Sécurité : l’usurpation d’identité, un risque mal maîtrisé

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L’usurpation d’identité, très répandue dans le monde, a d’importantes conséquences morales, financières et sociales, souvent méconnues. Même si beaucoup de gens ne transmettent pas leurs données personnelles sur internet, ils prennent moins de précautions à l’égard des documents « papiers ».

C’est ce qui ressort d’une enquête réalisée en France et dont les résultats ont été présentés à la presse le 13 octobre 2015 à Paris. Sont intervenus : Alexandra Lebre-Doboz de la société américaine Fellowes, spécialisée dans la bureautique ; Véronique Varlin de l’Observatoire Société & Consommation (ObSoCo) ; Christophe Naudin, enseignant chercheur à l’université Paris II Panthéon-Assas.

Perception du risque. Aux États-Unis, détruire ses données personnelles ou sensibles est un geste courant, au bureau ou chez soi, en raison du risque de vol ou de piratage, contrairement aux pays européens, indique Alexandra Lebre-Doboz. En conséquence, Fellowes a lancé des campagnes de sensibilisation sur le risque d’usurpation, depuis 2005 dans quelques pays d’Europe et depuis 2008 en France. Par ailleurs, contrairement à une idée reçue, l’information papier reste très importante, souligne Véronique Varlin. Selon l’enquête de Fellowes/ObSoCo, 80 % des ménages équipés d’une imprimante personnelle impriment des documents numériques contenant des données personnelles, notamment les codes d’accès aux boîtes e-mail ou aux sites marchands donnant accès à de nombreuses informations pouvant faire l’objet d’une utilisation malveillante. Pourtant, la majorité des sondés s’en disent préoccupés. Ils considèrent l’usurpation d’identité comme un risque plus important que la fraude à la carte bancaire, qui a pourtant progressé de 68 % entre 2010 et 2013. Cependant, ils conservent, sans protection particulière, copies de documents administratifs d’identité, factures, documents liés à la carrière et à la santé, documents administratifs à caractère financier, courrier personnel, copies de diplômes, relevés d’identité bancaires et copies de documents relatifs au véhicule. Souvent, ils jettent simplement à la poubelle les publicités, qui leur sont adressées personnellement et … révélatrices de leurs goûts et intérêts ! En outre, 67 % des personnes interrogées déclarent avoir communiqué, par internet, des informations personnelles à une entreprise ou une administration, au moins une fois au cours des 12 derniers mois contre 50 % en 2012. De plus, le nombre de documents personnels papiers (5,7 en moyenne pendant la même période) fournis est supérieur aux formulaires remplis en ligne (4,2). Quoique davantage perçu parmi les nouvelles générations, le risque est considéré comme plus élevé par internet (66 %) que par les documents papiers (41%). Pourtant, les jeunes de 18 à 34 ans transmettent plus fréquemment des données personnelles (papiers et numériques) que leurs aînés (65-75 ans). Enfin, près d’une entreprise sur deux en France ne donnerait aucune consigne particulière pour assurer la confidentialité de ses documents.

Données personnelles détournées.

L’identité d’une personne se compose de plusieurs facteurs : les données électroniques, comme le numéro de sécurité sociale, le code de carte bancaire, l’adresse IP de l’ordinateur, l’identifiant de connexion à un site internet sécurisé ou le mot de passe ; les renseignements administratifs, à savoir nom, prénoms, date et lieu de naissance, adresses et numéros de téléphone personnels et professionnels ; le signalement anthropométrique et la photo format identité ; l’histoire personnelle. L’identité, explique Christophe Naudin, peut être : volée à une personne décédée ; fictive sans porter préjudice à une personne physique ou morale ; substituée à une autre identité avec la volonté de tromper. L’usurpation d’identité consiste à utiliser, sans son accord, des informations permettant d’identifier une personne vivante (voir encadré). Sur le plan civil, les gens qui en sont victimes peuvent : se retrouver mariés (surtout parmi les femmes) ; parents d’enfants naturels (surtout parmi les hommes) ; se retrouver propriétaire d’un bien invendable. Ils ne pourront pas prouver leur propre identité auprès de l’État et des administrations. Ainsi, indique Christophe Naudin, parmi les Français partis en Syrie pour combattre le régime en place, plusieurs d’entre eux ont été déclarés « décédés » par leurs « employeurs », en vue d’usurper leur identité. Il leur faudra deux à trois ans pour « ressusciter ». Une personne se déclarant victime d’une usurpation d’identité… se voit confisquer sa carte d’identité ! Si l’usurpateur est décédé, ses ayants droit vont demander « sa » succession à la victime, pour qui il sera très difficile de prouver qu’ils ne sont pas ses propres ayants droit. Une victime peut se voir refuser un crédit bancaire, car fichée à son insu à la Banque de France. Près d’un million de personnes, victimes et usurpateurs, restent ainsi fichés pendant dix ans. De fausses annonces d’emplois sans qualification leurrent de nombreux candidats, qui ne soupçonnent pas que leurs données personnelles serviront à fabriquer de fausses identités. Sur le plan pénal, les victimes d’usurpation d’identité risquent d’être dépouillées de leurs biens ou poursuivies en justice à la place des usurpateurs, être incarcérées en détention provisoire ou perdre des points de permis de conduire pour des infractions routières qu’elles n’auront pas commises. En outre, ces gens peuvent faire l’objet d’une recherche internationale, figurer sur le fichier des personnes recherchées par les services de police et de gendarmerie à la demande des autorités judiciaires, militaires ou administratives ou même être considérés comme polygames. Sur les 14.060 faits ayant donné lieu à une procédure judiciaire en 2014 (encadré), 99 % concernent des usurpations d’identités réalisées avec des documents papiers ou des copies de ces documents. En outre, 80 % des usurpateurs se trouvent dans l’entourage proche de leurs victimes. La meilleure protection consiste à sécuriser ces documents et détruire les copies inutiles. Le cabinet Fellowes recommande 18 bonnes pratiques pour limiter les risques d’usurpation d’identités papiers et numériques. Enfin, Christophe Naudin conclut sur une note optimiste : les passeports biométriques, délivrés en France depuis fin juin 2009, rendent les fraudes à l’identité beaucoup plus compliquées qu’avant !

Loïc Salmon

L’usurpation d’identité consiste à prendre délibérément l’identité d’une personne vivante, en vue d’actions frauduleuses commerciales, civiles ou pénales, comme accéder à ses finances, commettre en son nom un délit ou accéder à ses droits de façon indue. Selon le ministère français de l’Intérieur, la criminalité identitaire a été la deuxième infraction en France en 2012, derrière le vol de véhicule mais devant le cambriolage. En 2014, elle a donné lieu à : 119.023 consultations à l’identité judiciaire (personnes usant d’au moins une fausse identité), soit une hausse de 45 % par rapport à 2013 ; 14.060 procédures judiciaires (- 6 %) ; 5 % des fraudes sur les ouvertures de comptes bancaires (stable). Environ 80 % des victimes déposent plainte entre 2 et 20 ans après les faits.

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