Opex : de la détermination politique à l’engagement militaire

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Fin 2011, la France déploie près de 8.000 militaires dans une vingtaine d’opérations extérieures (Opex), dont plus de 80 % dans un cadre multilatéral ou en soutien pour gérer des crises sécuritaires et humanitaires. Une table ronde, tenue le 22 novembre 2011 à Paris, a examiné le processus politico-militaire des principales en cours ou engagées depuis l’automne 2010 : « Pamir » en Afghanistan, « Harmattan » en Libye et « Licorne » en Côte d’Ivoire.

Y ont participé : Gérard Longuet, ministre de la Défense et des Anciens Combattants ; Jean-David Lévitte, conseiller diplomatique du président de la République ; l’amiral Edouard Guillaud, chef d’Etat-major des armées ; l’ambassadeur Philippe Errera, représentant permanent de la France à l’OTAN ; Alain Leroy, ancien secrétaire général adjoint de l’ONU chargé des opérations de maintien de la paix.

Cette table ronde a montré le fonctionnement interne du pouvoir dans la gestion de crise : volonté politique, travail diplomatique et contribution militaire. Tous les acteurs sont complémentaires. « Il n’y a pas d’engagement opérationnel sans projet politique clair et pas de projet politique clair sans unité de commandement », déclare Gérard Longuet. Selon lui, les pays partenaires reconnaissent le professionnalisme des forces françaises, héritage de traditions, valeur, discipline dans l’action et certitude d’employer le matériel à bon escient. Une fois la décision prise par le président de la République, le ministre de la Défense entretient une relation quotidienne avec les états-majors, explique le choix au Parlement et « fait en sorte que ça fonctionne à l’intérieur ». La France intervient en Afghanistan dans le cadre d’une coalition de 49 pays, qui souhaitent que cet Etat soit « reconnu dans sa souveraineté avec le minimum de dégâts ». L’effort principal porte sur l’émergence d’une force nationale afghane (armée et police), capable aujourd’hui d’assurer l’autorité de l’Etat sur 45 % de la population. Après le retrait des troupes de l’OTAN en 2014, elle devra pouvoir garantir l’état de droit et résister à une intervention extérieure.

« L’Afghanistan d’aujourd’hui n’a rien à voir avec ce qu’il était en 2001 (attentats terroristes d’Al Qaïda aux Etats-Unis) », estime Jean-David Lévitte. Par ailleurs, il a expliqué que le devoir d’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays a été remplacé par la responsabilité de protéger un peuple menacé par son propre gouvernement. Trois conditions doivent être remplies : confirmation du massacre ; appels de la population et d’une organisation régionale ; mandat clair du Conseil de sécurité de l’ONU. « Sinon c’est la loi de la jungle où chaque pays pourrait intervenir chez son voisin s’il y a des troubles ». En Libye, il fallait « éviter une croisade occidentale en plein printemps arabe ». Le recours à l’OTAN, sous la direction de la France et de la Grande-Bretagne, inclut la participation de pays arabes : Jordanie, Qatar, Emirats arabes unis et Maroc. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, la France, ancienne puissance coloniale, est considérée avec suspicion par un certain nombre de pays dans le monde. Le choix électoral du peuple ivoirien a été validé par l’Union africaine et le Conseil de sécurité de l’ONU. Des contacts ont été pris avec le Nigeria, en charge de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest), pour que l’ONUCI (Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire), incarnant la volonté de la communauté internationale, vienne en première ligne. Le procès d’intention persistant, il a fallu une lettre du secrétaire général de l’ONU demandant à la France d’intervenir. Dans l’ensemble, « cette année (2011) a permis à la France, non seulement d’occuper pleinement son rang, mais aussi de faire progresser une certaine conception très française de l’ordre international, nous avons fait vivre par deux fois, en Libye et en Côte d’Ivoire, le concept de la responsabilité de protéger, depuis son adoption en 2005 par le Conseil des Nations unies. ».  A ce propos, Jean-David Lévitte rappelle qu’il ne peut y avoir d’intervention en Syrie sans mandat du Conseil de sécurité de l’ONU.

De son côté, l’amiral Edouard Guillaud estime qu’il n’y a pas de modèle idéal d’opération. « Nous avons eu de la chance, qui se prépare avec de l’entraînement, de bons équipements et des forces morales ». En Libye, dit-il, envoyer des troupes au sol aurait été « catastrophique dans la durée ». Il fallait une légalité internationale et la possibilité de travailler avec la Grande-Bretagne. « Le président de la République a demandé de pouvoir frapper à la demande, en moins de cinq minutes après l’accord final des chefs d’Etat. Les avions étaient déjà en vol ». Les défis militaires à relever étaient divers : dépendance des résultats diplomatiques, autorisations de survol et de stationnement en Grèce et en Italie, déplacements logistiques et coordination ave les pays alliés. « Notre système étant plus réactif que les leurs, nous avons pu frapper les premiers ». La France a déployé un porte-avions, un bâtiment de projection et de commandement, un sous-marin nucléaire d’attaque, des frégates et pétroliers-ravitailleurs, des hélicoptères, des avions F1 CR, Mirage 2000, Rafale et le Transall « Gabriel » de guerre électronique.

Pour sa part, Philippe Errera indique que le recours à l’OTAN en Libye a impliqué : des capacités accrues avec des règles d’engagement spécifiques concernant l’embargo maritime, l’exclusion aérienne et le soutien humanitaire ; la nécessité que son action fédère et n’ait pas d’effet repoussoir ; l’accord des 28 Etats membres pour que l’organisation soit un outil militaire confié au « groupe de contact ». Il a noté que le délai entre la décision politique de recourir à l’OTAN et son intervention effective a considérablement diminué : un an pour le Kosovo en 1999 et moins d’une semaine pour la Libye en 2011. « L’intervention a duré du 31 mars au 31 octobre, mandat fixé par le Conseil de sécurité de l’ONU et l’Alliance Atlantique, avec zéro perte ! »

Enfin dans le cas de la Côte d’Ivoire, Alain Leroy rappelle que le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé la force française Licorne à soutenir l’ONUCI en cas de besoin (résolution1975 du 30 mars 2011). En effet, « les forces françaises avaient la capacité de frapper les armes lourdes (des troupes de l’ex-président Laurent Gbabo), que l’ONUCI n’avait pas », souligne Alain Leroy. Selon lui, sans Licorne, l’intervention aurait été impossible. Grâce à l’accord de la CDEAO et de l’Union africaine, il n’y a pas eu de critiques sérieuses ni de dommages collatéraux condamnables et surtout « l’ONU a évité une tragédie de type Rwanda ».

Loïc Salmon

 De gauche à droite : Alain Leroy, Jean-David Lévitte, Gérard Longuet, l’amiral Edouard Guillaud et l’ambassadeur Philippe Errera

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