Préserver la capacité à penser et agir de manière autonome afin de garantir la liberté et la sécurité, tel est le premier objectif de la recherche stratégique.
Son renouveau a fait l’objet d’un colloque organisé, le 25 janvier 2017 à Paris, par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère de la Défense. Y sont notamment intervenus : Philippe Errera, directeur de la DGRIS ; un général de brigade (Air) de l’Etat-major des armées ; le général de corps d’armée Christophe Gomart, directeur du Renseignement militaire ; Nathalie Leclerc, Secrétariat général pour l’administration.
Enjeu crucial. La compréhension, l’analyse et l’explication des phénomènes de déstructuration et de recomposition de l’environnement stratégique sont indispensables pour éviter un décalage de la politique d’aujourd’hui et la préparation de l’avenir par rapport aux défis et menaces. Philippe Errera l’explique : « Il nous faut donc comprendre pour anticiper. Anticiper une menace qui se joue de nos faiblesses, dans toutes leurs dimensions sociale, politique, économique et militaire, lorsque le rapport de force lui est ponctuellement favorable. Il nous faut ensuite comprendre pour agir en liant les deux pôles : le décisionnel et l’académique, afin de réduire la distance entre le savoir et le pouvoir dans un monde où les institutions gouvernementales n’ont pas, loin s’en faut, le monopole de l’information et de l’expertise. » Or depuis une quinzaine d’années, de nombreux rapports soulignent la fragilité structurelle de la recherche stratégique sur les questions de défense de la France, pourtant engagée en première ligne dans des opérations extérieures. Le contexte international actuel facilite la concurrence des idées, doctrines et concepts. Ainsi de nombreux acteurs émergents, notamment en Asie, accompagnent leur volonté de puissance d’une stratégie d’influence fondée sur une recherche de plus en plus innovantes. Pour inverser cette tendance et garantir à moyen terme la satisfaction des besoins nationaux, la DGRIS a proposé, en 2015, une réforme du dispositif ministériel de soutien à la recherche stratégique portant sur un financement du ministère de la défense de près de 10 M€ par an dans le domaine des sciences humaines et sociales. Ce soutien inclut : une réforme des relations avec les instituts privés de recherche ; la création en France des « Biennales des études de défense », en coopération avec une institution universitaire de renom à chaque édition ; la transformation de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM) en un centre de référence en la matière.
Rôle de la DGRIS. La DGRIS pilote l’action internationale du ministère de la Défense en coordination avec l’Etat-major des armées (EMA), la Direction générale de l’armement (DGA) et le Secrétariat général pour l’administration (SGA). Responsable des travaux de prospective, elle coordonne la préparation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et son actualisation régulière. En liaison avec l’EMA, la DGA et le SGA, elle veille à l’articulation entre la stratégie de défense et la loi de programmation militaire. Chargée du pilotage du réseau des missions de défense à l’étranger, elle définit la stratégie d’influence internationale du ministère. Outre la lutte contre la prolifération, la maîtrise des armements et le désarmement, elle coordonne le contrôle des exportations de matériels de guerre et assimilés et de biens à double usage. En 2015, elle a traité 5.562 demandes de licences d’exportation ou de transfert d’armement. Son service « Europe, Amérique du Nord et action multilatérale » prépare les sommets de l’OTAN et les Conseils de l’Union européenne en matière de défense et d’affaires étrangères. Il suit les opérations de maintien de la paix de l’ONU et contribue aux résolutions du Conseil de sécurité (Libye, Mali et Centrafrique récemment). Il suit en permanence 46 pays, organise 13 dialogues stratégiques par an dans un cadre bilatéral et a obtenu la signature de 26 plans de coopération en 2015. Le service « Questions régionales » contribue à la politique internationale envers les Etats d’Amérique latine d’Afrique, du Proche et Moyen-Orient, d’Asie et d’Océanie et valide les plans de coopération de défense.
Besoins et attentes des décideurs. La recherche permet d’intégrer une stratégie militaire à celle de la nation, indique le général de l’EMA. Il s’agit de penser le futur en dépassant le cadre de la guerre. L’EMA a besoin d’éclairages sur les aspects sociétaux non militaires, qui doivent être opératoires et pas seulement intellectuels. Il demande des études prospectives à la DGRIS, selon un cahier des charges définies au préalable, à savoir des travaux thématiques (le djihadisme par exemple) ou géographiques. De son côté, la Direction du renseignement militaire (DRM) a besoin de la recherche explique le général Gomart. Elle a accueilli une vingtaine de docteurs et autant de doctorants, dont les travaux ne sont pas rendus publics. Capable d’anticiper de 0 à 2 ans, la DRM coopère avec la DGRIS pour les études prospectives au-delà. Des groupes d’anticipation stratégique sont chargés de renseigner le chef d’Etat-major des armées et le ministre de la Défense. Par exemple, l’aviation syrienne a effectué un bombardement ciblé sur un quartier d’Alep, car habité par des gens venus d’un village dépendant d’une faction rebelle. La DRM recoupe cette information avec ses propres « capteurs » sur le terrain et fusionne le tout avec les recherches universitaires ouvertes, en vue d’une analyse plus fine. Certaines études, réalisées par des chercheurs habilités au « secret défense », restent en « interne ». La montée en puissance des chercheurs facilite la discussion et l’orientation des recherches, notamment en sciences humaines. Le projet « Intelligence Campus » vise à faire travailler ensemble le Centre du renseignement opérationnel, des chercheurs et des petites et moyennes entreprises civiles, françaises et européennes. Le Secrétariat général pour l’administration (SGA) emploie 15.000 personnels, dont un tiers de civils, explique Nathalie Leclerc. Outre un service de soutien, il compte 6 directions : affaires financières ; ressources humaines ; affaires juridiques ; mémoire, patrimoine et archives ; service national ; infrastructures de la Défense. Parfois, la direction des affaires juridiques fait appel à quelques doctorants sur des sujets techniques. Au sein de la direction des affaires financières et en liaison avec des universitaires ou des centres de recherche, l’Observatoire économique de la défense réalise des « études prospectives et stratégiques », consultables sur le site de la DGRIS. Enfin, le SGA dispose d’un état-major chargé de faire remonter les besoins en matière de prospective.
Loïc Salmon
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Le réseau de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) compte : 87 missions de défense française (279 personnels) pour 165 pays couverts, dont 78 en non résidence ; 170 attachés militaires et de défense étrangers accrédités en France, représentant une centaine de nations ; 500 stagiaires étrangers accueillis chaque année dans les écoles de formation et d’application des officiers. La préparation des rencontres ministérielles bilatérales inclut : 92 pays suivis en permanence par le service des questions régionales ; 26 dialogues stratégiques par an ; 6 crises régionales suivies en 2015 ; 36 plans de coopération signés en 2015. La loi de finances 2016 a fixé à 1,295 Md€ le budget de la DGRIS. Son directeur est l’un des grands subordonnés du ministre de la défense avec le chef d’Etat-major des armées, le délégué général pour l’armement et le secrétaire général pour l’administration. Le Pôle relations internationales militaires de l’Etat-major des armées compte des bureaux de coopération bilatérale auprès des états-majors de la Marine nationale et des armées de Terre et de l’Air. Enfin, la Direction générale de l’armement dispose d’une direction des relations internationales.