Sur la plupart des théâtres, les troupes de l’ONU affrontent des acteurs non-étatiques, en route pour la conquête du pouvoir et qui ne respectent plus le droit de la guerre. Toutefois, elles peuvent bénéficier des avancées technologiques pour mieux remplir leurs missions.
L’ambassadeur de France, Hervé Ladsous, a fait part de son expérience et de ses analyses d’ancien secrétaire général adjoint des Nations unies au maintien de la paix (2011-2017), au cours d’une conférence-débat organisée, le 19 juin 2017 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale.
Situation complexe. Les groupes terroristes Al Qaïda, Aqmi et Daech se mobilisent au nom du Djihad. Les « casques bleus » de l’ONU deviennent les cibles de groupes armés de diverses obédiences, notamment au Nord-Kivu (République démocratique du Congo, RDC) où certaines sont affiliées au mouvement somalien Al Shebab. Les attaques asymétriques par engins explosifs improvisés multiplient le nombre de victimes. Les cyberattaques pourraient perturber le fonctionnement d’une opération de maintien de la paix. La piraterie, pratiquement annihilée dans le détroit de Malacca par le tsunami de 2004, perdure en Afrique de l’Est et dans la corne de l’Afrique. La responsabilité de l’ONU se trouve petit à petit mise en cause par le concept de « responsabilité partagée ». Alors que la protection des civils constitue le cœur des missions de maintien de la paix, les populations, surtout les femmes et les enfants, subissent violence et travaux forcés. Les gouvernements des pays concernés coopèrent de moins en moins et les mandats du Conseil de sécurité de l’ONU ne sont pas toujours clairs. Les conflits persistent dans les pays africains, sujets à de profondes crises de gouvernance. Ainsi, le Sud-Soudan, indépendant depuis 2011, dispose de terres fertiles et d’hydrocarbures. Aujourd’hui, il connaît l’effondrement au point de recruter des enfants pour ses forces armées. Pas un seul pays d’Asie n’échappe à un contentieux territorial, ethnique ou sous-régional avec ses voisins. Or, il n’existe pas d’outil régional de résolution des crises ni de mode opératoire défini. Pourtant, le Conseil de sécurité de l’ONU se réunit chaque mois pour un tour d’horizon prospectif de tous les théâtres. Mais la Chine s’opposera toujours à un débat sur la mer de Chine du Sud, où il n’existe pas de pacte de sécurité collective. En cas de crise régionale, l’ASEAN (Association des 10 pays d’Asie du Sud-Est) ne pourrait se défendre. En Colombie, le gouvernement a négocié un accord de paix avec le mouvement révolutionnaire FARC après plus de 50 ans de guerre civile. Lors de la guerre civile au Mali (2012-2013), l’échec de la mission de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, autorisée par le Conseil de sécurité de l’ONU, a débouché sur une intervention militaire de la France (2013). En Ukraine, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ne pourrait appliquer de solution qui n’aurait pas reçu l’aval préalable de la Russie.
Agir mieux. Les nouveaux moyens techniques peuvent aider au maintien de la paix, à condition qu’ils soient acceptés, indique l’ambassadeur. Ce fut, difficilement, le cas des drones, dont l’un avait permis de découvrir une douzaine de personnes sur le point de se noyer au sud de la ville de Goma (RDC). Des ballons captifs équipés de caméras trouveraient leur utilité pour l’alerte précoce. Le renseignement permettrait d’assurer la sécurité des personnels et de leur faciliter la tâche. La qualité de leurs travaux, si elle est reconnue, mérite des récompenses, ou des sanctions si elle laisse à désirer, indique l’ex-secrétaire général adjoint au maintien de la paix. Il a dû en effet renvoyer des unités qui n’avaient pas été à la hauteur de leur tâche au Darfour : elle s’étaient laissé attaquer et dépouiller de leurs véhicules blindés sans tirer un seul coup de feu. Les graves manquements à l’éthique de la part de casques bleus nécessitent des sanctions, pour ne pas accroître la souffrance de gens dont ils doivent assurer la sécurité. Il en est de même pour les abus sexuels avérés. Des faits non établis correspondent à une tentative de déstabilisation. Lors de son entrée en fonctions en 2011, l’ambassadeur a constaté que seulement 5 % des effectifs policiers de l’ONU venaient des pays du Nord, au motif de restrictions budgétaires. Il alors demandé et reçu l’assistance de l’administration américaine de l’époque pour obtenir la participation des pays européens, qui a débouché sur des réunions de chefs d’états-majors des armées et de chefs de la police. Mais l’ONU n’a pas vocation à se trouver en première ligne. Le conseil de sécurité a confié à la France le soin d’intervenir au Mali par l’opération « Serval », suivie d’une assistance (formation et équipement de l’armée malienne) de 17 pays européens dans le cadre de l’opération « Barkhane ». L’ambassadeur Ladsous recommande davantage de « robustesse » dans les opérations de maintien de la paix. Au cours de la guerre civile actuelle en Syrie, plusieurs personnels de l’ONU, attaqués et enlevés, ont été libérés par l’intervention directe du roi de Jordanie. En 2015, le conseil de sécurité a demandé aux « casques bleus » de « neutraliser » des groupes armés en RDC. Ce débat reste d’actualité. Enfin, à la phase militaire du maintien de la paix doit succéder celle de sa consolidation par des agences civiles spécialisées, rappelle l’ancien secrétaire général adjoint de l’ONU.
Rester crédible. Les populations de nombreux pays africains et asiatiques sont déboussolées par le sentiment d’impunité politique : à un coup d’Etat succède une amnistie, préalable au suivant. La Cour pénale internationale a pour mission d’empêcher le retour au pouvoir de gens coupables de crimes, souligne l’ambassadeur Ladsous.
Loïc Salmon
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Depuis 1948, l’ONU a engagé 71 opérations de maintien de la paix qui ont coûté la vie à 3.952 personnels en uniforme (militaires et policiers), volontaires et civils (internationaux et locaux). Au 31 mai 2017, elle déploie 112.207 personnels (1.810 morts) dans 16 opérations. Celles-ci sont désignées par des sigles : MINURSO, Sahara occidental depuis avril 1991, 471 personnels (16 morts) ; MINUSCA, République démocratique du Congo depuis avril 2014, 13.389 personnels (44 morts) ; MINUSMA, Mali depuis avril 2013, 14.043 personnels (123 morts) ; MINUSTAH, Haïti depuis juin 2004, 5.063 personnels (186 morts) ; MONUSCO, République démocratique du Congo depuis juin 2010, 22.199 personnels (111 morts) ; MINUAD, Darfour depuis juillet 2007, 19.797 personnels (250 morts) ; FNUOD, Syrie depuis juin 1974, 959 personnels (46 morts) ; UNFICYP, Chypre depuis mars 1964, 1.109 personnels (183 morts) ; FINUL, Liban depuis mars 1978, 11.390 personnels (312 morts) ; FISNUA, Abiye au Soudan depuis juin 2011, 4.770 personnels (22 morts) ; MINUSS, Sud-Soudan depuis juillet 2011, 15.873 personnels (50 morts) ; ONUCI, Côte d’Ivoire depuis avril 2004, 692 personnels (150 morts) ; MINUK, Kosovo depuis juin 1999, 345 personnels (55 morts) ; MINUL, Libéria depuis septembre 2003, 1.633 personnels (200 morts) ; UNMOGIP, Inde et Pakistan depuis janvier 1949, 112 personnels (11 morts) ; ONUST, Moyen-Orient depuis mai 1948, 361 personnels (51 morts).