La Justice intervient pour les cas de radicalisation violente, en vue d’un attentat terroriste ou d’attaque par des groupes djihadistes armés. Des magistrats spécialisés travaillent en toute confiance avec la Direction générale de la sécurité intérieure.
Cet aspect a été abordé par le procureur de la République, François Molins, lors d’un « Lundi de l’IHedn », conférence-débat organisée, le 12 février 2018 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale.
Menaces et enjeux majeurs. Certains candidats au djihad, ne trouvant pas leur place dans la société française, sont partis en Syrie et en Irak rejoindre l’Etat islamique (Daech) pour un motif identitaire. Un tournant s’est produit depuis que ce dernier a perdu 95 % de son territoire en 2017. La localisation des djihadistes devient alors difficile, car certains restent sur place ou se rendent dans les Territoires palestiniens, en Indonésie, en Afghanistan, au Maghreb (les binationaux) ou en Afrique de l’Ouest, explique le procureur. Sur le territoire national, des individus désireux de partir en Syrie ou en Irak ne le peuvent plus en raison des mesures de surveillance. En outre, en 2017, Daech a lancé un appel les incitant à rester en France pour commettre des actes isolés contre des cibles opportunistes (militaires ou policiers). Le milieu pénitentiaire, où 504 islamistes étaient détenus au 12 février 2018, sert d’incubateur aux 1.200 « radicalisés », incarcérés pour délits de droit commun et dont il convient de suivre l’évolution du comportement. En Afrique de l’Ouest et dans la bande sahélo-saharienne, Daech a appelé ses sympathisants à perpétrer des attentats contre la France. En conséquence, le partage de l’information devient primordial. Depuis janvier 2015, les services de renseignement (SR) peuvent intervenir dans un cadre légal. La justice leur donne un code de procédure pour mieux lutter contre les apprentis terroristes. Avec la disparition des tribunaux militaires en 2011, le parquet de Paris traite les cas susceptibles de « judiciarisation », comme les conditions de neutralisation d’un individu capturé au combat. Dans l’ensemble l’arsenal législatif semble efficace, estime le procureur. L’accès au dossier des récidivistes permet de suivre l’évolution de leur dangerosité. Jusqu’à 2020, les sorties de prison seront, pour certains, suivies d’une période de « probation » (peine en milieu ouvert) ou définitives pour ceux qui auront purgé leurs peines. Les mineurs constituent des bombes à retardement, car leur enfance a été marquée par les atrocités de Daech.
Actions judiciaires. La politique pénale a été adaptée en 2012 en raison de la menace décelée par les SR, quand la finalité d’un voyage au Levant ne relève ni de l’action humanitaire ni du combat contre le régime syrien. Mise en cohérence avec l’évolution de la menace, cette politique a conduit à l’ouverture de 490 dossiers de terrorisme sur 1.563 individus judiciarisés, 430 mises en examen et 850 mandats d’arrêt lancés. Des combattants français sur zone, identifiés lors de leur séjour et repérés par les SR, sont interpellés à leur retour, placés en garde à vue, déférés devant un juge d’instruction et mis en détention provisoire. Après l’attentat contre la publication satirique Charlie Hebdo en janvier 2015, Daech a lancé un appel permanent au meurtre de tous les Français. Ceux qui ont rejoint une organisation terroriste veulent agir. L’action judiciaire s’étend à toute la filière. Le premier volet porte sur la démonstration à une participation opérationnelle (combattant sur zone) ou de police islamique en Irak (patrouille frontalière). Il a été validé par la Cour de cassation, qui a estimé légitime de retenir la qualification de « criminelle ». Le deuxième volet concerne le soutien logistique, surtout en France, consistant à assurer le transport des volontaires sur le lieu du combat. En outre, Tracfin, SR du ministère de l’Economie, identifie ceux qui se sont rendus sur zone pour poursuivre le financement de terroristes, alors que leur famille ignorait leur départ. Le troisième volet concerne les velléitaires affichant leur volonté d’intégrer une fratrie et les isolés. Il s’agit alors de démontrer leur perspective d’intégration et leur adhésion à un islamisme radical. Par ailleurs, la lutte contre le terrorisme concerne le parquet de Paris et tous les parquets de France, qui disposent d’un « référent terrorisme ». L’apologie du terrorisme et la détention de téléphones portables en prison sont considérées comme des infractions. Mais, indique le procureur, la qualification de « terroriste » ne doit pas intervenir trop tôt, au risque de faire long feu, ni trop tard, à cause des pressions politique et médiatique. En outre, elle ne s’applique pas aux cas de psychiatrie lourde.
Femmes et enfants du djihad. Au début, simples génitrices pour le califat de l’Etat islamique, certaines femmes de nationalité française sont devenues les instigatrices au départ de leur époux. D’autres ont participé au djihad en toute conscience au point d’être prêtes à mourir. Aujourd’hui, elles se trouvent dans des camps en Syrie, où peut se rendre le Haut-Commissariat des nations unies pour les réfugiés. De leur côté, les Kurdes entendent juger celles qu’ils ont capturées en Irak. Comme les hommes, les femmes relâchées sur zone sont arrêtées à leur retour en France et interrogées. Au 12 février 2018, 120 femmes étaient mises en examen et 40 placées en détention provisoire pour association de malfaiteurs terroristes ou pour motif « criminel ». Des dossiers judiciaires ont été établis pour les couples. Par ailleurs, Daech a appelé, à trois reprises en 2017, les femmes et les enfants à participer au djihad armé. Les mineurs, partis avec leurs parents sur zone ou nés sur place, ont été confrontés à la violence et à l’endoctrinement. De jeunes garçons ont été utilisés dans l’exécution d’otages à des fins de propagande. Seront judiciarisés ceux qui ont atteint la barre du discernement, soit 13 ans, âge minimum d’un mandat d’arrêt. Les autres sont placés en garde à vue pour le recueil de témoignages. Depuis mars 2017, une circulaire fixe la prise en charge des mineurs sous la seule juridiction du parquet de Brétigny. Suivant leur évolution médicale et psychologique, ils sont placés dans une famille d’accueil ou restitués à la leur.
Loïc Salmon
Terrorisme : évolutions stratégiques et sociologiques
Terrorisme : Daech, propagande habile et maîtrise technique
Début 2018, 14 magistrats spécialisés du parquet de Paris jugent les auteurs présumés d’actes terroristes. Les peines varient de 10 ans d’emprisonnement, pour ceux convaincus d’association de malfaiteurs terroristes, à la réclusion à perpétuité pour les dirigeants de Daech ou d’Al Qaïda. La préparation d’un acte terroriste implique la volonté d’agir en commun et repose sur des faits matériels : achats de matériels et échanges d’informations sur le califat, via les réseaux sociaux. La participation à un attentat inclut le recrutement, l’endoctrinement l’hébergement, le soutien logistique et le fait d’être parti en Syrie ou l’Irak pour rejoindre une organisation labellisée « terroriste ». Avant le passage à l’acte, l’intention doit être prouvée. Le terrorisme répond à une définition juridique en France mais politique dans d’autres pays. En raison des connexions entre les attentats, le Centre européen chargé de la lutte contre le terrorisme (créé en 2016) coopère avec les services dédiés américains, belges, allemands, italiens, néerlandais et français, facteur majeur de réussite.