Terrorisme djihadiste : prédominance de la dimension psychoculturelle

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Violence aveugle, théâtralisation et médiatisation caractérisent le terrorisme djihadiste, dont la propagande exerce un impact psychologique très fort sur les personnalités fragiles.

Telle est l’opinion d’Asma Guénifi, psychologue clinicienne et auteur d’une étude sur les profils psychologiques des islamistes radicaux. Elle s’est exprimée lors d’une conférence-débat organisée, le 2 avril 2015 à Paris, par l’Association des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Émotions et héritage. Aujourd’hui, l’islamiste terroriste s’est forgé une identité : « Al Qaïda » et « Daech » (« État islamique »). Selon Asma Guénifi, la musique et les mises en scène de leurs sites internet, comme l’écroulement des Twin Towers de New York le 11 septembre 2001, suscitent l’angoisse. Les images télévisuelles marquent plus que l’écrit. L’inconscient enregistre tout ce qu’il y a autour et anesthésie l’intellect. Frapper un pays puissant l’affaiblit, fragilise les autres et provoque la panique, car l’auteur des faits reste inconnu jusqu’à sa revendication de l’attentat. Dans le monde musulman, l’usage de la terreur à des fins politiques remonte au « Vieux de la Montagne », Hassan ibn al-Sabbah (Iran, XIème siècle), fondateur de la secte des « Assassins », soldats drogués au haschich pour remplir leur mission. En fait, Hassan ibn al-Sabbah appelait ses adeptes « Assassiyoun »,  c’est-à-dire les fidèles au « fondement de la foi ». Sa doctrine prône la pureté de l’âme et l’inutilité du corps. Après la mort, les âmes des « purs » vont au paradis, magnifique jardin secret où 70 « houris » (jeunes femmes, belles et vierges) leur servent des mets délicieux. Les méthodes du « Vieux de la Montagne » seront reprises par Hassan el-Banna, qui fonde l’association des « Frères Musulmans » (Égypte, 1928). Cette organisation, qui manifeste son opposition, parfois violente, aux États arabes laïcs et à Israël, est officiellement considérée comme terroriste par le gouvernement égyptien, la Russie et l’Arabie Saoudite. Elle a rapidement diffusé ses idées dans les pays à majorité musulmane du Moyen-Orient, au Soudan et en Afrique du Nord. Le mouvement politico-militaire « Hamas », créé en 1987 dans la bande de Gaza, en est issu. Il prône la destruction de l’État d’Israël et l’instauration d’un État islamique palestinien sur son territoire, la Cisjordanie et Gaza.

Typologie psychologique. D’après Asma Guénifi, les salafistes ignorent toute logique, sauf celle de remettre en cause toutes les autres. Ses recherches l’ont conduite à l’établissement de divers profils psychologiques. Le salafiste « idéologique », choisi par son chef hiérarchique, doit repérer et endoctriner une personne à qui il inspire confiance. Il va l’isoler de son cercle familial et réduire son champ d’activité intellectuelle. Fin psychologue, il parvient à détecter ses faiblesses et traumatismes psychiques éventuels. Le salafiste « délinquant » a d’abord été incarcéré pour délit de droit commun. Il sort de prison, où il a rencontré un autre salafiste, qui lui a parlé de la fraternité des membres de la communauté musulmane où tous sont égaux, quel que soit le statut social ou la couleur de la peau. Cela le renvoie à sa famille perdue, avec le sentiment de vouloir se racheter. Le salafiste « braqueur » va continuer à voler de l’argent pour le donner à l’organisation. Il poursuit donc son activité antérieure, mais avec un sentiment de rédemption. Le salafiste « suicidaire » souffre de psychose : en rupture totale avec la société, il est prêt à passer à l’acte. Pour lui, la vie terrestre n’ayant plus de sens, il croit trouver ainsi la voie du salut. Après un parcours chaotique de son vivant, le « martyr » croit acquérir, par l’assassinat des « ennemis de la foi », la reconnaissance sociale qui lui permettra de rencontrer les 70 « houris » au paradis. Selon Asma Guénifi, quatre leviers peuvent faire basculer une personne psychologiquement fragile dans le terrorisme islamiste : cellule familiale décomposée ; absence d’autorité parentale ; conscience fragmentaire par manque d’esprit critique ; ignorance totale de la religion. Le salafiste « djihadiste » est un électron libre, dont le passage à l’acte reste imprévisible, souligne Asma Guénifi.

Symptômes révélateurs. Selon elle, le salafiste « djihadiste » souffre d’une névrose obsessionnelle de la « pureté ». Il pense que la répétition du rituel lui permet de vivre comme le prophète Mahomet, dont le quotidien demeure inconnu. Sa paranoïa lui fait considérer « l’autre » comme un ennemi, avec qui il est impossible de discuter. Privé de repères, il souhaite la mort. Son attitude envers la femme reflète sa frustration sexuelle. Selon l’idéologie salafiste, la femme doit cacher entièrement son corps et son visage découvert correspond à son sexe. Une femme qui travaille avec un homme lui renvoie l’image de sa mère et devient intouchable. Le destin de la femme commence au sein de sa famille, se poursuit dans le mariage et la procréation et se termine au cimetière. Le « Vieux de la Montagne » exigeait de ses adeptes l’oubli des opinions des autres, inhibant ainsi l’évolution de leur conscience. Les salafistes « djihadistes » n’ont guère de bagage intellectuel, mais séduisent certains jeunes. Or, précise Asma Guénifi, la vie psychique de chaque individu importe le plus, car il est très difficile de se reconstruire une nouvelle identité et de centres d’intérêt après un endoctrinement. Celui-ci commence à se manifester quand un(e) jeune collégien (ne) ou lycéen (ne) parle trop de religion et change de comportement. Selon Asma Guénifi, il faut alors engager la discussion et proposer d’autres livres que la propagande salafiste. L’éducation constitue la meilleure solution et la laïcité la seule réponse à apporter à la société pour protéger la jeunesse, souligne la psychologue clinicienne. Son frère a été assassiné en 1994 par le Front islamique du salut, formation politique militant pour la création d’un État islamique en Algérie.

Loïc Salmon

 

Le salafisme, mouvement  fondamentaliste sunnite, revendique un retour à l’islam des « salafs » (prédécesseurs), à savoir le prophète Mahomet et ses compagnons, notamment les quatre premiers califes et les deux générations suivantes. Le salafisme s’inspire des enseignements de trois théologiens : Ahmad Ibn Hanbal (mort en 855), qui condamne les innovations théologiques ; Ibn Taymiyya (mort en 1328), qui prêche un retour à la foi des origines lors des invasions mongoles au Moyen-Orient ; Mohammed ben Abdelwahab (XVIIIème siècle), qui s’allie avec Mohammed ben Saoud, fondateur de la dynastie qui dirige l’Arabie saoudite. La prédication salafiste est centrée sur la piété et la moralité. Toutefois, le salafisme « djihadiste », né en Afghanistan lors de la guerre contre l’occupation soviétique dans les années 1980, refuse de limiter l’action religieuse à la prédication et prône le « djihad » (guerre sainte) pour libérer les « terres d’islam » de toute occupation étrangère. En vue d’imposer un État islamique par la force, ses adeptes veulent renverser les régimes musulmans, jugés corrompus et impies, et entreprennent des actions violentes contre les États occidentaux qui les soutiennent.

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