Service de santé : médecine de guerre, efficacité maximale

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Dans le face à face des blessés, qui souffrent, et du personnel, qui soigne et console, il s’agit d’équilibrer évacuation et prise en charge thérapeutique.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 26 septembre 2019 à Paris, par l’ordre de la Libération. Y sont intervenus : le médecin général inspecteur (2S) Raymond Wey ; le médecin chef Marc Puidupin ; le médecin général (2S) Chantal Roche.

Un siècle d’évolution. Au début de la première guerre mondiale, les erreurs tactiques entraînent des hécatombes de morts et de blessés qui font prendre conscience de la nécessité d’un soutien médical opérationnel, rappelle le médecin général Wey. En 1917, le député et médecin major de réserve Chassaing imagine un avion de transport sanitaire pour deux blessés couchés. Une vingtaine d’avons sanitaires sont envoyés au Maroc en 1918 à la demande du général Lyautey, résident général. Ils s’ajoutent aux évacuations par route et chemin de fer vers l’hôpital Marie Feuillet à Rabat. Quelques 7.000 évacuations sanitaires sont effectuées au Maroc et au Levant entre 1920 et 1938. Dans les années 1930, les techniques d’anesthésie au penthotal, de réanimation et de conservation du sang pendant 10 jours sont mises au point. La lyophilisation du plasma sanguin est réalisée en 1940. Les services de santé des différentes armées totalisent 20.000 médecins, 4.000 pharmaciens et 100.000 infirmiers pendant la seconde guerre mondiale. En 1944, les Etats-Unis fournissent des trousses de soins contenant des sachets de morphine et de sulfamides antibactériens. Des stocks de sang sont envoyés au front. Lors de la guerre d’Indochine (1945-1954), les personnels médicaux partagent les risques et l’isolement des soldats. Grâce aux évacuations aériennes (avions et hélicoptères), les antennes chirurgicales mobiles permettent de stabiliser les fonctions vitales des blessés. Pendant la guerre froide, les services de santé s’adaptent à un conflit en Centre-Europe, selon le schéma OTAN pour le sauvetage élémentaire de combat, le triage et l’évacuation sanitaire. Les ressources techniques suffisent pour traiter les blessés et les polytraumatisés. Après la chute du mur de Berlin (1989), les opérations extérieures (Opex) nécessitent une médicalisation la plus précoce possible au moyen de plates-formes adaptées. En 1996, celle-ci devient interarmées et doit égaler en qualité les hôpitaux publics. Elle inclut la réinsertion des blessés dans la société.

La « mort évitable ». Les guerres évoluent vers des conflits hybrides incluant guerre conventionnelle, guerre irrégulière, actions terroristes et criminelles, auxquelles se superposent la cyberguerre, indique le médecin chef Puidupin. Les études épidémiologiques des blessures de guerre permettent de mieux connaître leurs spécificités et d’évaluer leurs traitements. La prise en charge des blessés repose sur le concept de « mort évitable » grâce au sauvetage au combat, à savoir la médicalisation au plus près, et la maîtrise des dégâts (« damage control » en anglais) par la chirurgie et la réanimation de l’avant. Selon une étude des blessés de guerre en Afghanistan réalisée en 2015, 51,6 % d’entre eux souffrent d’au moins deux atteintes lésionnelles. Ainsi, les blessures concernent : la tête et le cou dans 55 % des cas ; les membres supérieurs, 48 % ; les membres inférieurs, 42 % ; le thorax, 21 % ; l’abdomen, 12 %. La mort par hémorragie, suffocation des poumons ou infection peut être évitée, à condition d’intervenir à temps. Selon la gravité des blessures, 1/5 des décès reste inévitable, le sauvetage au combat en évite 1/5 et 3/5 des blessures ne présentent pas une gravité immédiate. Une blessure au crâne ou au tronc entraîne la mort immédiate dans 42 % des cas et dans les 5 minutes dans 25 %. Environ 15-20 % des décès précoces peuvent être évités par une structure de soins accessible dans les 30 minutes. Toutefois, des décès par suite de blessures, peuvent survenir entre 2 heures et 1 semaine après un traitement médical. D’après une étude américaine, le taux de mortalité hospitalière est passé de 25 % pendant la guerre du Viêt Nam (terminée en 1975) à celles d’Irak (2003) et d’Afghanistan (2014), grâce à la protection balistique du combattant, le sauvetage au combat et la chirurgie précoce. Tout combattant concourt à la mise en condition de survie des blessés selon un standard de soins du sauvetage de combat. Celui-ci se décline en trois niveaux successifs : gestes salvateurs compatibles avec l’exposition au feu par tous les soldats ; gestes complémentaires adaptés au contexte tactique par les auxiliaires sanitaires ; gestes de réanimation de l’avant par les médecins et infirmiers. La chirurgie de sauvetage écourtée se concentre sur le contrôle de l’hémorragie et de l’infection, prévoyant d’emblée une chirurgie secondaire pour le traitement définitif. Parallèlement, une réanimation intensive vise à rétablir la physiologie en corrigeant les troubles de coagulation sanguine et l’anémie, l’hypothermie et l’acidose (trouble de l’équilibre acido-basique dans le sang). En cas de rapatriement sanitaire, la réanimation se poursuit pendant le vol à bord d’un avion C-135 équipé du système « Morphée » (module de réanimation pour patients à haute élongation d’évacuation). La durée d’évacuation vers les Etats-Unis est passée de 45 jours pendant la guerre du Viêt Nam à 36 heures pendant le conflit en Irak et, vers la France, à 24 heures pendant celui en Afghanistan. En 2019, il s’écoule en moyenne 35 heures entre le moment où un soldat est blessé en Opex et son arrivée à un hôpital militaire en France. L’accompagnement du blessé jusqu’à l’autonomie dure en moyenne de 2 à 6 mois pour la rééducation, jusqu’à 1 an pour la réadaptation et jusqu’à 2 ans pour la réinsertion.

La place des femmes. Service le plus féminisé du ministère des Armées, le SSA compte 60 % de femmes, souligne le médecin général Roche. Lors de la première guerre mondiale, elles n’étaient qu’infirmières, aujourd’hui, elles sont surtout médecins. Exercice de toutes les facettes de l’art médical, la médecine militaire combine les fonctions de soignant et de militaire, avec les mêmes valeurs d’engagement de disponibilité. Les femmes militaires mènent leur existence, professionnelle et privée, avec le paradoxe de donner la vie mais aussi la mort. Alors qu’elles représentaient 20 % des membres de la Résistance, leur engagement n’a guère été valorisé pendant le second conflit mondial. En 2019, les officiers généraux ne comptent dans leurs rangs que 3 femmes dans l’armée de Terre, 2 dans l’armée de l’Air et 1 dans la Marine.

Loïc Salmon

Au sein de ses 1.038 compagnons, l’ordre de la Libération compte 26 médecins, dont 21 militaires. Parmi ces deniers, 13 sont morts pour la France entre 1939 et 1954, pendant la seconde guerre mondiale et celle d’Indochine. Parmi les compagnons, 300 ont été blessés, dont 100 amputés. L’ordre ne compte que 6 femmes. Selon le médecin général Roche, les femmes constituent la moitié des 14.760 personnels dédiés à la prise en charge médico-chirurgicale des armées et de la Gendarmerie. Les militaires, qui représentent 70 % du total, se répartissent ainsi : 1.927 médecins ; 4.765 paramédicaux (22 professions différentes) ; 68 vétérinaires ; 43 chirurgiens-dentistes ; 2.997 réservistes.

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