La France, dans son modèle de société, et Israël, dans son existence même, sont menacés par les organisations terroristes djihadistes, aux modes d’action évolutifs. Leur coopération vise à gagner ensemble la guerre contre l’islamisme et travailler pour la paix.
Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 9 novembre 2017 à Paris, par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques et l’ambassade d’Israël. Y sont notamment intervenus : Pierre Razoux, historien ; David Harari, expert aéronautique ; Frédéric Charillon, universitaire ; Jean-Louis Bruguière, ancien juge anti-terrorisme (à gauche sur la photo).
Relations diplomatiques. L’Etat d’Israël, créé en 1948, résulte des promesses des déclarations Cambon et Balfour de 1917 (encadré). L’histoire de ses relations avec la France est parsemée de convergences et de divergences, rappelle Pierre Razoux. Jusqu’en 1954, la reconnaissance mutuelle s’avère progressive et complexe. Puissance méditerranéenne, la France veut contrebalancer l’influence de la Grande-Bretagne dans la région, après la perte de sa tutelle sur la Syrie et le Liban. Entrent aussi en ligne de compte le rôle des juifs dans la Résistance, la culpabilité relative à la Shoah et la solidarité entre les gouvernements socialistes de Paris et Tel-Aviv. Entre 1954 et 1962, les relations se renforcent dans la lutte contre le nationalisme arabe (crise de Suez en 1956) et par l’empathie entre les élites dirigeantes. La période 1962-1969 constitue un divorce à l’amiable. La France lance une politique étrangère pro-arabe après la fin de la guerre d’Algérie. Israël développe alors une alliance avec les Etats-Unis. De 1969 à 1982, la position pro-arabe de la France se renforce à la suite du rejet de la colonisation israélienne dans les territoires occupés depuis 1967 et son opposition aux accords de Camp David (1978), conclu entre les Etats-Unis, l’Egypte et Israël. En outre, le raid de l’aviation israélienne (1981) contre le réacteur nucléaire irakien Osirak, construit par la France, souligne le risque de prolifération. Un rapprochement s’effectue entre 1982 et 1996 avec la prise de conscience du droit à la sécurité pour Israël et pour un futur Etat palestinien. Un front commun dans la lutte anti-terroriste s’instaure après les accords d’Oslo (1993) entre les Etats-Unis, Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Un nouveau refroidissement se produit entre 1996 et 2005, après l’échec des processus de Camp David et d’Oslo, la seconde « intifada » (émeutes en Cisjordanie, en Israël et à Gaza) et le soutien de la France à l’OLP. Dès 2006, les deux pays se rapprochent, surtout après les attentats terroristes en France en 2015. Les relations personnelles entre les dirigeants ont pesé pour beaucoup, conclut Pierre Razoux.
Coopération militaire. Lors de la première guerre israélo-arabe de 1948, les Etats-Unis décrètent un embargo sur les armes à destination d’Israël, que seule la France n’applique pas, rappelle David Harari. Ensuite, les deux pays développent des coopérations militaires, industrielles et scientifiques. Des chercheurs israéliens viennent travailler dans les laboratoires de recherche nucléaire français de Saclay jusqu’en 1961, date de la fin de la coopération sur la séparation du plutonium. La centrale de Dimonah, entrée en service en 1963, se trouve à l’origine du programme nucléaire militaire israélien. Dans les années 1950, Israël achète des avions d’entraînement français Fouga Magister, conclut des contrats de maintenance aéronautique avec l’armée de l’Air et acquiert des avions de combat Mystère IV. De retour au pouvoir en 1958, le général de Gaulle autorise la vente des Mirage III, force de frappe décisive lors de la guerre israélo-arabe de 1967. L’embargo militaire qui s’ensuit mène à la constitution d’une industrie militaire israélienne indépendante. Celle-ci construit alors ses propres Mirage V. Lors de la guerre de 1973, grâce aux pièces détachées fournies officieusement par la France, ces avions protègent Israël contre les MiG 21, que l’URSS a fournis aux pays arabes. De leur côté, des vedettes commandées à l’arsenal français de Cherbourg puis détournées (1969) tirent des missiles mer/mer, dont les études avaient commencé en Israël dès 1949. Enfin, malgré les aléas, les services de renseignement français et israéliens ont maintenu leur coopération depuis 1950.
Intérêts stratégiques et sécurité. La France et Israël bénéficient du soutien de leur opinion publique pour leurs interventions extérieures et disposent d’outils performants pour les opérations spéciales, estime Frédéric Charillon. Mais la France, du fait de son interdépendance européenne, doit tenir compte de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne. Pour elle, la menace djihadiste s’avère difficile à cerner, car certains auteurs d’attentats sont de nationalité française. En outre, cette menace est surtout d’origine sunnite pour la France, mais iranienne pour Israël. Ce décalage s’accentue avec la question palestinienne, difficile à aborder avec Israël et les pays arabes. Par ailleurs, Israël vit en quasi belligérance avec l’obligation de protéger les libertés civiles, indique Jean-Louis Bruguière. Après deux ans d’état d’urgence depuis les attentats de novembre 2015, la France s’est dotée d’une loi équilibrant sécurité et protection des libertés. Dans une chaîne légale incontestable par la Cour de justice européenne, la Direction générale de la sécurité intérieure dispose des capacités de police judiciaire et de renseignement. Elle compte sur le temps pour détecter les signaux faibles, à savoir repérer des individus qui préparent un attentat avant qu’ils en soient encore conscients.
Loïc Salmon
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Les prémices de l’établissement d’un Etat juif en Palestine, alors partie de l’Empire ottoman, remontent à la première guerre mondiale. Le 4 juin 1917, Jules Cambon, secrétaire général du ministère français des Affaires étrangères, adresse une lettre à Nahum Sokolow, dirigeant du mouvement sioniste. Il écrit notamment : « Vous estimez que si les circonstances le permettent et l’indépendance des Lieux Saints étant assurée d’autre part, ce serait faire œuvre de justice et de réparation que d’aider, par la protection des Puissances alliées, à la renaissance de la nationalité juive, sur cette terre d’où le peuple d’Israël fut chassé il y a tant de siècles. Le gouvernement français, qui est entré dans cette guerre pour défendre un peuple injustement attaqué, et qui continue la lutte pour assurer la victoire du droit sur la force, ne peut qu’éprouver de la sympathie pour votre cause, dont le triomphe est lié à celui des Alliés. » Le 2 novembre 1917, le secrétaire britannique aux Affaires étrangères, Arthur Balfour, envoie une lettre similaire à Lord Lionel Rothschild, financier du mouvement sioniste, qui sera publiée dans le quotidien Times le 9 novembre. Cette « Déclaration Balfour » stipule : « Le gouvernement de Sa majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politiques dont les juifs disposent dans tout autre pays. »