Parachutée au clair de lune

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La Résistance dans le Sud-Ouest en 1944, vécue de l’intérieur par une Anglaise de 20 ans qui se fait passer pour une Parisienne, voilà un beau sujet de roman d’espionnage, sauf que c’est… véridique !

Anne-Marie Walters (1923-1998), née à Genève de père anglais et de mère française, a en effet été recrutée par le « Special Operations Executive » (SOE) britannique. Ce service d’opérations spéciales, actif surtout en France et en Yougoslavie, a été créé par Winston Churchill en 1940, en vue aider la Résistance dans les pays européens occupés et de participer aux combats de libération à la fin de la guerre. Sur le territoire français, sa section « F » comptera 450 agents qui mettront en place une centaine de réseaux et armeront 10.000 résistants. Les femmes du SOE, souvent très jeunes et jolies, savent user de leur charme pour se sortir d’une situation périlleuse. Après sélection, elles suivent une formation paramilitaire : tir, parachutisme, sécurité (déverrouillage de serrures, mentir l’air de rien et adoption de personnalités différentes), sabotage et transmission d’informations en morse (codage et décodage de messages). Anne-Marie est parachutée le 4 janvier 1944, de nuit dans un champ marécageux, avec un camarade et des conteneurs remplis d’armes, de matériels et d’argent pour les maquisards. Elle prend le nom de guerre de « Colette » et s’aperçoit très vite qu’elle n’a pas l’accent du terroir ! Elle sert d’agent de liaison entre le chef du SOE de la région et les différents réseaux. Cela signifiera beaucoup de km à bicyclette, dans des voitures bringuebalantes ou sur des motos conduites par des gens téméraires, avec plusieurs accidents à la clé. Elle participe à des récupérations de matériels et de personnels des forces spéciales parachutés et aux exfiltrations vers l’Espagne d’aviateurs de pays alliés, dont l’avion a été abattu. Elle apprendra la mort, parfois dans des conditions atroces, de certains compagnons de maquis. Elle raconte son expérience, ses angoisses et ses joies avec force dialogues et détails. Son témoignage est corroboré par des documents du SOE la concernant et rendus publics en 2002. Femme, elle détonne dans ce monde masculin, mais devra, avec difficulté écrit-elle, être « amicale avec tous et très amicale avec aucun ». Blonde et distinguée, elle est repérée et dénoncée, mais évite, de justesse, l’arrestation par la Gestapo. Un jour, dans un compartiment de train, elle se trouve seule avec « un type bizarre » qu’elle a déjà rencontré à Tarbes et qui lui demande de lui dire ce qu’elle fait : « Si vous ne le voulez pas, j’en conclurai que vous appartenez à la Résistance, soit que vous êtes de la Gestapo ». Mais « Colette » s’en sort avec adresse. Après le débarquement des Alliés en Normandie le 6 juin 1944, la population du Sud-Ouest subit les représailles de deux divisions SS. « Colette » doit rentrer à Londres, en passant par l’Espagne. Avec six aviateurs, elle franchit les Pyrénées à pied… en jupe de tweed, faute d’avoir reçu un pantalon à temps. Son rappel vient du SOE, à la suite d’un rapport de son chef, le « Patron ». Celui-ci reconnaît son courage et sa détermination à remplir ses missions, mais lui reproche son indiscipline et son indiscrétion excessive. Il précise : « Très obsédée par les hommes et désobéissante sur les affaires privées. Elle constitue un danger, non seulement pour sa propre sécurité, mais pour celle de tous ». Anne-Marie Walters sera quand même décorée de « l’Empire Britannique » en 1945 !

Loïc Salmon

La Résistance en Europe, les combattants de l’ombre

Derrière les lignes ennemies

Femmes en guerre 1940-1946

« Parachutée au clair de lune » par Anne-Marie Walters. Éditions Gaussen, 286 pages, 25,50 €

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