L’OTAN s’adapte aux transformations de l’espace stratégique, qui inclut aussi le cyber. La dynamique politique, commerciale, civile et militaire de ce dernier multiplie les moyens d’actions discrètes et indirectes, rendant difficile l’établir la responsabilité d’un Etat.
Ce domaine a fait l’objet d’un colloque organisé, le 16 septembre 2019 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) à l’occasion du 70ème anniversaire de l’OTAN. Y sont notamment intervenus : le général (2S) Michel Yakovleff, titulaire de différents postes à l’OTAN de 2009 à 2016 puis enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris ; Guillaume Lasconjarias, délégué défense au ministère de l’Education nationale ; Camille Morel, Université Lyon 3. En outre, la FRS a diffusé une note de recherche intitulée « Du cyber et de la guerre », écrite par son chercheur associé, le général (2S) Olivier Kempf.
Alliance militaire évolutive. L’OTAN consiste en exercices et partenariats qui produisent du dialogue et de la sécurité, mais a tendance à militariser la situation du monde, explique le général Yakovleff. Depuis 50 ans, elle développe ses capacités par des exercices, dont les normes constituent un label fort, au point que la Russie a réformé ses forces armées en conséquence. Les opérations entreprises par l’OTAN au Kosovo, en Afghanistan et en Irak depuis 1999 apparaissent comme des « accidents historiques ». L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord a en effet évolué au cours d’une succession de réformes. Créée face à l’URSS en 1949 par des pays occidentaux démocratiques, elle s’est réinventée dans le « Partenariat pour la paix », passant d’une alliance « contre » à une alliance « pour » agir ensemble. Fondée sur le consensus, l’OTAN n’est pas le « faux-nez » des Etats-Unis, qui fédèrent l’espace stratégique en profondeur dans le respect des opinions des autres, souligne le général. Même si les Etats-Unis représentent 25 % de la structure militaire de l’OTAN, une opération peut se faire sans eux, notamment par une coalition spécifique avec les structures existantes. La France le démontre au Sahel, sans pour autant conduire une opération « à l’américaine ». Peu pourvue en implantations et en fonctionnaires, l’OTAN constitue une véritable école de partage pour les milliers d’officiers des pays membres qui y sont affectés trois ans. Toutefois, elle se trouve fragilisée par l’un de ses membres, la Turquie, qui représente une menace existentielle plus grave que la résurgence de la Russie, avertit le général. Selon lui, la puissance militaire turque face à l’URSS d’autrefois a diminué, depuis que le régime actuel terrorise les élites militaires, a décapité l’armée de l’Air et a accumulé les erreurs tactiques en Syrie face à Daech, causant des pertes colossales malgré les moyens engagés.
Défense et sécurité. Après l’éclatement du Pacte de Varsovie (1991), l’OTAN s’est élargie pour se transformer en alliance de sécurité collective et assurer une légitimité maximale, indique Guillaume Lasconjarias. Elle a accueilli son 30ème membre, la Macédoine du Nord, en 2019 à l’issue d’un compromis sur son nom avec la Grèce. L’OTAN promeut les valeurs occidentales, dont l’état de droit, dans les forces armées des membres du « Partenariat pour la paix » (20 pays, pour la plupart neutres ou de l’ex-URSS), mais le dialogue avec la Russie a été interrompu après son annexion de la Crimée en 2014. L’OTAN entretient d’autres partenariats dans le monde : « Dialogue méditerranéen » (Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Mauritanie, Maroc et Tunisie) ; « lnitiative de coopération d’Istanbul » (Bahreïn, Qatar, Koweït et Emirats arabes unis) ; « Partners around the Globe » (Afghanistan, Australie, Colombie, Irak, Japon, Corée du Sud, Mongolie, Nouvelle-Zélande et Pakistan). S’y ajoutent ceux avec diverses organisations internationales : ONU ; Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ; Union européenne ; Union africaine ; Ligue arabe. La Géorgie et l’Ukraine ne peuvent encore la rejoindre, à cause de leurs conflits territoriaux en cours : Abkhazie et Ossétie du Sud pour la première et Crimée pour la seconde. Par ailleurs, le Japon, la Corée du Sud et l’Australie veulent y adhérer, car la présence des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France, principaux pays membres, permettrait de créer une coalition spécifique en cas de conflit multinational dans leur environnement proche. En raison de ses engagements internationaux et de ses capacités expéditionnaires, l’OTAN se trouve sur deux fronts. Sa direction stratégique Est traite la Russie, les menaces hybrides, la pression économique et la dissuasion nucléaire. Sa direction stratégique Sud s’occupe du djihadisme, du terrorisme et des migrations. L’OTAN doit gérer les crises, assurer une défense collective et coopérer en matière de sécurité. Elle considère que si les Etats du Sud sont en sécurité, ceux du Nord le seront aussi.
Conflictualité nouvelle. Selon le général Kempf, la lutte générale dans le cyber mélange : les intérêts de puissance, réservés aux Etats ; les intérêts économiques des firmes multinationales et des mafias ; les intérêts politiques ou idéologiques (organisation non gouvernementales, djihadistes, Wikileaks, Anonymous et « cyberpatriotes ») ; les intérêts individuels (hackers). En outre, le cyber constitue un outil remarquable pour des actions hostiles, en-deçà du seuil de la guerre et en dehors d’actions militaires classiques : sanctions juridiques ; blocus économiques ; amendes ; guerre économique ; actions massives d’influence. La « cyberconflictualité » s’est développée en même temps que la mondialisation. Elle sape la concurrence par l’emploi souterrain et quotidien de l’espionnage, du sabotage et de la subversion. Aux Etats-Unis, sous prétexte de lutte-anti-terrorisme, la NSA espionne surtout les pays concurrents et collabore, dans une relation à double sens, avec les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). La Chine, pratique une stratégie d’espionnage économique par tous les moyens, y compris le cyber. Russie, Israël et Singapour entretiennent une symbiose étroite entre les services spécialisés et les jeunes passionnés d’informatique. A terme, conclut le général, cette nouvelle conflictualité va fusionner les guerres militaires, les oppositions géopolitiques et les concurrences économiques. Toutefois, elle n’a pas encore tué d’êtres humains.
Loïc Salmon
Selon Camille Morel, 350 câbles sous-marins acheminent 80 % des flux de données, publiques et privées, transitant sur internet. Les satellites ne jouent qu’un rôle complémentaire, notamment en Arctique et au Canada. Dès le XIXème siècle, ces réseaux de câbles font l’objet de menaces, surtout par l’espionnage. Depuis les années 1980, des Etats et des organisations non étatiques tentent de capter les informations en transit sur la fibre optique des câbles et peuvent, éventuellement, s’attaquer à leurs réseaux de gestion. L’OTAN a pris conscience de la vulnérabilité des câbles sous-marins et les considère comme des cibles militaires en temps de guerre. Elle a lancé une réflexion sur leur importance, le droit de la mer et la nécessité d’accroître la résilience dans ce domaine. De leur côté, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne réglementent l’exportation des matériaux et éléments les concernant.
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