CEMA : assurer la capacité de la France à assumer son rang

Disposer d’armées prêtes à l’engagement sans délai et préserver la singularité militaire constituent les priorités du général François Lecointre, chef d’Etat-major des armées (CEMA).

Il l’a expliqué lors d’une réunion organisée, le 22 janvier 2020 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

L’engagement au Sahel. L’opération « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne vise à éviter la contagion du terrorisme et à maintenir le cloisonnement entre les groupes armés d’Afrique de l’Ouest, du Centre et de l’Est, qui prospèrent sur les confrontations ethniques et religieuses. Ces groupes disposent d’une technologie des engins explosifs improvisés de plus en plus sophistiquée et emploient des drones avec efficacité. Ils se réfèrent à « l’Etat islamique dans le Grand Sahara », aligné sur Daech qui se maintient par la propagande. La force « Barkhane », soit 4.500 hommes renforcés récemment par 220 personnels, concentre ses efforts sur la zone des trois frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Elle bénéficie de l’appui des troupes françaises en Côte d’Ivoire et va recevoir, à l’automne 2020, celui d’un contingent de forces spéciales européennes (Estonie, Belgique, République tchèque, Finlande, Norvège et Suède) de l’unité « Takuba », qui assurera la reconstruction des armées locales, leur préparation opérationnelle et le contrôle de la sécurité. La Mauritanie protège la zone à l’Ouest. Un bataillon sénégalais est déployé sur le fuseau Ouest, un bataillon malien sur le fuseau Centre et un bataillon nigérien sur le fuseau Est. La force « Barkhane » est parvenue à maintenir la violence au niveau le plus bas possible, malgré la propagande anti-française alimentée par des factions politiques locales, mais ne peut pas continuer seule, souligne le général Lecointre. Lors du sommet de Pau (13 janvier 2020), le président de la République, Emmanuel Macron, a rappelé les pertes de soldats français et nigériens fin 2019 à ses homologues du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) pour qu’ils mettent à profit les efforts tactiques des armées pour restaurer l’autorité de l’Etat dans leur pays et y assurent la sécurité, clé du développement, par les efforts budgétaires nécessaires.

D’autres acteurs. La force « Barkhane » ne dispose pas de moyens suffisants pour surveiller toute la bande sahélo-saharienne, aussi vaste que l’Europe. Elle dépend des moyens de transport stratégique, de renseignement d’origine électromagnétique et de ravitaillement en vol et des drones américains. Selon le CEMA, les Etats-Unis comprennent que la France ne peut agir seule dans cette région et que le retrait de leurs forces serait contre-productif. Par ailleurs, les relations avec la Russie ont repris, notamment aux niveaux de la Direction du renseignement militaire et de l’armée de Terre. Le CEMA dispose d’une ligne téléphonique directe avec son homologue russe, le général Valery Gerasimov. Des entretiens ont eu lieu sur le terrorisme et l’emploi de l’arme chimique en Syrie. Il s’agit d’éviter une confrontation militaire au Levant et une déstabilisation en Centrafrique.

La spécificité militaire. Selon le CEMA, le haut commandement souhaite conserver des armées jeunes, garanties de leur efficacité et de leurs forces morales et physiques, en facilitant les flux sortants. Les officiers et sous-officiers bénéficient de la jouissance immédiate de leur retraite, avec des points de bonification en fonction de leurs engagements dans certaines opérations et des primes liées à leurs spécialités. Les opérations sont conduites selon le code de la défense.

Loïc Salmon

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CEMA : durcissement et aggravation des conflits, évolution des missions

Guerre : complexité des approches politique et militaire




Renseignement : l’activité des organisations djihadistes

Les organisations terroristes, dont l’Etat islamique (EI) et Al Qaïda (AQ), disposent de structures de renseignement dédiées à la sécurité, la contre-ingérence, l’espionnage et la préparation d’actions spécifiques.

Ce thème a fait l’objet d’une étude réalisée en novembre 2018 par le colonel Olivier Passot, chercheur associé à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire. Le « califat » de l’EI, instauré sur une partie des territoires syrien et irakien, a été vaincu par une coalition internationale en mars 2019.

Les références. Les services de renseignement de l’EI et d’AQ doivent rechercher les informations permettant de garantir leur sécurité et d’assurer la protection des musulmans de la communauté. Ces deux missions justifient leur existence même, car les dirigeants djihadistes condamnent l’idée que des musulmans espionnent d’autres musulmans pour obtenir une information. La Confrérie des frères musulmans, créée en Egypte en 1928, a inspiré certains groupes djihadistes modernes pour la dimension secrète, la structure élitiste et les services rendus à la population pour gagner son soutien. Après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, AQ théorise les questions de renseignement et d’espionnage et préconise l’infiltration des différentes entités de l’adversaire : police, armée, partis politiques, compagnies pétrolières et sociétés privées de sécurité. Les agents doivent dissimuler leurs convictions religieuses et maintenir un contact régulier et discret avec leurs « officiers traitants ». S’ils sont démasqués, ils doivent lutter jusqu’à la mort pour éviter la capture. En cas d’infiltration par des espions, ceux-ci risquent une punition dissuasive s’ils sont découverts. Les auteurs djihadistes s’inspirent également des guerres révolutionnaires entreprises en Chine (1945-1949), Indochine (1946-1954) et Algérie (1954-1962) quant au soutien de la population, qui fournit communication, nourriture, recrues et renseignement. Ce dernier vise à la contrôler, démoraliser l’adversaire et intoxiquer les neutres. Le mouvement de libération cherche à installer le désordre, gripper la machine administrative, désorganiser l’économie et miner l’autorité de l’Etat. L’appel à la guerre révolutionnaire dans le monde arabo-musulman s’inscrit dans un environnement politico-militaire particulier, où le passage de sa civilisation de la grandeur au déclin en à peine un siècle a suscité ressentiment et angoisse. L’échec des Etats-nations, souvent autoritaires, issus de la décolonisation a renforcé l’engouement du projet islamiste mondial, propagé par la surenchère révolutionnaire. Ainsi, l’EI se veut plus islamique que l’Arabie saoudite et AQ. Pourtant, malgré les interventions militaires occidentales massives en Afghanistan (2001-2014) et en Irak (2003), AQ n’est pas parvenu à rallier les masses musulmanes.

Les ressources humaines. L’EI, l’AQ et les groupes djihadistes leur ayant prêté allégeance désignent leurs services de renseignement par l’appellation « Amni », qui correspond à « protection » et « sécurité » (voir plus haut). Les candidats à l’Amni recherchent la reconnaissance sociale, le goût de l’action, la perspective du pouvoir ou la possibilité de vivre intensément leur foi musulmane. Les considérations financières apparaissent comme secondaires. Aux Moyen-Orient, Sahel et Nigeria et dans la Corne de l’Afrique, le recrutement dépend de l’appartenance à des clans religieux ou à des ethnies spécifiques. Les Arabes détiennent les postes les plus importants. L’accès aux responsabilités repose sur des critères intellectuels et sociaux. Ainsi, les deux tiers des terroristes impliqués dans les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis avaient fréquenté l’université, dont deux étaient titulaires d’un doctorat. Les hautes fonctions sont confiées aux érudits ayant une connaissance approfondie du Coran. Les fonctions opérationnelles sont attribuées à des hommes ayant une expérience militaire ou sécuritaire ou disposant déjà de relais au sein de l’organisation djihadiste. Le commandement de l’EI sélectionne, pour servir de façon permanente dans l’Amni, des hommes ayant fait leurs preuves lors d’opérations militaires ou terroristes. Ces derniers, étant nommés par le chef et relevant directement de lui, en retirent un sentiment de supériorité sur les autres, à l’origine de tensions et de dysfonctionnements. Les gros bataillons de l’Amni n’assurent que des vacations et n’appartiennent pas aux diverses organisations djihadistes. Une première catégorie regroupe des fonctionnaires, vigiles et prestataires de services de sécurité ayant accès à des informations sensibles. La seconde rassemble des jeunes chômeurs, sans qualification et prêts à fournir une aide ponctuelle contre une modeste rétribution. Le vivier des vacataires s’étend aux femmes et aux enfants, moins contrôlés par les services de sécurité étatiques. Le passage du statut de vacataire à celui de permanent reste très rare.

Les moyens d’acquisition. Les organisations djihadistes acquièrent équipements et logiciels de traitement du renseignement sur le marché noir ou par l’intermédiaire de groupes criminels. L’EI avait mis en place un réseau logistique d’approvisionnement aux Philippines, en Somalie et en Turquie. Toutefois, l’entretien d’équipements de haute technologie s’avère compliqué, en raison de la furtivité et de l’isolement des organisations djihadistes et des conditions climatiques du Moyen-Orient et du Sahel (chaleur, sècheresse et vents de sable). Certaines ont acheté des équipements d’écoute de communications téléphoniques disponibles dans le commerce. Le Hezbollah (Liban), le Hamas (Gaza) et les talibans (Afghanistan) emploient des drones depuis 2010. L’EI en a utilisé à décollage vertical et capables d’évoluer dans des ruelles et à l’intérieur de bâtiments, pendant la bataille de Mossoul (2016-2017). Sur internet, les groupes djihadistes récupèrent des informations sur leurs cibles potentielles et pour réaliser techniquement leurs propres équipements et perfectionner leur organisation. Ils profitent des antagonismes Afghanistan-Pakistan, Irak-Turquie et Israël-Syrie pour bénéficier du soutien extérieur de pays limitrophes. Ainsi, les talibans sont informés par les services de renseignements iraniens et pakistanais.

Loïc Salmon

Aux agences américaines de renseignement qui suscitent fascination et rejet, les organisations djihadistes préfèrent les modèles du Moyen-Orient, surtout d’Irak et de Syrie, dont les sociétés, sont marquées par l’influence des services de sécurité. Celles-ci ont dû subir leur surveillance, coopérer avec eux ou en faire partie. L’Etat islamique et d’Al Qaïda préconisent en effet des mesures similaires : contrôle permanent de la société ; techniques de torture ; recours aux punitions collectives. Dès 2010, des officiers des services officiels ont rallié les organisations djihadistes. Ceux des forces spéciales leur ont apporté des techniques, des tactiques et une connaissance intime de l’ennemi. Cette transposition s’observe aussi en Libye et au Sahel. Toutefois, les transfuges militaires et policiers de rang subalterne n’ont acquis qu’une expertise limitée du renseignement.

Cyberdjihadisme : baisse de la propagande et réorganistion

Sécurité : le renseignement dans la lutte contre le terrorisme

Renseignement : la DGSE souhaite être connue




Sûreté en mer : enjeux de puissance et de souveraineté

En 2019, la piraterie et le brigandage maritime ont augmenté dans le golfe de Guinée, mais se sont stabilisés en Asie du Sud-Est. La piraterie reste faible au large de la corne de l’Afrique, mais le brigandage s’est accru dans les Caraïbes.

Ce constat, dressé par le premier rapport annuel du « MICA Center » (Centre d’expertise français à compétence mondiale dédié à la sûreté maritime), a été rendu public par la Marine nationale le 6 janvier 2020.

Approches maritimes menacées. Le terme « approche maritime » désigne la portion d’espace maritime qui inclut la zone économique exclusive en face d’un pays côtier donné. Se situant en général également au large du territoire d’autres Etats, cet espace peut connaître des attaques de pirates venant d’autres pays. Le rapport établit une liste des dix principales approches maritimes touchées par la piraterie et le brigandage avec le nombre d’événements en 2019 : Nigeria, 54 ; La Grenade, 30 ; Indonésie, 30 ; Saint Vincent et Grenadines, 18 ; Malaisie, 16 ; Panama, 12 ; Cameroun, 11 ; Venezuela, 7 ; Pérou, 6 ; Colombie, 6. La « piraterie » se définit comme un acte de violence commis en haute mer à des fins privées et hors des eaux territoriales. Voici le bilan par zone en 2019 avec une comparaison avec l’année la plus touchée : Asie, moins de 50 événements en 2019 contre 250 en 2015 ; Afrique de l’Ouest, environ 60 contre 90 en 2014 ; Afrique de l’Est, moins de 5 contre 10 en 2014 ; Amérique latine, moins de 5 contre 10 en 2017. Le « brigandage » correspond à un acte illicite, commis à des fins privées, contre un navire, des personnes ou des biens à son bord dans les eaux intérieures, les eaux archipélagiques ou la mer territoriale d’un Etat. Voici le bilan par zone en 2019 avec une comparaison avec l’année la plus ou la moins touchée : Asie, un peu plus de 40 contre un peu moins de 140 en 2014 ; Amérique latine, environ 110 contre moins de 40 en 2014 ; Afrique de l’Ouest, un peu moins de 60 contre 25 en 2014 ; Afrique de l’Est, moins de 5 contre moins de 10 en 2017. La forme des actes de piraterie ou de brigandage varie selon les régions et les saisons : enlèvement des membres d’équipage à des fins de rançon ; détournement de navires pour servir de bâtiment mère ; vol de la cargaison, notamment d’hydrocarbures ; vols avec violence ou larcins, dont les criminels peuvent tirer profit comme les accessoires du navire ou les biens personnels de l’équipage.

Coopération navale. Le MICA Center centralise les alertes en cas d’attaque, diffuse l’information utile vers les navires présents sur la zone, pour leur permettre de se protéger, et les centres compétents pour déclencher une intervention chaque fois que c’est possible. En outre, il évalue la situation sécuritaire dans les différentes zones, grâce aux signalements volontaires, et publie des bilans réguliers. La cellule « golfe de Guinée » assure le suivi et le traitement des actes de piraterie et de brigandage à partir de Brest et de Portsmouth. En effet, l’accord franco-britannique MDAT-GoG combine la connaissance de la région de la Marine française et son savoir-faire en matière de contrôle naval avec l’expertise technique britannique. Environ 950 navires sont enregistrés au MDAT-GoG, pour un suivi quotidien de 430 navires en moyenne. Pour la Corne de l’Afrique, le MICA Center héberge, à Brest, la cellule MSC-HOA, subordonnée au commandement, à Rota (Espagne), de l’opération européenne « Atalante » de lutte contre la piraterie en océan Indien. Le MICA Center entretient aussi des relations avec des organismes similaires à Singapour, en Inde et à Madagascar.

Loïc Salmon

Opération « Atalante » : bilan du commandement français

Golfe de Guinée : sécurité et sûreté en mer et à terre

303 – Dossier : “La piraterie… contenue, mais pas éradiquée”




Armée de Terre : opérations et relations internationales

La France n’agissant pas seule dans le monde, le « partenariat militaire opérationnel » a remplacé l’ancienne « coopération militaire » pour aller jusqu’à l’engagement armé si nécessaire.

Cette question a été abordée au cours d’un colloque organisé, le 27 novembre 2019 à Paris, par l’Etat-major spécialisé pour l’outre-mer et l’étranger. Y sont notamment intervenus : le général de corps d’armée François-Xavier Le Pelletier de Woillemont, secrétaire général adjoint de la défense et de la sécurité nationale ; Hervé de Charette, ancien ministre des Affaires étrangères (1995-1997) ; Bertrand Badie, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et au Centre d’études et de recherches internationales ; le colonel des troupes de marine Thomas Pieau, projeté sur les théâtres d’opérations en Bosnie, en Afghanistan et au Liban ; le capitaine Charles Allègre, officier adjoint à la compagnie permanente du 9ème Régiment d’infanterie de marine en Guyane.

L’action militaire. L’interculturalité permet aux forces armées françaises de combattre au loin dans un environnement, sinon favorable, du moins peu hostile, souligne le général Le Pelletier de Woillemont. Elle transforme les procédures, la doctrine et l’entraînement pour agir mieux ensemble entre partenaires et alliés, acquérir l’expérience opérationnelle et la partager pour anticiper l’action de l’adversaire. Elle évite une forme d’isolement physique, linguistique et culturel, pour remplir la mission avec efficacité. Elle permet l’équilibre entre protection des soldats et proximité avec la population. Ainsi l’opération « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne implique 5 pays avec 5 cultures différentes, unifiées par la langue française. La France y agit pour assurer sa propre sécurité et celle de populations locales qu’il convient de respecter. La solidité d’une armée, rappelle le général, repose sur sa chaîne hiérarchique et sa capacité à tenir le terrain au contact. Les soldats français combattent donc ensemble avec leurs partenaires africains. Pour vivre au milieu d’autres cultures, les missions de longue durée (2-4 ans) sont préférables aux affectations de 4 mois de diverses unités, qui tournent trop vite au sein de « Barkhane ». Il incombe aussi aux armées africaines de « gagner les cœurs et les esprits », car les forces françaises partiront un jour. S’y ajoute le risque que les unités françaises soient gagnées à la cause des populations au sein desquelles elles vivent. Par ailleurs, indique le général, la France, dont la culture n’est plus dominante, promeut certaines valeurs universelles comme l’état de droit, le multilatéralisme et la dignité humaine. Or, parallèlement au besoin d’enracinement dans une société, se profilent les affirmations d’identité, de culture et de rapport de forces.

Le travail en amont. Depuis 2008, les troupes françaises sont mises en situation d’interculturalité aux niveaux individuel et collectif, indique le colonel Pieau. L’adaptation se fait en fonction des besoins à partir du plus petit échelon pour éviter les maladresses. L’état-major prépare l’approche tactique selon des méthodes de comportement validées par le chef, qui négocie avec les autorités locales. Une observation décalée permet une analyse plus fine, sachant que la conquête des cœurs et des esprits s’inscrit dans la durée.

L’action diplomatique. Pour défendre ses intérêts, la France prend en compte l’identité de ses interlocuteurs, dont la connaissance lui permet de se faire reconnaître par eux et de respecter leurs différences et particularités, indique Hervé de Charette. Elle doit privilégier l’ouverture sur le monde et éviter l’arrogance pour y conserver son influence et sa place. Parler avec tout le monde implique de ne pas placer les valeurs occidentales au-dessus des autres, mais ne signifie pas renoncer à celles d’une portée universelle, comme les droits de l’Homme. Une dimension affective entre dans la politique étrangère, comme l’a montré l’action de la diplomatie française en 1996, lors de l’opération israélienne « Raisins de la colère » contre le Liban, dans un contexte de tensions avec les organisations politico-militaires Hamas et Hezbollah. Adepte de la « diplomatie militaire », Israël recourt à la force chaque fois qu’il le juge nécessaire pour atteindre ses objectifs. Or, la France attache de l’importance à la souveraineté du Liban, sa première carte d’influence dans la région, pour relancer sa politique arabe et méditerranéenne. Une équipe de diplomates chevonnés, dirigée par le ministre des Affaires étrangères (Hervé de Charette), fait la navette pendant 15 jours entre Tel Aviv, Beyrouth, Damas et Le Caire. Elle obtient un cessez-le feu…qui va durer 4 ans ! Ce succès repose sur la longue expérience de la diplomatie française au Moyen-Orient. La solution a nécessité un dialogue avec la Syrie, qui encourageait le Hezbollah, et avec l’Iran, son principal fournisseur d’armement et inspirateur religieux. Les Etats-Unis considéraient Israël comme leur seul interlocuteur dans la région et refusaient l’intervention d’un pays tiers, mais n’avaient plus de relations diplomatiques avec l’Iran. La France avait accepté d’avance d’en subir les conséquences éventuelles.

La reconnaissance internationale. Le système westphalien (1648) a instauré la reconnaissance mutuelle des Etats sur les plans juridique, politique (leur rôle à jouer) et culturel (égalité et découverte de l’autre), explique Bertrand Badie. Toutefois, il s’ensuit une compétition entre Etats, en rivalité permanente, et un classement hiérarchique. L’entrée de l’idée d’universalité dans l’histoire philosophique européenne a débouché sur l’évangélisation puis la colonisation. En Occident, la découverte de l’altérité s’est manifestée par la solidarité aux niveaux national (XIXème siècle), puis international (XXème siècle). Ensuite, la mondialisation de l’interculturalité a entraîné interdépendance et migrations. La culture, dont la définition varie avec le temps, a servi d’emblème. Lors des décolonisations, l’imposition de systèmes étatiques étrangers a suscité un sentiment d’aliénation de leur propre culture au sein des anciennes colonies. Le passé structure les comportements sociaux. L’altérité a été perturbée par l’humiliation du « dominé », paramètre incontournable des relations internationales, souligne Bertrand Badie. Elle entraîne des diplomaties de la revanche, où l’humilié va chercher à imposer l’humiliation à son tour, et de la réparation par l’ancien pays dominateur.

Loïc Salmon

Les distances et les difficultés de communication imposent la culture de l’autonomie, estime le capitaine Allège (photo), à l’issue d’une étude comparative des missions de combat au Tonkin (journaux de marche 1945-1954) et de lutte contre les orpailleurs clandestins en Guyane (son propre carnet de bord). Milieu difficile, la forêt équatoriale mettant hommes et matériel à rude épreuve, il s’agit d’apprendre de ceux qui y vivent en permanence et d’adapter la logistique. Pour comprendre sa manière de réagir, il faut se mettre à la place de l’adversaire, rustique et qui maîtrise ce milieu. Le succès de la mission dépend de sa durée et du soutien de la population locale, composante essentielle de la mission. Le rapport humain facilite le recrutement local et permet de transformer un adversaire en allié potentiel…à condition de savoir l’utiliser !

Armée de Terre : prise en compte de « l’interculturalité »

Opex, des vies pour la France

Armée de Terre : gagner la paix après l’intervention en Opex

 

 




Afrique : une base aérienne projetée pour « Barkhane »

Dans le cadre de l’opération « Barkhane », la base aérienne projetée (BAP) à Niamey contribue au combat contre les groupes armés terroristes, à l’appui aux forces armées partenaires, à la gouvernance et au développement de la bande sahélo-saharienne (BSS).

Sa présentation à la presse, le 21 novembre 2019 à Paris par son commandant, le colonel Hughes Pointfer, a été complétée par un point de la situation sur zone par le porte-parole de l’Etat-major des armées (EMA).

Les moyens. Située au centre de la BSS d’une superficie égale à celle de l’Europe, la BAP permet notamment à un avion de chasse de rallier une zone d’opérations entre 10 minutes et 1 heure, quand il n’est pas déjà en vol. En alerte permanente pour agir en tous lieux, l’outil aérien regroupe pour : l’intervention, 4 Mirage 2000 D ; l’appui et la projection, 2 avions ravitailleurs C135 et 1 avion de transport tactique C160 Transall ; les évacuations médicales, 1 Casa CN 235 ; le renseignement, 1 Mirage 2000 équipé de la nacelle optronique Talios (recueil d’images NTISR), et 3 drones Reaper. Les essais d’armement des Reaper se poursuivent, en vue d’une mise en service fin 2019. Ils pourront embarquer des missiles antichar Hellfire à guidage laser semi-actif ou à guidage radar (« tire et oublie »). Des renforts temporaires sont assurés par : 1 avion de transport polyvalent A 400 M ; 1 ravitailleur C 160 J Hercules ; 1 avion de guerre électronique et de renseignement ATL2 de la Marine nationale. En outre, la BAP apporte son appui aux forces nigériennes et partenaires par diverses missions : partenariat militaire opérationnel, dont la formation à l’appui aérien et de « spécialistes carburant » ; échange de renseignements ; réassurance ; transport de personnel et de matériel ; soutien au poste de commandement de la force conjointe G 5 Sahel du fuseau Centre ; construction de postes de combat à la base aérienne 101 de Niamey. En un an, la BAP a réalisé 6.000 mouvements d’aéronefs et 50 convois terrestres. Elle a aussi transporté : 42.000 passagers en transit, soit 25 % du trafic de l’aéroport de Niamey ; 4.800 t de fret, soit 40 % du trafic de l’aéroport de Niamey ; 145 t de courrier, dont 20 t pour elle-même.

Les opérations. Le théâtre de la BSS est éprouvant pour les hommes et les matériels, rappelle le porte-parole de l’EMA. Les groupes armés terroristes, ensemble hétérogène de combattants affiliés ou non à des franchises terroristes internationales (Daech ou Al Qaïda), exploitent les défauts de gouvernance dans certaines régions et s’en prennent indistinctement aux cibles militaires et aux civils. Ils affrontent de jeunes forces armées locales, mal équipées et en cours d’aguerrissement. Quoique leur nombre reste stable, les attaques terroristes deviennent plus meurtrières, surtout contre les forces armées maliennes. Du 1er au 17 novembre, l’opération « Bourgou 4 » a mobilisé plus de 1.400 soldats burkinabés, maliens, nigériens et français dans les régions de Déou (Burkina Faso) et Boulikessi (Mali). Elle a permis la mise hors de combat de plus d’une vingtaine de terroristes et la saisie de 64 véhicules et d’une centaine de téléphones portables et de munitions. Selon le colonel Pointfer, la BAP de Niamey a fourni un appui aérien, renforcé par un détachement venu de N’Djaména (Tchad) et qui a nécessité : 13 missions de drones ; 2 chasseurs en alerte permanente ; 36 sorties ; 90 ravitaillements en vol ; 13 dossiers NTISR ; 12 manifestations de présence, à savoir l’effet dissuasif du passage à la verticale des positions adverses.

Loïc Salmon

Afrique : soutiens intégrés à l’opération « Barkhane »

Afrique : zone sahélienne sous tension et résolution de crises

Armée de Terre : un état-major de forces immédiatement projetable




Afrique : soutiens intégrés à l’opération « Barkhane »

Le déroulement de l’opération « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne (BSS), qui inclut l’aérocombat, nécessite un soutien logistique interarmées, renforcé par les moyens fournis par la MINUSMA (mission de l’ONU au Mali).

Un retour d’expérience a été présenté, le 7 novembre 2019 à Paris, par deux colonels anciens chefs de corps, l’un du Groupement tactique désert (GTD) logistique et l’autre du GTD aérocombat.

« Barkhane ». Lancé en août 2014, l’opération « Barkhane » a pour mission première d’appuyer les forces armées des pays partenaires de la BSS, à savoir Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad. Elle doit également empêcher la reconstitution de sanctuaires terroristes dans la région. En conséquence, elle déploie 4.500 militaires, 3 drones, 7 avions de chasse, 19 hélicoptères, 6 à 10 avions de transports tactiques et stratégiques, 260 véhicules blindés lourds, 360 véhicules tactiques et 210 blindés légers. Elle dispose de 3 points d’appui permanents à Gao au Mali, Niamey au Niger et N’Djamena au Tchad ainsi que de 8 bases avancées temporaires réparties sur ces trois pays. A titre indicatif, la force aérienne a effectué 122 sorties aériennes entre le 30 octobre et le 3 novembre 2019 : 61 de transport ; 36 de renseignement, surveillance et reconnaissance avec ravitaillements en vol ; 25 de chasse.

Logistique. Pour garantir les standards de combat, le GTD logistique fournit carburant, munitions et eau, dont il effectue le transit et l’acheminement par voie terrestre, ainsi que les pièces de rechange pour la maintenance du matériel, sans oublier l’alimentation et un certain confort pour les soldats en opération. Entre janvier et mai 2019, le GTD logistique « Charentes » a mobilisé 535 logisticiens provenant de 105 unités issues des armées de Terre et de l’Air, des Services de santé, du commissariat et des infrastructures des armées. Le régiment support (45 % des effectifs) organise leurs entraînements, communs pour le soutien aux emprises (photo), et spécifiques pour les convois. A la fin de son mandat, le GTD logistique « Charentes » a chiffré son bilan : convois, 103 jours d’opérations, 600.000 km parcourus, 4.000 t de fret et 2.000 m3 de carburant ; maintenance, 770 véhicules soutenus et 620 pièces de rechange par semaine ; soutien santé, 350 journées d’hospitalisation ; soutien du soldat, 4.000 repas/jour et 76.000 baguettes de pain ; soutien pétrolier, 70 m3 de carburant/jour ; transit aérien, 11.000 personnes et 2.700 t de fret.

Aérocombat. Capable d’une intervention rapide et massive, le GTD aérocombat s’engage sur court préavis et à grande distance avec des hélicoptères de combat et des commandos pour une action au sol. Il déploie : 370 personnels ; 7 Caïman, hélicoptères de manœuvre et d’assaut ; 3 Gazelle ; 9 Tigre, hélicoptères de reconnaissance et d’attaque. Pendant son mandat de mai à septembre 2019, le GTD aérocombat a effectué 17 opérations en autonome ou en coordination avec les deux GTD au sol et le Groupement de recherche multi-capteurs pour le renseignement. Parmi elles, une dizaine d’opérations dites d’opportunité ont permis d’entraver la liberté d’action des groupes armés terroristes. Il a aussi assuré la protection de convois logistiques dans la région de Gourma-Liptako, zone des trois frontières entre Mali, Niger et Burkina Faso. Toutefois, au cours de la seconde partie de son mandat, son activité, contrainte par la saison des pluies, s’est recentrée sur le partenariat (formation, entraînement et accompagnement) avec les forces armées du Mali et du Niger.

Loïc Salmon

Logistique opérationnelle : de la maîtrise des flux à la force « Scorpion »

Sahel : l’opération « Barkhane », un effet d’entraînement fort

Afrique : les risques de déstabilisation et de terrorisme

 

 




Chine : routes de la soie, conséquences induites

La question se pose du maintien dans la durée du gigantesque projet chinois des nouvelles routes de la soie. Outre la nécessité d’un investissement annuel considérable, il suscite déjà des inquiétudes et des tensions à terme.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 23 mai 2019 à Paris, par le Club HEC Géostratégies en partenariat avec l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France et l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont notamment intervenus : Nicolas Lemoine, directeur exécutif HEC Paris ; Min Fan, fondateur du groupe chinois Ctrip Group ; Pascal Chaigneau, professeur à HEC Paris ; Matthieu Duchâtel, directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne.

Vue d’une entreprise chinoise. Le prestataire chinois de services Ctrip assure des réservations d’hôtel, fournit des billets de transport (avion, train et cars) et organise des voyages à l’étranger, explique Min Fan, l’un de ses fondateurs. Les « routes de la soie » (voir encadré) ont assuré des échanges de marchandises mais aussi culturels (photo). Pour réaliser son projet des « nouvelles », désigné sous le nom de l’initiative « Belt & Road » (la Ceinture et la Route, B&R), la Chine a déjà signé des accords avec 123 pays et 29 organisations internationales. Entre 2013 et 2018, le nombre de Chinois visitant ces pays est passé de 15 millions à plus de 30 millions et celui des voyageurs des pays du B&R à s’être rendus en Chine de 9,03 millions à 10,64 millions, soit une croissance annuelle de 3,5 %. Le tourisme chinois assure 30,82 % des recettes touristiques et 14,11 % de l’emploi dans les pays du B&R. En 2018, Ctrip a traité 90 millions de « voyageurs actifs mensuels » dans les pays du B&R, soit la moitié de son total. Malgré la présence de guides touristiques chinois qui parlent l’anglais et le français, de plus en plus de guides locaux apprennent le chinois pour devenir plus compétitifs. La France reste l’un des pays les plus visités par les touristes chinois, dont le nombre devrait augmenter de plus de 30 % par an. Cette coopération « gagnant-gagnant » porte sur 71 pays, 3 millions de touristes chinois, 80.000 offres de voyages, dont 90 % en Europe et en Asie du Sud-Est. L’innovation dans ce domaine passe par l’intelligence artificielle, les « big data » (mégadonnées) et le « cloud computing » (exploitation de la puissance de calcul ou de stockage de serveurs informatiques distants par l’intermédiaire d’un réseau).

Vision chinoise globale. Depuis le Livre blanc de la défense de 2015, la Chine développe le « projet 2049 », centenaire de la naissance de la République populaire, explique Pascal Chaigneau. Il s’agit d’infiltrer cinq nouveaux espaces de puissance, afin de les contrôler : le domaine maritime, négligé et qui a permis la domination de l’Occident ; l’espace extra-atmosphérique, pour contester la prééminence des Etats-Unis ; le cyber ; la haute technologie ; les normes des systèmes internationaux. En 2018, la Chine a obtenu le poste de N°2 du Fonds monétaire international. A l’ONU, celui de sous-secrétaire général chargé des finances est occupé par un Chinois. L’initiative B&R terrestre part du Xinjiang, permettant ainsi le développement de l’Ouest du pays et « phagocyter » la région autonome des Ouïgours, population musulmane turcophone. Dans les pays pauvres traversés, elle crée des « clientèles économiques captives » et, par voie de conséquence, un « clientélisme diplomatique », incité à soutenir la Chine au sein des instances internationales. Le Forum des routes de la soie, organisé à Pékin puis à Shanghai, se transforme en Sommet des routes de la soie, complété par une Organisation des routes de la soie avec son siège à Shanghai, un secrétaire général et un budget dédié. Pour protéger ses intérêts économiques à l’étranger, la Chine développe ses moyens de projections militaires terrestre et navale dans une stratégie d’expansion mondiale. Face à elle et sur un fond de rétorsion, représailles, sanctions, embargos, les Etats-Unis discréditent l’initiative B&R, stratégie d’influence chinoise, dans toutes les instances mondiales. Estimant que son point faible se trouve en Afrique, ils agissent déjà là-bas. De son côté, l’Inde accroît fortement le budget de sa Marine depuis deux ans, pour éviter que l’océan Indien devienne un « lac chinois ».

Présence militaire et légitimité. Avant même les investissements de l’initiative B&R, la doctrine de sécurité de la Chine a connu une rupture avec l’établissement de la base de Djibouti et l’envoi d’unités navales et aériennes en Libye en 2011 pour évacuer 30.000 ressortissants, explique Matthieu Duchâtel. Djibouti fournit un soutien logistique à la présence navale chinoise dans le golfe d’Aden dans la lutte contre la piraterie, aux unités chinoises de maintien de la paix dans le cadre de l’ONU (2.500 hommes en 2019) et aux opérations d’assistance humanitaire (évacuation de ressortissants au Yémen en 2015). Outre la future capacité d’accueil de 10.000 personnes à Djibouti, la Chine assure une présence militaire permanente au Tadjikistan et renforce son infanterie de Marine. En outre, sa Marine va évoluer d’un réseau de soutien avec des ports étrangers amis à un modèle avec ses propres ports. Elle investit dans les ports pakistanais de Gwadar et de Jiwani, où la construction d’une base navale lui permettrait une présence militaire à proximité du détroit d’Ormuz. Toutefois, la construction de la prochaine base suivra les critères de celle de Djibouti pour légitimer des actions sur le plan international, en cas de crise menaçant des ressortissants chinois à l’étranger et d’une intensité justifiant un déploiement permanent. La loi chinoise contre le terrorisme autorise l’intervention à l’étranger de forces spéciales, en cas d’attaque d’une ambassade par exemple. Enfin, les forces armées pourraient intervenir en Asie centrale dans le cadre de l’Organisation de coopération de Shanghai (Russie, Chine, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan et Ouzbékistan).

Loïc Salmon

Le terme « routes de la soie » a été inventé au XIXème siècle par le géographe Ferdinand von Richtofen, qui avait imaginé un projet de liaison ferroviaire entre l’Allemagne et la Chine, indique Nicolas Lemoine. Connues des Romains, ces voies commerciales coûtaient jusqu’à 100 millions de sesterces par an à l’Empire au Ier siècle. En fait, les caravanes transportaient des marchandises précieuses, mais très rarement de la soie, qui servait de monnaie d’échange utilisée par la Chine pour négocier des accords de passage avec les potentats des pays traversés. Elle servait aussi à dresser les « barbares lointains » contre les « barbares proches », pour sécuriser les frontières de la Chine. Initiatives chinoises de protection contre les Huns, les routes de la soie commencent au IIème siècle avant JC et la ville de Samarcande (Ouzbékistan actuel) en deviendra le pivot. Elles connaissent leur âge d’or sous l’empereur (mongol) de Chine Kubilaï Khan (1215-1294), lequel dure jusqu’à la dislocation de l’Empire mongol en 1368. La longue période suivante d’isolationnisme de la Chine, la découverte de l’Amérique (1492), avec ses perspectives de colonisation, et la voie maritime vers les Indes, ouverte par Vasco de Gama (1498), entraînent une décroissance progressive des routes de la soie.

Chine : routes de la soie, un contexte stratégique global

L’océan Indien : enjeux stratégiques et militaires

Asie-Pacifique : zone d’intérêt stratégique pour la France




Chine : routes de la soie, un contexte stratégique global

Le vaste projet chinois des nouvelles routes de la soie se présente sous une forme davantage géopolitique que commerciale avec, à terme, plus de menaces que d’opportunités.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 23 mai 2019 à Paris, par les Club HEC Géostratégies, l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France et l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont notamment intervenus : Etienne de Durand, directeur adjoint de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie au ministère des Armées ; Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères (1997-2002) ; Emmanuel Véron, enseignant chercheur à l’Ecole Navale ; Christoph Ebell, Emerging Technology Consultant.

Environnement à risques. Selon Etienne de Durand, la course aux armements a repris avec des programmes majeurs en développement en Russie, une rivalité technologique entre les Etats-Unis et la Chine et une accélération du progrès technologique. La compétition permanente entre grandes puissances, toutes nucléaires, se manifeste le long du « continuum paix, crises et conflit », mais souvent sous le seuil de ce dernier par des intrusions voire des agressions non revendiquées, notamment dans l’espace (approches des satellites nationaux) et le cyber (attaques quotidiennes). Elle s’étend même à l’économie et à la technologie. Les espaces communs sont de plus en plus contestés avec des velléités ou même tentatives d’appropriation par la revendication de territoires ou, en haute mer, par la poldérisation d’îles avec obligation de se déclarer pour tout navire qui s’en approche. Cette compétition présente des risques d’escalade, avec un arrière-plan nucléaire. Puissance devenue globale dans les domaines économique, militaire et stratégique, la Chine tente de remodeler l’ordre international, notamment en mer de Chine méridionale, met l’accent sur les technologies duales (usages militaires et civils) et déclare un budget militaire officiel de 170 Mds$/an, mais d’un montant réel supérieur le plaçant de fait juste après celui des Etats-Unis. Puissance spatiale, la Chine met au point des armes antisatellites et d’autres à énergie dirigée. En matière de capacités de projection de puissance, elle dispose de deux porte-avions, en construit un troisième, accélère le rythme de la production de sous-marins à propulsion nucléaire et développe ses facilités portuaires dans la zone indo-pacifique. Avec la mondialisation, une tension en océan Indien ou en mer de Chine du Sud aura des implications immédiates en Europe dans les domaines économique, de l’énergie et des approvisionnements.

Géostratégie. La Chine met en œuvre une géostratégie portuaire, diplomatique et commerciale d’abord en Asie du Sud-Est, puis en océan Indien vis-à-vis de l’Inde, du Pakistan et de l’Iran pour déboucher sur la Méditerranée et l’Europe du Nord, indique Emmanuel Véron. L’ouverture sur le Pacifique-Sud lui permettra d’accéder à l’Amérique latine. Elle construit tout type de navire, même un brise-glace à propulsion nucléaire. En raison de la concurrence locale en mer de Chine, sa flotte de grands bateaux de pêche s’aventure jusqu’à la côte péruvienne. Elle développe l’aquaculture, les biotechnologies, le dessalement de l’eau de mer et surtout la recherche océanographique pour la pose de câbles de communication numérique et pour servir son programme de sous-marins. Sur le plan militaire, outre l’installation d’armements, de relais et de moyens d’écoute sur les atolls aménagés en mer de Chine méridionale, elle a construit de nombreux navires, dont 1 porte-avions, 60 corvettes type 56 et 20 destroyers type 52 entre 2011 et 2018. Le programme de renouvellement des sous-marins nucléaires d’attaque et lanceurs d’engins va changer la donne dans le Pacifique vis-à-vis de la puissance navale américaine. La formation des 220.000-230.000 marins se poursuit ainsi que celle du corps expéditionnaire d’infanterie de Marine avec la composante commando. La diplomatie navale s’intensifie en Asie du Sud-Est, Afrique et Europe ainsi que la collecte d’informations, les réflexions sur la Marine à l’horizon 2030 et le soutien à l’export des équipements de sa base industrielle et technologique de défense. Enfin, la Marine chinoise effectue régulièrement des exercices communs avec son homologue russe.

Logique de puissance. L’Occident n’a pas encore intégré la perte du monopole de la puissance, estime Hubert Védrine. Le projet chinois des routes de la soie présente des similitudes avec les procédés du Portugal, de l’Espagne, de la France et de la Grande-Bretagne, pour établir des empires coloniaux et vis-à-vis de l’Empire ottoman au XIXème siècle : séduction ; promesses, sincères ou mensongères ; prêts avec l’engrenage de l’endettement ; opérations militaires, discrètes ou avouées. Pour les voisins de la Chine, les avantages à court, moyen et long termes, les opportunités commerciales, les inconvénients et les risques, plus ou moins graves, liés au projet varient selon les pays. En Afrique, la Chine a élaboré une politique très ambitieuse. La Russie, dont la population en Sibérie n’atteint pas 20 millions de personnes, s’en inquiète, mais se tourne vers la Chine en raison des tensions avec les pays occidentaux. L’Europe connaît un contraste entre l’idée de sa fondation sur des valeurs universelles et la réalité du monde, où les puissances anciennes et nouvelles, dont la Chine, se positionnent par rapport à elle. Dix-sept pays européens, dont la Grèce et ceux d’Europe de l’Est, demandent de l’argent chinois. De leur côté, les Etats-Unis considèrent la Chine comme leur adversaire principal, devant la Russie et l’Iran. L’affrontement, possible notamment sur la liberté de navigation dans les eaux internationales du détroit de Taïwan, dépendra, le moment venu, de l’intérêt de l’une ou l’autre partie de l’aggraver et de l’élargir. Quant à l’avenir du projet des routes de la soie, quelques pays deviendront des protectorats chinois, d’autres resteront à l’écart et certains résisteront, peut-être jusqu’à la contestation violente. Une option pour l’Europe, puissance, consisterait à obliger la Chine à le transformer en un vrai partenariat.

Loïc Salmon

Selon Christoph Ebell, le projet des routes de la soie prend aussi une dimension numérique avec les équipements informatiques, la valorisation des données et une cyberstratégie. Les fournisseurs chinois de services numériques proposent des applications pour les transactions financières. Ainsi en décembre 2018, Alibaba Cloud a signé un protocole d’accord avec le Koweït portant sur un centre d’échanges de données et d’informations entre tous les pays du monde. Les routes de la soie nécessitant des normes techniques communes, la Chine a construit des câbles de fibres optiques reliant Pékin aux Viêt Nam, Népal et Pakistan et a commencé à installer des réseaux 5 G. Parmi les cinq grands centres de calculs à haute performance entrant dans les applications de l’intelligence artificielle à grande échelle, les deux premiers se trouvent aux Etats-Unis et les trois suivants en Chine…qui dépend des Etats-Unis pour la fourniture des indispensables puces électroniques.

Chine : les « nouvelles routes de la soie », enjeux idéologiques et réalités stratégiques

Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

 

 




Trafics d’armes : nouveautés techniques et effets sanitaires

La formation continue des forces de sécurité (police, douanes et vigiles aéroportuaires) s’avère indispensable pour contrer les trafics d’armes, qui prolifèrent dans les zones de non-droit et menacent la sécurité intérieure et le développement de certains Etats.

Ce thème a été abordé au cours d’un colloque organisé, le 15 mai 2019 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques, la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (ministère des Armées) et le Groupe de recherche et d’informations sur la paix et la sécurité (Belgique). Y sont notamment intervenus : Pascal Girault, chef du service des armes au ministère de l’Intérieur ; Stéphan Hoffert, directeur du développement à ICTS France ; Stéphanie Delgado Martin, Programme des nations unies pour le développement (PNUD) ; Philip Cook, Université de Duke (Etats-Unis).

Valeurs ajoutées technologiques. Rationnel, le criminel cherchant à acquérir une arme létale minimise d’abord ses propres risques, souligne Pascal Girault. Il évite la transaction par un intermédiaire, qui pourrait être surveillée par les forces de l’ordre et ne garantit pas la qualité de l’arme. La technologie des armes pour un usage d’homicide ou de tentative d’homicide allant plus vite que la réglementation, il pourrait recourir à l’impression 3D. Mais celle-ci nécessite de la matière première, une imprimante à coût variable de 100 € à 10 M€ et un schéma numérique accessible sur internet. Mais l’arme ne fonctionne pas toujours et peut exploser. La 3D présente aussi le risque pénal de fabrication illégale. Sur le plan technique, l’impression dure de 12 à 20 heures pour une arme en plastique et coûte plusieurs centaines de milliers d’euros pour une en métal. Une arme en plastique ne tire qu’un coup, qui la déforme. En outre, son schéma numérique ne se trouve guère à l’abri de défauts volontaires de la part de son auteur. Les armes de cinéma, provenant de stocks militaires et neutralisées, peuvent être réactivées. Certaines d’origine slovaque ont été vendues en France. Ainsi, l’un des auteurs de l’attentat de Charlie Hebdo en 2015 en a utilisé une. Les Etats de l’Union européenne renforcent le contrôle technique des armes de tir à blanc, neutralisées mais facilement transformables en armes réelles. De nouvelles normes européennes vont s’appliquer en 2020 aux armes d’alarme, qui tirent des projectiles de petits calibres. Faciles à acquérir, les armes anciennes sont classées en France dans la catégorie « B » (soumises à autorisation). L’auteur de la fusillade de masse (5 morts et 11 blessés) au marché de Noël à Strasbourg (2018) en a utilisé une vieille de cent ans. Le renforcement des normes internationales contraint criminels et terroristes isolés à se rabattre sur les armes de bas de gamme. Toutefois, le rapport qualité/prix semble plus favorable aux premiers, qui disposent de moyens financiers et logistiques plus élaborés.

Détection aux aéroports. Depuis l’arrivée des armes à feu en polymères (matières plastiques diverses), aucune prise de contrôle d’aéronef par des pirates armés exclusivement de pistolets Glock 17, difficilement détectables dans les aéroports, n’a été constatée, souligne Stéphan Hoffert. Un terroriste, un peu renseigné, échappe au contrôle primaire, à savoir les portiques de détection métallique et scanneurs à bagages. Le portique détecte des munitions composites de polymères et cuivre. Pour le scanneur à bagages à main, la faille vient de l’opérateur, surtout si l’arme y est dissimulée en pièces détachées ou s’il s’agit d’une arme d’un nouveau genre. Toutefois, sur un vol dit « sensible », certains passagers peuvent subir une inspection de filtrage renforcée (contrôle secondaire sur sélection) par palpation, magnétomètre, détecteur de traces d’explosifs, scanneur de chaussures et scanneur corporel. Ce dernier visualise les objets dissimulés par les vêtements et placé au contact du corps, mais pas celles dans les cavités naturelles, à savoir rectum, sillon fessier, ou entre des bourrelets de graisse abdominale. La palpation, différente de la fouille, consiste à toucher le corps à travers les vêtements pour détecter des objets suspects. La sélection de certains passagers se fait de façon aléatoire ou par détection d’un comportement estimé anormal. Cette dernière, dénommée « profilage de sûreté », se pratique avec succès en Israël depuis 40 ans. Des bases de données nominatives d’individus dangereux tenues par les services de police et de renseignement, sont accessibles aux services de sécurité aéroportuaires. Enfin, des passagers peuvent faire l’objet d’un troisième contrôle, par la police, lorsque le doute a été levé après une alarme lors des deux contrôles précédents. De fait, l’œil du personnel de terrain reste le meilleur détecteur, conclut Stéphan Hoffert.

Aspects socio-économiques. Dans la cadre de son projet d’appui à la réforme de la sécurité à Madagascar, le PNUD a procédé à une enquête sur les armes entre juillet et octobre 2017, indique Stéphanie Delgado Martin. Dans l’île, la possession d’une arme répond à plusieurs motivations : statut social ; tradition, chasse ; autodéfense ; protection des biens, récoltes et troupeaux ; criminalité. Difficile dans les zones urbaines, leur acquisition semble plus aisée dans le Sud pour diverses raisons : fabrication artisanale d’armes ; frontières poreuses et trafics via les ports ; participation présumée de certains membres de forces de sécurité et de défense aux trafics ; disparition d’armes lors des crises politiques ; brigands disposant de plus en plus d’armes ; corruption pour contourner les procédures onéreuses d’achat légal. La société malgache en subit les conséquences : pertes de zébus à la base de plusieurs rituels en zone rurale ; migrations forcées ; trafics de drogue et d’êtres humains ; insécurité des investissements. Les structures criminelles peuvent s’y installer sans se soucier des réactions de l’Etat et mener des activités comme l’extraction illégale de ressources naturelles et des trafics divers. Les solutions incluent : gestion et contrôle des armes ; recensement des armes ; amnistie pour collecter et régulariser les armes détenues par des civils ; renforcement de l’effort d’identification et de démantèlement des réseaux criminels.

Loïc Salmon

Selon Philip Cook, les armes légères et de petit calibre ont tué 40.000 personnes aux Etats-Unis en 2017, dont 24.000 suicides et 16.000 homicides. Ce chiffre, égal à celui des accidents mortels sur les autoroutes, correspond à 12 tués pour 100.000 habitants, proportion la plus élevée parmi les pays développés et 20 fois supérieure à celle de la France. Les agressions par balle s’établissent à 1 mort pour 6 blessés et les tentatives de suicide à 6 morts pour 1 blessé grave. En 1994, les 134.000 blessures par balle ont coûté 2,3 Md$ en frais médicaux (la moitié par financement public), soit l’équivalent de 5,3 Mds$ en 2019. S’y ajoutent les traumatismes psychiques parmi les survivants ou témoins d’une tuerie, entraînant des difficultés de concentration et d’apprentissage chez les jeunes et un taux de suicides plus élevé chez les adultes. Depuis 1999, 200.000 enfants se sont trouvés ainsi exposés dans des écoles ciblées. Ceux grandissant dans des environnements violents risquent invalidités physiques et troubles mentaux.

Trafics d’armes : dynamique, modes opératoires et routes

Trafics d’armes : fin de crise, embargos, désarmement et consolidation de la paix




Afrique : les risques de déstabilisation et de terrorisme

Dysfonctionnement de l’Etat et échecs sur les plans économique et démographique constituent le terreau du terrorisme dans la bande centrale de l’Afrique. Son éradication passe par le traitement de la démographie et de l’éducation nationale, la réforme des armées et l’aide aux forces de sécurité.

Nicolas Normand, ancien ambassadeur au Mali (2002-2006), au Congo (2006-2009) et au Sénégal (2010-2013), l’a expliqué lors d’une conférence-débat organisée, le 12 juin 2019 à Paris, par l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France.

Croissance hétérogène. La contribution de l’Afrique sub-saharienne au produit intérieur brut (PIB) mondial par habitant est passée de 0 %, entre les indépendances (1960) et la fin du XXème siècle, à 5 % entre 2000 et 2015. Après la stagnation de 2016, la reprise économique moyenne s’établit à 3-3,5 % par an avec une croissance démographique de 2,5 %. Toutefois, 40 % de sa population ne dispose que de 1,9 $ par personne et par jour, seuil de pauvreté selon les normes de l’ONU. L’ambassadeur attribue ce réveil économique à l’annulation de la dette, l’essor du numérique, l’arrivée des investissements chinois, la progression de la scolarisation, un grand pas vers l’égalité des femmes et la diminution de la conflictualité entre 1990 et 2010 mais qui repart en 2013. Cependant, seulement une dizaine de pays allient croissance et développement, tandis que les autres connaissent une situation fragile, voire chaotique. Les importations se montent à 40M$/an pour la nourriture et à 15 Mds$ pour les biens. Négative jusqu’en 2010, la balance commerciale a provoqué un endettement croissant dans les secteurs public (budgets) et privé (taux d’intérêt de 7 %). A titre d’exemple, au Nigeria, la dette représente 60 % du budget de l’Etat et l’assiette fiscale moins de 15 % du PIB, contre 35 % pour la moyenne mondiale, et une hausse de 1 % de la fiscalité correspondrait à l’aide au développement. Environ 30 à 40 % des investissements étrangers vont en Asie, 20 % vers l’Amérique latine et seulement 3 % vers l’Afrique sub-saharienne, en raison de l’insécurité juridique et du manque d’infrastructures, notamment pour le réseau électrique. Ainsi, 55 % de la population n’a pas accès à l’électricité et à peine 15 % en a suffisamment.

Démographie et éducation. D’ici à 2050, la population de l’Afrique sub-saharienne devrait augmenter de 160 % pour atteindre 1 milliard d’habitants. Selon les estimations de l’ONU, le nombre d’enfants par femme, actuellement de 5, devrait tomber à 2 en 2100. Dans tous les pays asiatiques, la baisse de la natalité et l’effort sur l’éducation a permis leur décollage économique, rappelle l’ambassadeur. Or en Afrique, un enfant sur trois arrive en fin du cycle primaire, alors que 22 % des jeunes Européens obtiennent un diplôme d’enseignement secondaire. S’y ajoutent les handicaps de l’éducation insuffisante des filles et des mariages précoces dans de nombreux pays d’Afrique. Seuls le Ghana, l’Ethiopie, le Kenya et l’Afrique du Sud maîtrisent leur éducation nationale. Ailleurs, en zone urbaine, celle-ci se trouve concurrencée par les écoles coraniques aux idéologies anti-modernisme, anti-occidentale et anti-démocratique. L’Afrique sub-saharienne ne produit que 2 % de la valeur des biens manufacturés dans le monde, en raison de l’enclavement de certains pays, d’une compétitivité très faible, d’une électrification et d’infrastructures déficientes, d’une formation professionnelle limitée et d’une baisse de natalité trop lente. Chaque année, le marché du travail doit absorber 30 millions de jeunes dont la plupart ne trouve pas d’emploi, facteur supplémentaire d’insécurité.

Carences étatiques. L’aide au développement s’est concentrée sur la santé et divers projets, sans s’interroger sur les causes du sous-développement, souligne l’ambassadeur. La construction des routes ou du métro par des entreprises et personnels étrangers déresponsabilisent les autorités locales et les discréditent auprès des populations. La police et les armées ont été négligées et sont mal payées, faute d’une fiscalité efficace. Présence étatique limitée en zone rurale et mauvais fonctionnement de la justice créent un terreau propice à des désordres. Dans certains pays, l’Etat a dissous les autorités traditionnelles et délégué le maintien de l’ordre à des milices armées rurales pour régler les conflits entre nomades pasteurs et agriculteurs sédentaires, notamment pendant les périodes de sécheresse.

Djihadisme. En Afrique sub-saharienne, le terrorisme chrétien a déjà tué 100.000 personnes, soit plus que les djihadistes après 2000, indique l’ambassadeur. Selon le Programme des nations unies pour le développement, une répression étatique violente favorise le djihadisme, notamment au Nigeria où le salafisme « quiétiste » (cheminement spirituel) est devenu « djihadiste » avec Boko Haram. Le djihadisme suscite des adhésions car il propose un projet de civilisation, gère les besoins de justice et favorise les pasteurs. Dans le Nord-Mali, s’affrontent des groupes armés répartis en trois catégories aux frontières poreuses, où se mêlent lutte des castes et compétition pour le narcotrafic : Coordination des mouvements de l’Azawad, Touaregs sécessionnistes mais signataires des accords de paix d’Alger avec le gouvernement malien à l’issue de l’opération « Serval » ; groupes armés pro-gouvernementaux, également signataires ; djihadistes, répartis entre le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans et l’Etat islamique, non signataires. Alors que la population penche plutôt du côté des djihadistes, l’opération « Barkhane », qui a succédé à « Serval », s’est associée aux milices. Le djihadisme, parti du Mali, s’est étendu notamment en République centrafricaine et en République démocratique du Congo, mais a disparu de l’Ouganda. La Mauritanie a procédé avec succès à la « déradicalisation » en plaçant des imams auprès de prisonniers djihadistes. Sur 60 détenus, un seul a repris le maquis après sa libération ! La solution, à terme, repose sur la réconciliation à partir du renoncement au djihadisme, à condition de négocier en position de force avec les djihadistes, conclut l’ambassadeur.

Loïc Salmon

Le nombre de morts dans les combats est passé de 607 en 2012 à 2.829 en 2018 dans les pays du G5 Sahel (Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso et Mauritanie). En 2018, le terrorisme sévit dans les pays les moins avancés (PMA), à savoir le Mali, le Niger et la Somalie, mais aussi au Nigeria, pourtant plus développé. En outre, guerre civile et exactions de groupes armés continuent au Soudan, au Soudan du Sud, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo et au Mozambique. Quoique classés PMA, Mauritanie, Guinée, Sierra Leone, Liberia, Bénin, Togo, Angola, Zambie et Madagascar échappent à ces fléaux. Sont aussi épargnés des pays plus développés, à savoir le Cameroun, le Gabon, le Congo, le Kenya, la Namibie, le Botswana, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud. Y échappent également le Sénégal (PMA), la Côte d’ivoire, le Ghana, l’Ethiopie (PMA) et la Tanzanie (PMA), tous classés parmi les dix premiers pays du monde à forte croissance économique.

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