Révolution des affaires militaires, guerre de l’information et cyberstratégie résultent des travaux de « Think Tanks » (TT), organisations d’experts dont les idées suscitent un large consentement dans l’opinion par le relais des médias.
La révolution dans les affaires militaires inclut le recours à la guerre psychologique, la maîtrise du champ de bataille par l’imagerie et la prise de décision en réseau. La guerre de l’information porte sur l’acquisition d’information (données et renseignements) stratégique sur l’adversaire, la dégradation de ses systèmes d’acquisition d’information et de communication et enfin la manipulation et l’influence de son opinion publique. En outre, aujourd’hui, la puissance d’un État est intimement associée à son influence. François-Bernard Huyghe analyse ces « laboratoires d’idées » que sont les TT, anglo-saxons à l’origine. Pour fonctionner, un TT exige : capacité de financement et d’organisation ; recrutement de qualité ; visibilité médiatique conséquente ; puissance éditoriale notable ; réseaux dans l’administration publique, les entreprises, la classe politique et le monde universitaire. Dès la fin de la première guerre mondiale, les négociateurs britanniques et américains du Traité de Versailles ressentent le besoin d’un centre indépendant pour analyser les affaires internationales et conseiller les gouvernements, débordés par la gestion d’affaires quotidiennes de plus en plus complexes. L’Institute of International Affairs voit ainsi le jour en1920 à Londres. Il se fait connaître par la « règle de Chatham House » du nom… de son local de réunion ! Celle-ci stipule : « Quand une réunion, ou l’une de ses parties, se déroule sous la règle de Chatham House, les participants sont libres d’utiliser les informations collectées à cette occasion, mais ils ne doivent révéler ni l’identité, ni l’affiliation des personnes à l’origine de ces informations, de même qu’ils ne doivent pas révéler l’identité des autres participants ». Cette règle, largement répandue, permet à de hauts responsables de communiquer des messages entre personnes de confiance, sans impliquer leur institution. Les TT américains prennent de l’ampleur après la seconde guerre mondiale. Ainsi la « Research and Development », entrée dans le langage courant sous le nom de « Rand », joue un rôle majeur aux États-Unis depuis plus de 50 ans. Elle a édité plus de 10.000 livres et publications et emploie actuellement plus de 15.000 chercheurs dans une douzaine de domaines de compétences. Elle a son siège à Santa Monica (Californie) et dispose de son centre de formation (Rand Graduate School) et de bureaux à Washington (en face du Pentagone) et aux Pays-Bas (Rand Europe). Selon François-Bernard Huyghe, les décideurs politiques américains et européens attendent des TT : des informations indépendantes que ne fournissent pas toujours les fonctionnaires ; une vision alternative ; la synthèse de données surabondantes ; des solutions bien accueillies par les médias ; le label d’une expertise ; la capacité de prendre du recul et d’anticiper. Mais en France même, les TT suscitent un rejet (gadget pour admirateurs béats de l’Amérique) ou un effet de mode, pour tout groupe de réflexion cherchant à se parer d’un label prestigieux et souvent inspirateur et soutien des positions d’une personnalité politique. Enfin, alors que les organisations non gouvernementales cherchent à réaliser un idéal et que les « lobbies » souhaitent obtenir des décisions législatives ou réglementaires, les TT proposent… des solutions !
Loïc Salmon
« Think Tanks » : de l’expertise des questions internationales aux réseaux d’influence
Cyberespace : nouveau terrain d’affrontement international
« Think Tanks » par François-Bernard Huyghe. Éditions Vuibert.