Armement : gestion des stocks dans un conflit de haute intensité

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La compétition entre les États-Unis et la Chine et la déstabilisation probable des pays proches de la Russie pourraient entraîner des conflits locaux et la continuité de la logique d’affrontement par procuration. La guerre en Ukraine rappelle l’attrition des armements et équipements.

En décembre 2022, l’Institut français des relations internationales a publié une étude intitulée « Stocks militaires : une assurance-vie en haute intensité », réalisée par le chercheur Léo Péria-Peigné.

Conséquences de l’attrition. La simple « opération militaire spéciale » de la Russie en Ukraine s’est transformée en une guerre d’une durée indéterminée et grande consommatrice de munitions avec des pertes humaines et matérielles considérables. L’Ukraine a dû rouvrir ses arsenaux et faire appel d’abord à ses voisins d’Europe de l’Est, anciens membres du Pacte de Varsovie, puis aux États-Unis et aux pays européens. Il s’ensuit une cohabitation de systèmes d’armes soviétiques et de l’OTAN sur le terrain. De son côté, la Russie a commencé par puiser dans ses stocks hérités de l’URSS puis a sollicité la Biélorussie, la Corée du Nord et l’Iran. Pour intensifier les flux dans cette « guerre de matériel », les deux belligérants ne peuvent en effet augmenter les cadences de production, qui nécessitent une profonde transformation industrielle avec des délais longs et des financements pérennes. En revanche, pour les pays indirectement impliqués, une politique préalable d’exploitation de leurs stocks représente un atout dans le triptyque « compétition, contestation, affrontement ». Ainsi, le camp occidental a pu, jusqu’à présent, soutenir massivement l’Ukraine sans s’exposer à des représailles militaires directes de la part de la Russie. En outre, grâce à leurs stocks, les États-Unis amoindrissent considérablement le potentiel militaire de la Russie pour longtemps au prix de quelques dizaines de milliards de dollars, alors que le conflit en Afghanistan (2001-2021) leur a coûté plus de 1.000 Mds$. D’une façon générale, les stocks se constituent « en amont », lors de l’acquisition du matériel, ou « en aval » lors de son retrait du service actif. Les systèmes d’armes stockés peuvent ensuite remplacer ceux détruits ou indisponibles pour entretien. Ils peuvent aussi servir de réserves de pièces détachées pour des systèmes qui ne sont plus fabriqués. Les systèmes considérés comme prioritaires seront mis « sous cocon » avec des mesures particulières pour allonger au maximum leur durée de conservation dans un état satisfaisant. Certains systèmes stockés sont « rénovés » pour retrouver leur état d’origine. D’autres peuvent subir un « retrofit », à savoir une mise à niveau de leurs composants obsolètes, afin d’augmenter leurs performances.

Les Etats-Unis. Les forces armées américaines, qui ont conservé une partie importante de l’arsenal hérité de la guerre froide (1947-1991), peuvent proposer des matériels à prix réduits dans des délais courts. L’armée de l’Air a regroupé toutes ses aires de stockage sur la base de Davis Mothan en Arizona, caractérisé par la sècheresse de l’air et une faible pluviosité (photo). D’une superficie de 1.000 ha, la base accueille plus de 3.000 aéronefs de l’État fédéral, du chasseur-bombardier F-4 Phantom II mis en service en 1960 aux drone MQ-1 Prédator datant de 1995. Les bombardiers stratégiques B-52 y sont conservés pour un éventuel usage ultérieur ou pour récupérer des pièces. Les missiles balistiques y sont retraités et partiellement reconvertis pour un usage civil, notamment les propulseurs pour les fusées de la NASA. En outre, des cellules d’avions sont réparties en quatre catégories : 4.000 destinées à la vente en entier ou en pièces détachées ; 3.000 conservées avec précaution et mobilisables sous très court préavis ; 2.000 destinées à la « cannibalisation » interne (récupération de pièces en bon état qui ne sont plus fabriquées). Plus de 300 F-16 Fighting Falcon de différentes versions, mis en service à partir de 1978, peuvent être remis à niveau si nécessaire. Ainsi, certains ont effectué des missions de reconnaissance et d’appui feu pendant les guerres d’Irak (2003-2011) et d’Afghanistan (2001-2021). Déjà, des cellules ont été transformées en drones pour servir de cibles d’entraînement au tir. L’armée de Terre dispose d’entrepôts en Californie et en Alabama pour le stockage, la maintenance et la remise en état des matériels, du véhicule de transport de troupes M113 (1960) au char M1 Abrams (1980) en attente de rénovation. Des Abrams retirés du service du Corps des Marines ont ainsi été revendus à la Pologne au prix de leur remise à niveau. La moitié des 350 M113 fournis à l ‘Ukraine par les pays occidentaux provient des stocks américains. Enfin, le triptyque « stockage-maintenance, remise en état et modernisation » repousse le besoin de nouveaux chars lourds et de véhicules de combat d’infanterie. La Marine regroupe ses navires hors service (moins de 50 unités en 2010) sur les sites de Bremerton, Philadelphie et Pearl Harbor, en vue de leur cannibalisation au profit de navires en service ou transférés via le programme « Foreign Military Sales » (FMS). Ce dernier permet de céder ou vendre à un prix avantageux du matériel militaire et des services d’entraînement à des pays partenaires. En outre, le ministère fédéral des Transports préserve des coques à rendre opérationnelles entre 20 et 120 jours. Cette flotte de réserve, forte de 2.200 navires en 1950, a fourni les transports nécessaires durant les guerres de Corée (1950-1953) et du Viêt Nam (1955-1975), puis a été réduite à moins de 100 en 2021. A la fin des années 2010, la Marine a conclu que seulement certaines unités logistiques et quelques bâtiments d’assaut amphibies (conservés à Pearl Harbor) pourraient fournir une force d’appoint rapide en cas d’urgence. L’entretien et certaines réparations seront effectués plus près de la zone de conflit et les futurs navires de combat devront durer 40 ans (30 en 2022).

La Russie. De l’URSS, l’armée de Terre a hérité d’un énorme parc de véhicules blindés, voués à une vie courte en combat de haute intensité selon la conception soviétique. La cannibalisation et le remplacement complet l’ont emporté sur le maintien en condition opérationnelle par une réparation poussée, qui nécessite de rapprocher des ateliers et des services de soutien logistiques près du front. Cela permet à la Russie de maintenir son effort de guerre contre l’Ukraine malgré les pertes subies. Outre l’amélioration des conditions de stockage des munitions, une grande quantité d’obus a été rénovée au rythme d’un pour deux neufs produits. Plutôt que de mettre au rebut les navires anciens, la Marine préfère les maintenir en service malgré leur valeur opérationnelle réduite. En outre, la modernisation des coques de près de 30 ans permet de compenser la lenteur de la production navale neuve. Toutefois, la corruption concernant les contrats militaires met en doute la diligence de ces modernisations. L’armée de l’Air n’a pas constitué de stocks d’avions de combat, en raison des flux d’appareils neufs et de l’absence de pertes. Mais elle a rénové 95 avions de transport et modernisé les hélicoptères d’attaque Mi-24 (canon de 30 mm). Les stocks de missiles balistiques et de croisière, sous-estimés en Occident, démontrent leur puissance de feu en Ukraine. En revanche, l’armée de l’Air russe manque de pilotes jeunes pour les avions les plus modernes, qui nécessitent une sélection rigoureuse.

La Chine. Pékin critique régulièrement le programme FMS américain. Mais en fait, les matériels chinois anciens souffrent d’une réputation de fiabilité limitée. La Chine a retiré du service six sous-marins conventionnels 035, dont deux ont été modernisés et vendus au Bangladesh et un autre au Myanmar. Toutefois, les composants destinés à leur maintien en condition opérationnelle ne se trouvent qu’en Chine. Le char type 69, version modernisée du T-62 soviétique, est progressivement remplacé par le ZTZ-99 développé au début des années 2000. Mais les informations sur le stockage de matériels anciens restent difficiles d’accès.

Loïc Salmon

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