Artagnan, les nombreux acteurs français et étrangers, qui l’ont incarné à l’écran, lui ont donné une célébrité mondiale. Un autre « cadet de Gascogne » fera aussi parler de lui  au théâtre sous le nom de « Cyrano de Bergerac », pièce d’Edmond Rostand créée en 1897 et encore jouée aujourd’hui.

Loïc Salmon

Mousquetaires !

L’exposition « Mousquetaires » (2 avril-14 juillet) se tient aux Invalides à Paris. Elle rassemble armes, vêtements, livres, documents, tableaux et gravures, dont une représentant la comtesse anglaise qui a inspiré le personnage de « Milady ». Figurent aussi les lourdes armures du cardinal de Richelieu et de Louis XIII, à l’épreuve des balles de mousquet. Outre le catalogue de l’exposition, sont notamment prévus des concerts (26 mai, 10 juin et 24 juin) et un cycle cinématographique d’œuvres françaises et américaines sur le thème des légendaires mousquetaires depuis 1920 jusqu’à « La fille de D’Artagnan » en 1994 (25 mai et 1er-6 juin). Renseignements : www.musee-armee.fr