Résistance et dissuasion

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Le refus de subir une défaite similaire à celle de 1940 se trouve à l’origine de la dissuasion nucléaire, dont les capacités scientifiques et techniques résultent de décisions politiques et militaires pour assurer l’indépendance de la France et son autonomie stratégique.

Cette question avait fait l’objet d’un colloque organisé, le 5 octobre 2017 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). A la veille de la seconde guerre mondiale, les applications militaires de l’énergie nucléaire font l’objet d’études en Grande-Bretagne, en France et…en Allemagne ! Ces deux dernières commencent par engager la bataille secrète de « l’eau lourde » (atome d’hydrogène remplacé par celui du deutérium, deux fois plus lourd), produit qui ralentit la réaction en chaîne au sein d’un réacteur nucléaire. En 1940, une mission française réussit à exfiltrer le stock mondial d’eau lourde existant, soit 185 litres, de Norvège à l’Angleterre via le port de Bordeaux. Le même bateau transporte aussi les 8 t d’oxyde d’uranium dont dispose la France. En outre et sous les pressions françaises, l’Union minière du Haut-Katanga (Congo, colonie belge), où se trouve la plus grande réserve connue d’uranium, en livre un stock important aux Etats-Unis, lequel sera utilisé lors de la mise au point du programme « Manhattan » pour bombarder le Japon en 1945. Les principaux physiciens français de l’atome entrent tous dans la Résistance : le prix Nobel Frédéric Joliot, en France pendant toute la guerre ; Hans Halban, Lew Kowarski, Jules Guéron, Pierre Auger et Bertrand Goldschmidt, au sein de la France libre. Halban et Kowarski, qui avaient acheminé les 26 bidons d’eau lourde, poursuivent leurs travaux aux Laboratoires de Cambridge puis de Montréal, dans le cadre du programme « Tube Alloys ». Dès décembre1940, ils démontrent la possibilité d’une réaction en chaîne par neutrons lents, au moyen d’un mélange d’oxyde d’uranium et d’eau lourde, expérience que les savants allemands ne réaliseront qu’en 1944. Seul Français admis à travailler quelques mois aux Etats-Unis mais sans contact direct avec le programme « Manhattan », Goldschmidt y acquiert l’expérience de la chimie du plutonium, déterminante dans les débuts du futur CEA. En juillet 1944 et dans le plus grand secret, les scientifiques français, présents à Ottawa, informent le général de Gaulle, alors en voyage au Canada, de l’état d’avancement sur l’arme nucléaire. Vu que celle-ci donnerait aux Etats-Unis un avantage considérable dans le monde après la guerre, ils recommandent de reprendre les recherches correspondantes en France au plus vite et de lancer une prospection sur les ressources d’uranium à Madagascar, colonie française. Le 20 août 1944, le chef de la France libre nomme Joliot à la tête du Conseil national de la recherche scientifique et, en octobre 1945, crée le CEA destiné à assurer l’indépendance énergétique de la France. Les recherches sur le nucléaire militaire se développent secrètement à partir de 1954, surtout après les menaces soviétiques et américaines consécutives à l’opération militaire franco-britannique à Suez en 1956 pour reprendre le contrôle du canal, nationalisé par le gouvernement égyptien. De retour au pouvoir, le général de Gaulle souligne, en 1959, l’autonomie de la « force de frappe », reposant sur une capacité immédiate et permanente et garantissant sécurité du territoire et initiative en matière de politique étrangère. La dissuasion nucléaire perdure depuis 1964.

Loïc Salmon

« Résistance et dissuasion », ouvrage collectif. Editions Odile Jacob, 396 pages, 22€. 

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