Riche en métaux stratégiques, atouts majeurs pour son développement, l’Afrique doit faire face aux risques de conflits pour les ressources et de migrations massives liées au dérèglement climatique.
Ce thème a été traité lors d’un colloque organisé, le 3 octobre 2024 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Y sont notamment intervenus : Émilie Normand, spécialiste de la géopolitique de l’énergie et des minerais critiques ; Alain Antil, chercheur et directeur du Centre Afrique subsaharienne à l’Institut français des relations internationales ; Mathieu Mérino, chercheur Afrique de l’Ouest/bande saharo-sahélienne à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire.
Ruée vers les métaux critiques. D’après l’Agence internationale de l’énergie, la demande mondiale de cobalt devrait être multipliée par 2 et celle de lithium par 7,3 en 2050, surtout pour les technologies vertes, indique Émilie Normand. De son côté, le ministère américain de l’Énergie a publié une étude sur les risques d’approvisionnement des métaux dits critiques pour la période 2020-2025. Ils sont élevés pour le dysprosium, le cobalt, le gallium, le graphite, l’iridium et le terbium, moyens pour le lithium, le nickel, le magnésium, le platine et l’uranium, mais faibles pour le cuivre, le titanium, le silicium, le manganèse, le phosphore et l’aluminium. Selon diverses sources, l’Afrique produit 82,6 % du platine en 2022, 73 % du cobalt, 69,2 % du tantale, 65 % du manganèse, 56,3 % du chrome, 26,5 % des bauxite/aluminium, 16,4 % du graphite et 15,7 % du cuivre, mais seulement 3,4 % du nickel, 1 % du lithium et 0,9 % des terres rares. La République démocratique du Congo dispose d’importantes réserves de cobalt et l’Afrique du Sud de platine, mais attirent moins d‘investissements pour la prospection, lesquels se diversifient avec l’ouverture de mines dans une trentaine d’autres pays africains avec une prédominance de l’or, du cuivre et du diamant et une montée en puissance de l’intérêt pour les « nouveaux » minerais comme le lithium, les terres rares, le nickel et le graphite. Quoique sans expérience minière, certains pays émergent, notamment le Mali, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Sur la période 2009-2019, le secteur minier, artisanal à 80 %, représente 8,3 % du produit intérieur brut de l’Afrique et 51,2 % de ses exportations. Il ne génère que 8,1 % de ses revenus en raison des insuffisances de la politique fiscale, de l’administration étatique mal adaptée à la réalité du terrain pour la mise en œuvre de régimes fiscaux. De leur côté, les entreprises multinationales recourent à des experts de l’optimisation fiscale. Enfin, l’Afrique reçoit 31,7 % des investissements directs étrangers, surtout des États-Unis, de la Grande-Bretagne, du Canada, de l’Australie…et de la Chine ! Par ailleurs, souligne Émilie Normand, l’activité minière s’accompagne d’impacts sur le tissu économique et social. Les usines emploient surtout des personnels formés, binationaux ou venant d’autres régions, et mieux rémunérés que les riverains, entraînant inflation et cherté du marché immobilier urbain. Au déplacement des populations, s’ajoutent les pollutions diverses, le recul des activités traditionnelles, l’émergence du chômage et la montée des inégalités. La filière minière se décompose en extraction du minerai, concentration du minerai, transformation en produit de base, conversion en produit final et fabrication du produit fini. Actuellement concentrés sur l’amont de la chaîne, les pays africains veulent désormais développer la transformation en aval. Ils doivent alors pallier les insuffisances en énergie et infrastructures de transports et remédier à l’absence de marchés locaux.
Urbanisation et éducation. La croissance démographique a rapidement transformé le continent africain à tous les niveaux, souligne Alain Antil. Sa population aura doublé entre 2020 et 2050 et aura été multipliée par dix depuis 1950. En 2055, l’urbanisation africaine sera supérieure à celles de l’Europe et de la Russie réunies en 2024. A titre indicatif, la Mauritanie abrite 4,5 millions de personnes sur 1 Mkm2 mais sa capitale Nouakchott, née à la fin de la colonisation française, compte plus d’habitants en 2024 que tout le pays lors de son indépendance en 1960. Cette urbanisation générale va transformer les économies de divers pays, leurs domaines foncier et immobilier et le capitalisme africain. L’Afrique compte 54 pays et 8 communautés économiques régionales reconnues par l’Union africaine : Union du Maghreb arabe ; Marché commun de l’Afrique orientale et australe ; Communauté des États sahélo-sahariens ; Communauté d’Afrique de l’Est ; Communauté économique des États de l’Afrique centrale ; Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ; Autorité inter-gouvernementale sur le développement ; Communauté de développement de l’Afrique australe. En outre, un contraste énorme existe entre la République centrafricaine, État failli, et l’Afrique du Sud, État beaucoup plus développé que la moyenne régionale. Il en est de même entre les espaces urbains et ruraux pour l’éducation. Les familles citadines ayant moins d’enfants, les municipalités investissent davantage dans ce domaine, avec des grandes différences entre la capitale et les autres villes. Dans les années 1980, de nombreux pays d’Afrique ont développé l’enseignement scolaire, secondaire et supérieur. Ils disposent aujourd’hui de plus en plus de diplômés (ingénieurs et docteurs) des meilleures universités dans le monde et donc aux mêmes niveaux que leurs homologues européens, américains et asiatiques. Toutefois, la scolarité de masse a été réalisée au détriment de la qualité de l’enseignement, faute de professeurs en nombre suffisant. Même si les entreprises recrutent des personnels très diplômés pour des postes de haut niveau, souvent des binationaux ou venus de pays voisins, le manque de techniciens, par exemple des électriciens, se manifeste. Enfin, l’Afrique subsaharienne « décroche » par rapport à l’Asie du Sud et l’Amérique latine, zones également en développement.
Sécurité de l’environnement. La vulnérabilité de l’Afrique au changement climatique résulte de la complexité de son système climatique avec des conséquences socio-économiques, explique Mathieu Mérino. Cela menace la croissance économique et le développement durable, empêche la réduction de la pauvreté et provoque de l’insécurité. Parmi les dix pays les plus pauvres du monde, neuf se trouvent en Afrique, dont le produit intérieur brut par habitant est en moyenne près de 10 fois inférieur à celui de l’Occident et dont 40 % de la population vit en dessous du seuil international de pauvreté. Parmi les douze conflits en cours dans le monde, quatre se déroulent dans des zones de tensions en Afrique. L’État post-colonial africain soufre en général de la faiblesse de ses institutions et de son contrôle territorial. Les politiques publiques de prévention et de gestion du changement climatique s’avèrent inefficaces, notamment au Sahel, en Afrique de l’Est et dans la Corne de l’Afrique. S’y ajoute un degré élevé d’incertitude climatique. En 2050, le réchauffement climatique y sera 1,5 fois plus rapide que dans le reste du monde, rendra l’accès à l’eau plus difficile et entraînera davantage de sècheresses, d’inondations, de cyclones, de tempêtes de sable et de feux de forêts. Près d’un tiers de la superficie en Afrique est menacée de désertification et 10 % des terres sont déjà considérées comme dégradées. Entre 2010 et 2015, 14 millions d’hectares de forêts ont disparu sur le continent, notamment en République démocratique du Congo, en Tanzanie et au Zimbabwe. En outre, l’Afrique abrite le quart des 730 millions de personnes souffrant de la faim dans le monde. L’équilibre entre agriculture, sécurité alimentaire et protection de l’environnement reste inatteignable. Les pays africains hésitent à s’engager sur la dernière, estimant qu’elle occulte les réponses à apporter au développement.
Loïc Salmon
Afrique : mutations et enjeux stratégiques