Terrorisme : menace transnationale et moyens financiers considérables

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Les organisations terroristes parviennent à s’autofinancer pour leur fonctionnement (moyens militaires, propagande et rémunérations) et leurs attaques ponctuelles à bas coût.

Cet aspect a été abordé au cours du Forum parlementaire sur la sécurité et le renseignement organisé, le 20 juin 2019 à Paris, par l’Assemblée nationale et le Sénat. Y sont notamment intervenus : Anne-Clémentine Larroque, analyste géopolitique au ministère de la Justice ; Arnaud Baleste, responsable de la division lutte contre le financement du terrorisme au sein de Tracfin (service de renseignement du ministère de l’Action et des Comptes publics) ; Jérôme Beaumont, secrétaire exécutif du Groupe Egmont ; Emmanuel Jacque, expert en solutions de renseignement et de lutte contre la fraude ; Sonia Krimi, députée de la Manche ; Valérie Boyer, députée des Bouches-du-Rhône. Ces deux dernières ont publié, en avril 2019, un rapport d’information sur la lutte contre le financement du terrorisme. Elles préconisent six mesures : œuvrer en faveur d’une réponse internationale renforcée et toujours plus efficace ; renforcer l’assistance internationale aux Etats les plus vulnérables ; renforcer l’harmonisation européenne, en droit et plus encore dans les faits ; au plan national, œuvrer pour une pleine application des outils existants ; assurer une pleine mobilisation de tous les acteurs concernés et une coopération optimale entre les acteurs ; renforcer la vigilance sur certains secteurs (cagnottes en ligne et associations à but non lucratif) et outils (« crypto-monnaies » reposant sur la technologie « blockchain »  de stockage et de transmission d’informations sécurisées).

Evolution structurelle. La possession d’un territoire permettait à l’Etat islamique (EI) et Al Qaïda d’établir des liens entre leur idéologie et leurs sympathisants, afin de constituer un réseau et créer le discours qui suscitera une réponse de ces derniers, explique Anne-Clémentine Larroque. Le financement illicite par les trafics d’êtres humains, de drogue ou de cigarettes, quoique interdit par le droit islamique, a été justifié par les cheiks pour combattre les non-musulmans en Syrie, Irak et Afghanistan, comme du temps du califat abbaside (750-1258) mais avec les moyens modernes. En 2015, l’EI a prélevé du pétrole sur des sites libyens et l’a vendu pendant un an et demi, jusqu’à l’arrivée des troupes de la coalition. Pour son financement, il recourt aussi à des femmes, ainsi devenues des combattantes à l’égal des hommes. L’EI agit en Europe, Tunisie, Libye et au Sénégal, tandis qu’Al Qaïda perdure en Afghanistan et au Pakistan. D’autres organisations se développent en Afrique centrale et de l’Ouest, en Indonésie, aux Philippines, au Bangladesh et au Sri Lanka.

Autofinancement prépondérant. Avant sa défaite militaire, l’EI a préparé sa retraite au niveau logistique pour continuer à financer ses actions, notamment par le blanchiment d’argent, explique Arnaud Baleste. Il a envoyé de l’argent dans les pays aux législations plus permissives ou sans réglementation, afin de le faire fructifier et le rendre légal, donc invisible. Des transferts « d’aumônes islamiques » ont été ainsi réalisés par des mandats, inférieurs à 300 €, ou téléphonie mobile vers l’Afrique centrale et de l’Ouest. L’argent vient de revenus personnels, d’héritages, de fraudes aux crédits ou prestations sociales et de braquages. Entre 2014 et 2018, 1.000 personnes ont envoyé, de France, 1,5 M€ à l’EI, contre 5,6 M€ en provenance des pays du golfe Arabo-Persique. Toutefois, les banques disposent aujourd’hui d’outils performants, capables de détecter les « signaux faibles » et d’interpréter les menaces. Elles envoient 70 % de leurs informations à Tracfin, qui les transmet aux autres services de renseignement français et en reçoit les identités des suspects. D’autres informations proviennent des douanes, des attachés de sécurité intérieure dans les ambassades françaises et du GAFI (voir encadré). Enfin, Tracfin travaille avec la Banque de France, chargée de la réglementation des cagnottes en ligne.

Echanges de bonnes pratiques. Le Groupe Egmont mobilise ses 158 membres dans le monde au service des cellules de renseignement financier, pour lutter contre le blanchiment d’argent par la grande criminalité et le financement des réseaux terroristes, dont les intérêts coïncident, indique Jérôme Beaumont. Sous l’impulsion de Tracfin, il essaie d’établir, depuis 2015, le profil financier des personnes parties rejoindre l’EI et identifier leurs réseaux de soutien logistique avant, pendant puis après leur retour. Ensuite, il procède à une analyse financière, à partir d’informations sur un attentat ou une simple présomption d’attentat avec l’aide du GAFI, qui a l’obligation d’échanges à l’international (voir encadré). Comme tout acte terroriste, même à bas coût, nécessite un réseau, il s’agit d’en déterminer le lien financier avec la personne à risque. La coopération avec les banques privées permet le traçage des avoirs financiers et leur gel, notamment des associations caritatives dans les pays n’exigeant pas de déclarations comptables.

Anticiper pour réagir. Crise, propagande et menace cyber peuvent se contrer par une méthodologie, des outils dont l’intelligence artificielle (IA), de l’expertise et une stratégie, explique Emmanuel Jacque. Une radicalisation, qui implique une rupture comportementale dans les habitudes et contacts avec les proches, sera détectée par des analyses sémantiques et relationnelles automatisées à partir des données connues, à traiter selon un cycle comparable à celui du renseignement militaire (photo). Il s’agit de découvrir les liens entre manipulateurs et personnes manipulées, par exemple, quand un document a été diffusé plus de 300 fois par 10 personnes sur Twitter, Facebook ou autres. La Grande-Bretagne a ainsi constitué une liste de 20.000 personnes à surveiller. L’IA modélise une source, fusionne les informations et procède à des extractions d’identité permettant de reconstituer un réseau. L’anticipation empêche une surprise stratégique, comme une cyberattaque massive dont les différents acteurs doivent assembler leurs moyens offensifs. Appliquée au contre-terrorisme, elle détermine la cause des actes des groupes « voyous », propose des priorités sécuritaires (fiches « S »), détecte suffisamment tôt les individus radicalisés et cible les nœuds critiques des réseaux avant le passage à l’acte terroriste.

Loïc Salmon

Les 38 pays membres du Groupe d’action financière (GAFI) et 9 organismes régionaux similaires ont constitué un réseau mondial de plus de 190 juridictions. Il a élaboré une série de recommandations reconnues comme étant la norme internationale en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive. Fondements d’une réponse coordonnée à ces menaces pour l’intégrité du système financier, ces recommandations contribuent à l’harmonisation des règles au niveau mondial. Publiées en 1990 et révisées en 1996, 2001, 2003 et 2012, elles ont vocation à s’appliquer partout, afin de susciter les réformes législatives et réglementaires nécessaires.

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