L’anticipation, le plus en amont possible, d’une surprise stratégique, toujours inévitable, permet d’en limiter la portée. L’importance cruciale de la recherche stratégique se manifeste surtout en période de bouleversement.
Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 25 janvier 2017 à Paris, par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère de la Défense. Y sont intervenus : Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense ; François-Joseph Ruggiu, Institut des sciences humaines du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI) ; Olivier Darrason, président de la Compagnie européenne de l’intelligence stratégique (CEIS).
Recherche prospective. Le Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale a sous-estimé la dimension et l’impact de quatre développements majeurs, estime Jean-Yves Le Drian. D’abord, le djihadisme présente une virulence idéologique et une hyperviolence, associées au caractère totalitaire du projet de l’Etat islamique (Daech). Ensuite, certains Etats généralisent l’intimidation stratégique : la Russie par l’annexion de la Crimée, la remise en cause des frontières européennes et un réarmement accéléré ; la Chine et la Corée du Nord par leurs démonstrations de force. En troisième lieu, les règles et cadres multilatéraux s’affaiblissent : mise en cause profonde de l’Union européenne (« Brexit » britannique) ; respect limité de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques au Moyen-Orient. Enfin, la mondialisation déstabilise les électorats du monde occidental (chômage persistant). L’Histoire s’accélère avec l’interconnexion croissante des hommes et des biens, qui entraîne une mondialisation de la violence. Rien qu’en 2014, la France a dû gérer simultanément les opérations de ses forces armées dans la bande sahélo-saharienne, les conséquences de la guerre dans le Donbass (Est de l’Ukraine) et la proclamation du califat djihadiste au Levant (Daech). Le ministre de la Défense retient trois caractéristiques de l’évolution de l‘environnement international depuis son entrée en fonctions en 2012. D’abord, l’imprévisibilité des acteurs majeurs le rend hétérogène et instable à un niveau inégalé depuis la fin de la guerre froide (1991). Ensuite, les menaces irrégulières et asymétriques fluctuent sans disparaître. Parallèlement, réapparaissent les dangers conventionnels du haut du spectre des capacités militaires, associées à des actions de subversion et sur fond de menace nucléaire. Enfin, l’imprévu domine l’environnement stratégique. Constante de l’histoire militaire, la surprise stratégique entraîne une révision de la posture ou de la politique d’un Etat. Jean Yves Le Drian en tire deux conclusions : le croisement des « grandes tendances » et des « petites causes » crée l’incertitude ; la rupture stratégique se constate après coup, en mesurant l’implication des événements. La recherche prospective est multiforme : opérationnelle par l’Etat-major des armées ; géostratégique par la DGRIS ; technologique par la Direction générale de l’armement (DGA). Elle s’appuie aussi sur une recherche et une expertise stratégiques indépendantes et soutenues par le « Pacte Enseignement Supérieur » (encadré). L’Ecole de guerre et le Centre des hautes études militaires développent des liens avec le monde universitaire. L’Institut des hautes études de défense nationale renforce ceux avec le monde civil dans le cadre de « l’approche globale ». Toutefois, remarque Jean-Yves Le Drian, celle-ci n’est pas encore mise en pratique à l’Ecole nationale d’administration, qui forme les hauts fonctionnaires.
Résilience globale. Suite à l’intervention au Mali (2013) et aux attentats terroristes en France (2015), le ministère de la Défense a renforcé et réformé les organisations et dispositifs existants pour réduire l’impact des surprises. La fonction « connaissance et anticipation » (renseignement, espace, cyberdéfense et forces spéciales) a vu son budget passer de 1,7 Md€ en 2012 à plus de 3 Md€ en 2017, rappelle Jean-Yves Le Drian. La résilience doit s’améliorer en permanence, à savoir le cyber et la protection des infrastructures critiques du pays. La modernisation des composantes navales et aériennes de la dissuasion nucléaire préservera, en toutes circonstances, les intérêts vitaux de la nation et la liberté d’action du président de la République. Un outil militaire, aussi complet et autonome que possible permet d’anticiper au mieux et en temps réel, d’absorber le choc de la surprise et de s’adapter, tout en conservant les bases d’une montée en puissance en cas de ruptures stratégiques. Par ailleurs, le « label d’excellence » a été lancé pour susciter et accompagner une filière universitaire d’études stratégiques en France, alliant rigueur scientifique et débouchés professionnels. A terme, il permettra de financer des centres de recherches à hauteur de 1,5 M€ par projet sur 5 ans renouvelables.
Cas de recherches opérationnelles. Peu après les attentats de 2015 en France, le CNRS a rédigé un rapport sur la radicalisation islamique dans ses perspectives historique, religieuse et sociale, indique François-Joseph Ruggiu. A la demande des autorités publiques, un appel à projets interdisciplinaires (sciences humaines, nanotechnologies, informatique etc.) a été lancé auprès de ses chercheurs, afin de comprendre la situation puis de se protéger à l’avenir. Ces fonctionnaires anglophones, sont motivés par le service de l’Etat et le retour des résultats de leurs travaux vers la société. Le CNRS a conclu des accords avec la DGRIS, la DGA et la Direction du renseignement militaire. Des ateliers thématiques traitent de la Russie, de la Syrie, de l’Iran et du Sahel. De son côté, l’IFRI analyse les structures politique, économique, médiatique et académique dans une logique de compréhension des contraintes pesant sur les pouvoirs publics, explique Thomas Gomart. Ses chercheurs vont sur le terrain, parlent à tout le monde et maîtrisent le débat sur un sujet donné. Recrutés pour 3 ans, ils organisent des tables rondes mensuelles, publient des documents de recherche et se confrontent à des questionnements non rationnels. Par exemple, partant du constat que la Russie profite du chaos actuel, l’IFRI examine notamment son travail d’influence, ses cibles et se perceptions en vue d’exploiter le désarroi démocratique occidental. Par ailleurs, la CEIS emploie une centaine de chercheurs qui fournissent des notes rapides et des études complètes sur des sujets concernant le cyber et demandés par la DGRIS, indique Olivier Darrason. Ses missions incluent : le pilotage de projets ; l’animation du centre de recherches de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr et de chaires universitaires ; la veille auprès d’une cinquantaine d’entreprises. Elle doit aussi développer la recherche internationale, répondre aux besoins en prospective et accélérer la recherche stratégique et son rayonnement. Selon Olivier Darrason, la relative pauvreté de la recherche stratégique sur le cyber en France contraste avec les efforts considérables entrepris sur ses aspects techniques et technologiques.
Loïc Salmon
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Le 25 janvier 2017 à Paris, une convention a été signée entre la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère de la Défense, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et la Conférence des présidents d’université (CPU). Elle porte sur les coopérations scientifiques entre eux et au profit de la communauté des enseignants-chercheurs, afin de donner un cadre précis de développement aux recherches sur les questions de défense et de sécurité. Elle s’inscrit dans le « Pacte enseignement supérieur », placé sous l’égide de la DGRIS et qui inclut : un budget annuel de 2,5 M€ ; une aide financière à 40 chercheurs chaque année ; 3 centres labellisés « Centre d’excellence » ; 1 groupement d’intérêt scientifique « défense et stratégie » ; 1 club de partenaires privés.