Nucléaire : conséquences du Covid-19 sur le TNP

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La 10ème conférence quinquennale d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), prévue à New York du 27 avril au 22 mai 2020, a été reportée en 2021 à cause de la pandémie du Covid-19. Mais ce report pourrait se révéler utile.

Cette question a fait l’objet d’une note publiée le 27 mai 2020 à Paris par Benjamin Hautecouverture, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, (FRS) et qui a animé une visioconférence sur le même sujet, le 10 juin 2020 à Paris (voir encadré). Y sont intervenus : Martin-Pierre Charliat, conseiller politique à la Direction des affaires stratégiques de sécurité et du désarmement au ministère des Affaires étrangères ; Tiphaine de Champchesnel, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire ; Emmanuelle Maitre, chargée de recherche à la FRS.

Bilan. Le TNP aurait dû fêter le cinquantième anniversaire de son entrée en vigueur en mars 2020… en pleine crise du Covid-19, rappelle Benjamin Hautecouverture. Il repose sur trois piliers : non-prolifération ; désarmement ; usages pacifiques. Entre 1970 et 2000, il a assuré le rôle de chambre d’enregistrement des modifications profondes de l’environnement stratégique et celui d’instrument utile pour influer sur le facteur nucléaire de la sécurité internationale. Sa réussite se mesure dans le temps long, à savoir 20 ou 25 ans, et au faible nombre d’Etats engagés, avec succès, dans un programme nucléaire militaire. L’Iran, qui l’a ratifié, a tenté un programme militaire en 1999 et 2003 puis l’a gelé lors des négociations qui ont abouti à l’accord de Vienne de 2015, conclu avec l’Union européenne, la France, l’Allemagne, la Chine, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Russie. La Corée du Nord s’est retirée du TNP en 2003 et a effectué plusieurs essais nucléaires souterrains à partir de 2006. Ce traité est réexaminé tous les cinq ans depuis 1995. Le cycle d’examen se compose d’une année vierge suivant celle de la conférence, puis de trois années destinées à préparer la conférence d’examen suivante dans le cadre de trois commissions préparatoires successives. Celles-ci se tiennent traditionnellement à Vienne, Genève et New York. La conférence d’examen proprement dite a lieu habituellement à New York, siège de l’ONU où beaucoup d’Etats parties au TNP sont représentés. Vienne abrite l’Agence internationale de l’énergie atomique (171 pays membres) et l’Organisation du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (183 pays membres). Les deux tiers des activités de l’ONU ont lieu à Genève. Le document final par consensus n’a clôturé que quatre des neuf conférences d’examen du TNP. Or, parmi les autres, deux ont abouti à des résultats sensibles : la sûreté dans l’examen des usages pacifiques de l’énergie nucléaire en 1990 ; la durée illimitée du TNP en 1995. Parmi les 191 Etats parties du TNP, 153 ont participé à la conférence d’examen de 2005, 172 à celle de 2010 et 161 à celle de 2015.

Environnement stratégique. Le contexte international exerce une influence négative sur la conférence d’examen, explique Benjamin Hautecouverture. Ses caractéristiques incluent : réémergence des rivalités entre Etats dotés de l’arme nucléaire ; stagnation de la maîtrise bilatérale des armements stratégiques ; aggravation des crises nord-coréenne et iranienne en matière de prolifération ; suspension du processus de désarmement nucléaire ; foyers d’instabilité régionale accrus, surtout au Moyen-Orient ; désaccords sur le cycle du combustible pour les usages civils ; baisse de l’intérêt en matière de sécurité nucléaire, thème pourtant consensuel entre Etats dotés de l’arme nucléaire et Etats non dotés. Le processus d’examen du TNP se trouve fragilisé par la rivalité entre les Etats-Unis et la Russie, l’émergence de la Chine comme puissance mondiale et les dissensions entre les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Etats-Unis, Russie, Chine, France et Grande-Bretagne). Cela se répercute sur le désarmement nucléaire, où s’exacerbe le clivage traditionnel entre Etats dotés et les autres. Pourtant le nombre de ratifications du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires progresse. Début mai 2020, ce dernier compte 81 signatures et 36 ratifications. Il ne pourra entrer en vigueur qu’à partir de 50 ratifications.

Enjeux. Le report à 2021 de la 10ème conférence d’examen du TNP présente une opportunité pour la recentrer sur ses priorités, estime Benjamin Hautecouverture. Les évolutions technologiques constituent des facteurs de renforcement…ou de fragilisation. Les enjeux politico-juridiques détermineront de plus en plus la qualité du respect des engagements des Etats parties. Les crises de la prolifération ou du Moyen-Orient pourraient entrer dans le champ des discussions. Enfin, le processus d’examen lui-même nécessite un renouvellement. En effet, la lisibilité d’une conférence est devenue accessible uniquement à un public d’observateurs très au fait de la question et donc limités en nombre. Les insuffisances et dysfonctionnements en réduisent l’efficacité. Ils portent sur la durée de la conférence (quatre semaines), la longueur du document final, l’exhaustivité pour l’obtention d’un accord de consensus, la quantité des documents institutionnels et étatiques et l’extrême formalisation, comparée à la place prise par les tractations informelles, orchestrées ou non par la présidence de la conférence. Selon Benjamin Hautecouverture, un tel état de fait a peu à peu pavé la voie à une simplification des messages délivrés à l’issue des conférences quinquennales et allant dans le sens de l’intérêt d’un Etat, d’une organisation régionale ou d’un groupe de pression en particulier. Malgré quelques critiques officielles sur l’inefficacité ou le caractère discriminatoire du TNP, l’immense majorité des Etats parties n’en remet pas en cause l’esprit ni la lettre.

Loïc Salmon

Le report de la conférence quinquennale sur le TNP à une date encore indéterminée laisse du temps pour remplir le cahier des charges, d’autant plus que la crise du Covid-19 n’a pas interrompu les discussions en cours sur les essais nucléaires, indique Martin-Pierre Charliat. Il permet de saisir des opportunités de dialogue. Un exercice franco-allemand de vérification du désarmement nucléaire a eu lieu en septembre 2019. La préservation de l’autorité du TNP réduit les armements stratégiques pour limiter les risques d’escalade en cas d’affrontement. Selon Tiphaine de Champchesnel, l’ambiance des discussions revêt une grande importance car elle a été propice à un accord des Etats parties. Par ailleurs la reprise des rivalités entre les grandes puissances conduit certains Etats tiers à considérer la non-prolifération comme une invention au service du club, très fermé, des puissances nucléaires. Le report de la conférence du TNP ne devrait pas modifier le contexte stratégique en raison de l’absence de risque de dégradation, estime Emmanuelle Maitre. Les présidents russe et américain décident seuls dans ce domaine. Or les Etats-Unis créent eux-mêmes des risques stratégiques. La dissension entre la Russie et les Etats-Unis aura une influence sur la rédaction du document final en 2021.

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