Face à la montée en puissance des États-Unis en Asie-Pacifique, la Chine compte sur sa puissance économique pour s’imposer aux pays riverains. Mais ceux-ci sont passés de la dépendance des deux « Grands » à leur mise en concurrence, renforçant ainsi l’ambiguïté stratégique de la zone.
Cette situation a fait l’objet d’un séminaire organisé, le 21 mai 2014 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Y ont notamment participé Valérie Niquet, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, et Delphine Allès, professeur en sciences politiques à l’université de Paris-Est (Créteil).
Vision chinoise. La zone Asie-Pacifique se caractérise par son dynamisme et sa stabilité, contrairement au Moyen-Orient, sujet à une violence chronique, ou l’Europe, atteinte par la crise économique et financière de 2008, souligne Valérie Niquet. Le nouvel intérêt de Washington pour l’Asie, inquiète Pékin, d’autant plus qu’après sa réélection en 2012, le président Barack Obama a préféré se rendre d’abord, non pas en Chine, mais au Japon, en Corée du Sud et même au Myanmar, sphère d’influence de la Chine. Depuis l’arrivée au pouvoir du président chinois Xi Jinping la même année, les tensions se sont aggravées avec le Japon, les Philippines et le Viêt Nam. Elles font partie d’une affirmation de puissance du pays définie par le Parti communiste chinois, consécutive à une analyse des rapports de forces avec les autres pôles de puissance (États-Unis, Union européenne et Russie) et à une volonté de stabilité interne, en raison des failles du régime (inégalités et troubles sociaux). Selon Valérie Niquet, la Chine tente de rassurer ses interlocuteurs sur sa volonté de prolonger cette période d’opportunités et de paix dans la zone Asie-Pacifique, qui a assuré sa montée en puissance : interdépendance des relations économiques avec les Etats-Unis ; maintien de la stabilité en Asie par son influence sur la Corée du Nord. Mais, en même temps, Pékin affirme la défense de ses intérêts vitaux, non négociables, en mer de Chine méridionale et poursuit le « rêve chinois » d’occuper, comme du temps de l’empire, le « centre » de l’Asie… pour assurer la survie du régime communiste ! Les analystes chinois estiment que la fin de la guerre froide (1947-1989) a coïncidé en Asie avec une augmentation des tensions et même des risques de guerre. Ils dénoncent le renforcement de l’appareil de défense du Japon, l’augmentation des missions d’observation militaire des États-Unis en mer de Chine et le déploiement de bâtiments militaires des Philippines, alors que la Chine n’y envoie que des unités de garde-côtes « civils ». Malgré un climat de défiance, le partenariat avec la Russie est considéré comme stratégique, comme le montre le contrat signé le 21 mai 2014 portant sur la fourniture de gaz russe pendant 30 ans.
Vision du Sud-Est asiatique. Le retour périodique des différends territoriaux constitue une source de tensions récurrentes, explique Delphine Allès. Ainsi, la Thaïlande et le Cambodge se disputent un territoire frontalier où se trouve le temple de Preah Vihear, classé par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité et donc susceptible d’y attirer le tourisme. En outre, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Myanmar font face à des contestations séparatistes, dues à l’héritage territorial des anciens empires, à la centralisation des États modernes et à la volonté de contrôle des ressources naturelles locales. Par ailleurs, les incidents de frontières maritimes résultent de la délimitation des zones économiques exclusives (ZEE) de 200 milles, conformément à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982). Au-delà des 12 milles des eaux territoriales, le partage se complique lorsque le plateau continental d’un pays déborde de sa ZEE. En outre, Pékin considère la mer de Chine méridionale comme partie intégrante de ses eaux territoriales. Sont alors contestées les îles inhabitées qui s’y trouvent : Paracels, Spratleys et le récif de Scarborough. Or, dans ces zones, le volume des réserves d’hydrocarbures est peu prouvé et les ressources halieutiques se révèlent modérément élevées. De plus, leur intérêt purement stratégique reste limité. D’abord, ces îles sont trop petites pour y construire des installations militaires. Ensuite, les États riverains peuvent les menacer par des missiles. Enfin, un sous-marin, caché à proximité, peut en interdire l’accès aux bâtiments de surface. Par ailleurs, les tensions sont alimentées par l’implication de puissances extérieures. En outre, depuis les années 1990, les enjeux territoriaux traditionnels des pays de la zone Asie-Pacifique sont occultés par les questions non militaires et non étatiques, où la coopération et le partage d’informations s’imposent : environnement et catastrophes naturelles ; sécurité sanitaire ; terrorisme ; migrations ; trafics illicites ; piraterie maritime. Celle-ci a diminué après l’instauration du droit de poursuite des bateaux pirates dans les eaux territoriales d’un pays riverain. Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, la sécurité humaine, à savoir le lien entre défense extérieure et sécurité intérieure, est valorisée par la communauté internationale et s’intègre dans les doctrines stratégiques des pays membres de l’ASEAN. En vue d’éviter l’internationalisation de conflits intérieurs ou bilatéraux, ceux-ci veulent dépolitiser les enjeux régionaux et favoriser la coopération stratégique. Ils augmentent leurs dépenses militaires en renouvelant leurs matériels à moindre coût auprès des États-Unis. Ils refusent de se positionner en bloc vers la Chine ou les États-Unis. Ainsi, Singapour, les Philippines et le Viêt Nam sont devenus les partenaires privilégiés des États-Unis, mais le Laos, le Cambodge et le Myanmar ont préféré la Chine. S’y ajoutent des partenariats croisés entre l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande. La Chine multiplie les efforts diplomatiques envers la Malaisie, l’Indonésie, Singapour et la Thaïlande, augmente les patrouilles paramilitaires et le déploiement de pêcheurs sur zone et développe sa capacité de déni d’accès naval à Taïwan. De leur côté, les États-Unis accroissent leurs capacités aériennes et navales dans la zone, renforcent leur présence en Australie et aux Philippines, procèdent à des exercices maritimes et apportent un soutien diplomatique à l’ASEAN.
Loïc Salmon
Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité
L’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) a été fondée en 1967 par les Philippines, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour et la Thaïlande, rejoints ensuite par Brunei (1984), le Viêt Nam (1995), le Laos (1997), le Myanmar, ex-Birmanie, (1997) et le Cambodge (1999). Le Timor oriental pourrait y adhérer en 2015. La Papouasie-Nouvelle-Guinée a le statut d’observateur. Chaque année, 16 chefs d’État de la région se rencontrent au Sommet de l’Asie de l’Est, où la Russie a le statut d’observateur. « L’ASEAN Regional Forum », qui compte 26 membres, traite des questions de sécurité en Asie-Pacifique. « L’ASEAN + 3 », qui se tient pendant les sommets de l’ASEAN, inclut la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Le « Dialogue Asie-Europe » réunit de façon informelle l’ASEAN + 3 et l’Union européenne. Enfin, il existe un sommet ASEAN-Russie au niveau des chefs d’État.